Les chambres d'agriculture alertent sur la situation de la Ferme France

Chute du budget alimentaire, baisse de la production laitière, distorsions de concurrence... les chambres d'agriculture abordent cette rentrée avec inquiétude alors que d'importantes échéances se préparent : loi d'orientation et d'avenir, trajectoire de planification écologique. Or ces chantiers, qui vont nécessiter un accompagnement important des agriculteurs, ne font l'objet d'aucuns moyens supplémentaires. Pire, le gouvernement préparerait un gel de la taxe pour frais de chambre, dans un contexte inflationniste.

Si le monde agricole est en attente de la future loi d'orientation et d'avenir, qui devra répondre au défi démographique de la profession, la conjoncture née en partie de la guerre en Ukraine reste très tendue. Au rythme actuel, "la France ne sera plus souveraine en termes de production laitière d'ici à 2027", alerte Sébastien Windsor, président de chambres d'agriculture France, à l'appui d'une note de conjoncture publiée le 31 août. La production de céréales a augmenté de 4,7% l'an dernier, mais la collecte de lait a diminué d'autant, après -2,6% en 2022, soit -7,5% en deux ans. "Un signal majeur", a-t-il souligné, à l'occasion de la conférence de presse de rentrée, jeudi. Mais aucune filière ne sort véritablement intacte de la période trouble actuelle : le cours du blé a perdu 200 euros entre mai 2022 et avril 2023, du fait de l'augmentation des coûts et de la guerre en Ukraine et "certaines exploitations ne couvrent plus le prix de revient". Quant à la filière avicole, elle ressort sinistrée par les épisodes à répétition de grippes aviaires. Et l'exemption de droits de douanes décidée par Bruxelles pour les volailles ukrainiennes, bien moins chères, fait craindre le pire. Depuis 2022, les importations en provenance de ce pays ont explosé. "On veut tous soutenir l'Ukraine, mais à un moment donné, on ne peut pas le faire en mettant à mal notre agriculture", estime Sébastien Windsor. Pour la filière viticole, il faudra attendre de connaître l'impact des coups de chaleurs estivaux et des attaques de mildiou dans le bordelais pour savoir où elle en est.

Chute de 20% du budget alimentaire

L'autre fait marquant pointé par les chambres d'agriculture en cette rentrée est le taux d'inflation qui a conduit les Français à rechercher les prix bas. Résultat, après une période stable entre 2017 et 2019, suivie d'un regain de consommation post-Covid, l'heure est à la "dégringolade". Le budget alimentaire a chuté de 20% en deux ans (après correction de l'inflation). "Les Français ne mangent pas 20% de moins, ils tirent les prix, vont chercher des produits plus bas de gamme", explique Sébastien Windsor. Ce qui se répercute sur les produits de qualité AOC ou bio où la consommation chute parfois de 70 à 80%, avec un effet "spirale", la grande distribution réduisant ses linéaires. "C'est un message que l'on ne réalise pas pleinement. (…) La politique gouvernementale (qui pousse à la montée en gamme, ndlr) est à contresens de la volonté du consommateur." Et de pointer la restauration collective qui importe aujourd'hui 70% de ses poulets.

À l'issue de réunions avec les industriels de l'agroalimentaire et les représentants de la grande distribution, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a annoncé, jeudi, vouloir "casser définitivement la spirale des prix de l'alimentaire". Un accord a été signé en ce sens pour plafonner jusqu'à la fin de l'année pas moins de 5.000 références.

Autre mauvais signal : sur les cinq premiers mois de l'année, les exportations hexagonales ont baissé de 1,8 milliard d'euros. "C'est la souveraineté alimentaire qui va s'effondrer alors que la croissance mondiale continue et se situe autour de 3% aujourd'hui", s'inquiète encore le président des chambres d'agriculture. Alors que l'Union européenne continue de signer à tout va des accords de libre-échange (Mercosur, Mexique, Chili…), les "clauses miroirs" brandies par le gouvernement pour mieux faire passer le "pacte vert" européen restent à l'état embryonnaire.

Gel des moyens 

Seulement, pendant cette période particulièrement compliquée, le gouvernement veut imposer sa trajectoire de planification écologique à l'agriculture à horizon 2030, pour l'amener à réduire ses émissions de CO2 : doublement de la surface en bio (21%), plantation de 50.000 km de haies, doublement de la surface en légumineuses, multiplication par huit de la production de biogaz par méthanisation... "Les agriculteurs sont les premières victimes du changement climatique, il n'y a même pas de débat sur le fait qu'on doit participer à la trajectoire de réduction du carbone", mais "tout cela ne va pas se faire sans un accompagnement colossal", s'emporte-t-il. Or c'est ce moment que choisit le gouvernement pour réduire les moyens des chambres. En effet, selon Sébastien Windsor, dans ses lettres de cadrage budgétaire en vue de la prochaine loi de finances, Élisabeth Borne propose une augmentation de 7,3% du produit de la taxe foncière sur les propriétés non bâties au profit des collectivités, mais la taxe additionnelle, qui sert à financer les chambres, serait gelée, alors qu'elles subissent l'inflation. "Je ne comprends pas comment, dans cette planification, on peut demander un changement de ce type, et baisser les moyens sur l'accompagnement du monde agricole. (…) Dans les choix du gouvernement, il est plus important d'aller faire des salles des fêtes que d'accompagner les agriculteurs", fustige-t-il.

Même constat pour le pacte et le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles (PLOA) en cours de finalisation. Ce pacte devrait comporter un volet "adaptation au changement climatique". Le ministère voudrait généraliser les phases tests actuellement conduites par les chambres d'agriculture dans 1.000 exploitations pour leur proposer un diagnostic climat. Mais pas un euro n'a été mis sur la table. Sébastien Windsor se dit "un peu en colère face à un gouvernement qui a des ambitions fortes pour l'agriculture alors qu'il ne veut pas mettre de moyens". "C'est totalement incompréhensible", lâche-t-il.

 

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