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Concertation - Les commissaires enquêteurs remontés contre le procès fait à l'enquête publique

Innovations démocratiques, recours au numérique, budgets participatifs, mobilisation citoyenne... Plus de 500 personnes dont de nombreux élus ont participé aux Rencontres nationales de la participation qui se sont déroulées du 6 au 8 mars à Lille. Derrière le vernis policé des échanges, ce fut aussi l'occasion pour la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs (CNCE) d'annoncer la parution fin mars d'un guide de l'enquête publique et de tirer la sonnette d'alarme sur "le travail de sape et de démolition de l'enquête publique, qui s'accentue notamment sur les questions environnementales". Le point avec Brigitte Chalopin, présidente de la CNCE, l'organisme qui fédère les commissaires enquêteurs français.

D'habitude discrète, la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs (CNCE) monte au créneau pour défendre le cœur battant de cette spécificité française qu'est l'enquête publique. Le 8 mars, elle est intervenue aux Rencontres nationales de la participation à Lille sur le thème de sa dématérialisation et de l'usage de l'électronique lors des enquêtes publiques, une pratique qui décolle depuis peu après avoir été le fait de collectivités pionnières ou de commissaires enquêteurs aguerris. Hormis cela l'inquiétude domine dans les rangs de cette association organisée sous la forme d'une fédération d'associations territoriales.

Interpeller les élus

Parlementaires et élus locaux sont tour à tour interpellés sur le devenir de ce moment fort de la procédure de décision sur un projet intéressant le public qu'est l'enquête publique. Les critiques dont elle fait l'objet la campent dans une image de procédure du passé, considérée comme une formalité obligatoire qui intervient trop tardivement, dure longtemps et coûte cher.
L'expertise et la responsabilité des commissaires enquêteurs sont parfois mises en cause - deux points sur lesquels la CNCE réagit dans son dernier bulletin : "Contrairement à ce que certains pensent leur mission première n'est pas d'expertiser le projet, avant tout ils sont des chefs d'orchestre de l'enquête, des 'honnêtes hommes', hommes ou femmes 'de bon sens' auquel revient la mission de s'assurer que les administrés ont pu s'informer et s'exprimer, puis de synthétiser dans leur rapport les résultats de l'enquête. Dès lors, rien d'étonnant à ce qu'ils ignorent parfois les subtilités d'une réglementation ou n'aient pas la connaissance d'éléments techniques pointus et spécifiques liés au projet". Autre rôle : servir de rempart aux élus locaux. Face à des administrés mécontents ou en mal d'informations sur un projet, l'élu renvoie souvent vers le commissaire enquêteur, qui fait tampon et calme les ardeurs.

Un faux procès

"Face aux multiples attaques dont l'enquête publique fait l'objet, que nous ressentons douloureusement mais considérons avec sérieux, nous réagissons, interpellons les élus et trouvons des solutions sur le terrain en partant du vécu de nos commissaires enquêteurs", raconte Brigitte Chalopin. La présidente de la CNCE dénonce un faux procès et des mises en cause injustifiées "qui visent à réduire le champ d'application de l'enquête publique, voire à la supprimer au bénéfice d'un élargissement de la concertation préalable ou d'une procédure allégée comme la simple mise à disposition du public, ce qui porterait gravement atteinte à la démocratie participative, ne ferait qu'accentuer la conflictualité environnementale et multiplier les crises violentes du type Sivens et constituerait une régression du droit de l'environnement".

Prêcher pour sa paroisse

Depuis deux ans l'association s'appuie sur ses antennes locales, qui fédèrent des commissaires-enquêteurs inscrits sur les listes d'aptitude départementales, pour frapper aux portes des élus et rappeler le bien-fondé de l'enquête publique "et la place légitime qu'elle occupe dans les dispositifs de participation du public". Une ordonnance d'août 2016 puis son décret d'application modernisent ce pilier de la démocratie participative et tentent de l'adapter à son temps, en permettant d'impliquer un public plus large, plus jeune, plus diversifié. "Mais des oreilles bien pensantes restent sourdes à ces évolutions et poursuivent, sous couvert de simplification, leur travail de sape de l'enquête publique en lui préférant des substituts de participation plus expéditifs voire confidentiels", alerte Brigitte Chalopin. Observant une hémorragie du dispositif actuel - on recensait 12.000 enquêtes par an dans les années 1980, contre à peine 5.500 aujourd'hui - la CNCE s'en étonne "au moment même où le principe de participation du public en matière environnementale est constitutionnellement consacré".

