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Radicalisation - Les élus et la radicalisation : les raisons inavouées d'un manque de confiance

La délégation sénatoriale aux collectivités poursuivait ses travaux sur la radicalisation, le 23 novembre, avec une table ronde des associations d'élus. L'occasion de réclamer la confiance de l'Etat mais aussi de dénoncer "l'ambiguïté" de certains élus vis-à-vis de l'islam radical.

Article initialement publiée le 25 novembre 2016

C'est un peu le négatif de la grande réunion du 24 octobre 2016, ce panégyrique des bonnes relations entre l'Etat et les collectivités dans la lutte contre la radicalisation : les élus auditionnés par la délégation sénatoriale qui suit le sujet, mercredi 24 novembre, ont mis les pieds dans le plat. Ils ont d'abord dépeint leur vécu. Celui de maires encore tenus à l'écart des échanges d'informations, malgré les promesses gouvernementales, et contrairement aux départements qui sont pour leur part bien implantés dans les cellules départementales de suivi et de prévention de la radicalisation. Les maires eux "sont exclus" de ces cellules, a dénoncé Jacqueline Eustache-Brinio, maire de Saint-Gratien dans le Val-d'Oise, représentant l'Association des maires de France. Si la question de l'information s'est cristallisée ces derniers mois autour de l'accès aux fichiers S, les élus ne sont pas "arc-boutés" là-dessus, a-t-elle assuré. Seulement, "le maire est en dehors de tout. On n'applique même pas ce que disent le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur pour associer les maires. Tout le monde se réunit. Les maires : rien ! C'est absolument anormal", a-t-elle fustigé, expliquant même que, dans certains cas, les travailleurs sociaux avaient pour consigne de ne rien dire : "Silence radio !"
"On ne peut pas demander au maire d'être le dernier maillon de la chaîne s'il n'est pas associé au départ", a-t-elle ajouté. L'édile a aussi illustré l'isolement des maires avec la question des mosquées. Courant 2015, elle avait pris deux arrêtés pour ordonner la fermeture d'un lieu de prière, prétextant le non-respect du plan local d'urbanisme (PLU) et un manque de places de stationnement. Après avoir été poursuivie par l'association musulmane qui l'occupait, la municipalité vient d'obtenir gain de cause auprès du tribunal de grande instance de Pointoise, au terme d'une longue procédure qui a "demandé de l'argent à la commune" et "une exposition médiatique un peu compliquée que j'assume". "Le PLU, les règles d'urbanisme, les commissions de sécurité… voilà comment on arrive à faire fermer des lieux interdits quand on n'est pas aidé par les services de l'Etat qui ne veulent pas toujours trancher", a-t-elle critiqué.

Un "recul" du partenariat local

Jacqueline Eustache-Brinio a aussi attiré l'attention de la délégation sur le besoin de formation, en particulier des maires nouvellement élus en 2014 qui ont dû subitement faire face à un problème auquel ils n'étaient pas préparés. Elle a enfin invité à s'interroger sur le phénomène de "radicalisation" qui ne se limite pas aux actes terroristes : sur un an, 40% d'enfants de plus ont été déscolarisés dans son département.
Emilie Petit, du Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU), s'est aussi fait l'écho du "manque de réciprocité" du partage d'informations, précisant cependant que de plus en plus de villes commençaient "un peu timidement à être associées à ces cellules départementales". "Bizarrement, cette question de la radicalisation a créé un recul" du partenariat local au sein de structures d'échanges comme le CLSPD (conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance), certains membres se retranchant derrière "leurs craintes ou la déontologie". Mais cette "bizarrerie" a peut-être des raisons inavouées, celles des relations ambiguës que certains élus entretiennent avec l'islam radical, par clientélisme ou pour acheter la paix sociale… D'ailleurs, les rapporteurs de la délégation sénatoriale l'ont dit à demi-mots. "Il faut que nous soyons dans la boucle, mais il faut aussi que les maires que nous sommes tenions la barre, a souligné le sénateur socialiste Luc Carvounas (Val-de-Marne). Il y a aussi quelques collègues de toutes obédiences qui sont un peu particuliers sur la question. Si on veut régler le souci à la racine, il faut aussi qu'on en soit conscients, je m'arrêterai là."

"On a tous commis des erreurs"

Un constat partagé par le sénateur du Haut-Rhin Jean-Marie Bockel (UDI-UC), président de la délégation sénatoriale aux collectivités, admettant : "On a tous commis des erreurs." Mais, "comme disent les militaires, il y a le retour d'expérience, après on n'a plus le droit d'être dans l'ambiguïté pour des raisons diverses et variées, surtout dans le contexte actuel".
Autre allusion à ces compromissions : "Il y a des responsabilités politiques, d'élus qui n'ont pas été très clairs sur le sujet, à droite et à gauche. On n'a pas d'autre solution que d'être clairs sur le sujet. L'Etat doit nous faire confiance", a abondé Jacqueline Eustache-Brinio invitant à observer ce qui se passe dans les écoles françaises : "L'Education nationale doit être avec nous. Ce n'est pas la hiérarchie qui protège les enseignants aujourd'hui, c'est le maire. C'est anormal."
Du côté des départements, le problème est bien différent. C'est plutôt à une forte exposition de leurs services qu'ils se trouvent aujourd'hui confrontés. Dans le Val-de-Marne, les services du départements sont étroitement associés à la cellule de suivi et de prévention de la radicalisation. Les cas de mineurs signalés par le numéro vert sont transmis à la cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) du conseil départemental pour évaluation. Cette évaluation se fait sur le base d'un entretien mené chez les familles. Or depuis l'assassinat du commandant de police et de sa compagne fonctionnaire au ministère de l'Intérieur à Magnanville (Yvelines) en juin 2016, "une partie du service public demande le droit de retrait", a fait savoir Isabelle Santiago, vice-présidente du conseil départemental. Pour contourner cette difficulté, le département a décidé de recourir à un appel à projets pour sélectionner des associations habilitées à mener ces évaluations.
La délégation sénatoriale n'a pas fini de débusquer de tels couacs dans la lutte contre la radicalisation. Pour appuyer ses travaux, elle a récemment lancé une consultation en ligne permettant aux élus de faire part de leur expérience. "A la demande de nombreuses collectivités", cette consultation a été prolongée jusqu'au 16 décembre, a-t-elle fait savoir, le 24 novembre.

 

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