Des leurres de démocratie participative

A ses yeux, les nouveaux modes en vogue de participation du public sont au rabais et constituent de pâles substituts comparé à "la valeur ajoutée certaine pour la qualité du débat démocratique et la prise de décision qui s'ensuit" d'une enquête publique (bien faite). Et de prendre pour exemple l'actuelle accélération, notamment dans les métropoles, du rythme de révision des plans locaux d'urbanisme (PLU). Une simple mise à disposition du public du projet de modification ne suffit pas selon elle et ne peut être considérée comme une panacée ou un substitut efficace. Pour Brigitte Chalopin, "c'est le plus souvent une parodie de démocratie participative, qui n'apporte pas de plus-value au projet". Le public ne formulerait dans ce cas que très peu d'observations. "Et s'il y en a, qui en assurera la synthèse à l'issue de cette mise à disposition : le maître d'ouvrage ou bien le décisionnaire ? Cela pose un problème de crédibilité car le public concerné avait pris l'habitude de s'exprimer auprès d'un tiers indépendant, le commissaire-enquêteur", ajoute-t-elle.

L'aval tient l'amont

Au reproche formulé d'une arrivée tardive de l'enquête publique dans le processus, la présidente de cette association riposte que cela ne constitue pas un inconvénient mais présente l'avantage de "porter sur un projet abouti et donc sans ambiguïté pour le public". Là se joue toute la différence entre une participation du public à l'amont ou à l'aval d'un projet. L'enquête publique intervient en aval et peut intéresser des citoyens qui ne se sont pas manifestés en amont. Ou bien ceux qui l'ont fait mais veulent un suivi.
Sa complémentarité avec une participation en amont serait garante de complétude - "l'aval tient l'amont" - et assure la cohérence du processus global de participation. De fait, vouloir remplacer l'aval par l'amont affaiblirait l'ensemble : "Le simplifier en remplaçant l'enquête par une simple participation du public par voie électronique, notamment lorsque le projet a fait l'objet d'une concertation préalable organisée sous l'égide d'un garant (voir ci-dessous), est contre-productif et soulève bien des incertitudes", ajoute Brigitte Chalopin, tout en se référant à la convention d'Aarhus, laquelle conçoit la participation du public sur les questions environnementales "comme un continuum de l'amont à l'aval et n'a jamais affirmé ou suggéré que l'organisation d'une procédure amont impliquait l'allègement, voire la suppression de l'aval, et donc celle de l'enquête publique".

Quid des garants de la CNDP ?

Côté amont, de premiers retours d'expériences du réseau des garants de la concertation ont été livrés lors des rencontres lilloises. Ce vivier compte plus de 250 garants indépendants missionnés par la Commission nationale du débat public (CNDP), conformément à la réforme du dialogue environnemental en vigueur depuis l'an dernier, pour soigner la phase de concertation préalable à un projet. Même s'il attire de nouveaux profils, la plupart sont déjà des commissaires enquêteurs (mais impossible d'être les deux sur un même projet). "Autre détail important sur ces garants : ils veillent au bon déroulement de la procédure mais ne donnent pas un avis sur le projet", commente Brigitte Chalopin.

Société de confiance : méfiance à l'égard du projet de loi

Accueilli avec scepticisme au Sénat (voir notre article dans l'édition du 26 février), le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance prévoit de simplifier la procédure de participation du public pour certains projets soumis à la législation sur l'eau ou à celle sur les installations classées nécessaires à l'exercice d'une activité agricole (art. 33).
Au Sénat, la commission spéciale chargée de l'examiner avant son passage dès le 13 mars en séance, a jugé cette expérimentation "prématurée" et souligné l'importance de maintenir, notamment au vu de l'intérêt "présentiel" du commissaire enquêteur, l'enquête publique préalablement à l'autorisation de ces projets. La suppression de l'alinéa 1 de cet article a été demandée.
Mais voilà qu'un amendement gouvernemental revient à la charge ! Daté du 9 mars, il suggère de "réintroduire l'expérimentation souhaitée (...) dans quelques régions et de garder les autres comme point de comparaison". L'idée serait d'en d'évaluer les effets "y compris sur les services administratifs concernés". Mais aussi d'élargir son champ, au-delà d'activités agricoles, "à tous les projets requérant une autorisation environnementale".

Vers un renforcement du contentieux

Des dispositions envisagées que la CNCE voit d'un mauvais œil : si cela est mis en place, elle demande à intégrer l'observatoire créé pour juger de leur bien-fondé. En outre, elle craint que ces dispositions entraînent un renforcement des actions contentieuses, une fragilisation accrue de la position des porteurs de projet et une perte de confiance du public dans les modalités de sa participation, et ce "alors même que la loi vise précisément à la renforcer". Elle attire aussi l'attention sur l'absence dans ce cas d'une véritable publicité, qui se ferait sur le site de la préfecture mais plus via un affichage en mairie.