Archives

Les fournitures scolaires en éducation prioritaire : un enjeu pour les communes

Une étude de sociologie s'intéresse au rôle de la commune en faveur de la gratuité des fournitures scolaires en zones d'éducation prioritaire. Si les parents louent la dimension économique de cette intervention, les enseignants sont plus critiques.

Alors qu'en cette rentrée scolaire 2021 la 37e enquête annuelle de Familles de France fait état d'une hausse de 1,04% du coût des fournitures pour un élève entrant en 6e, pour une somme moyenne qui s'établit désormais à 199,34 euros, une étude vient éclairer la question des fournitures scolaires en zones d'éducation prioritaire, et notamment le rôle que les collectivités locales peuvent y jouer. Réalisée par une étudiante en sociologie à l'École normale supérieure de Lyon, cette étude porte particulièrement sur les classes élémentaires de Clichy-sous-Bois et de La Courneuve, deux communes de Seine-Saint-Denis, et s'appuie sur des enquêtes de terrain

Dans les zones d'éducation prioritaire, la question des fournitures scolaires laisse apparaître des particularités. Le manque de moyens financiers des familles y est souvent évoqué comme "plus problématique" qu'ailleurs. On y relève "souvent des manques de matériel, et une difficulté d'obtenir le réassort de la part des parents". "Ces difficultés à obtenir le matériel, précise encore l'étude, conduisent les enseignants à limiter les listes au minimum, en achetant une large part des fournitures sur le budget alloué par la mairie."

Déploiement dans l'urgence

Si certaines écoles mettent d'elles-mêmes en place des dispositifs pour faciliter l'achat de fournitures scolaires, ce sont le plus souvent les municipalités qui s'impliquent directement pour financer tout ou partie des fournitures scolaires en école élémentaire. "De nombreuses mairies se sont emparées de la question", pointe l'étude. Des initiatives existent de longue date, d'autres ont été mises en place plus récemment, et notamment pour répondre au besoin urgent dans le cadre de la crise sanitaire.

Dans le cas de Clichy-sous-Bois, un dispositif a été mis en place pour la première fois en 2020 et déployé "dans l'urgence en quelques semaines au cours du mois de mai 2020, à la suite du confinement". Dans un premier temps, la direction académique a demandé aux écoles de réaliser un travail sur les listes de fournitures scolaires. Une synthèse a ensuite été réalisée par les conseillers pédagogiques. La commune, qui avait décidé de financer l’achat de listes uniques par niveau, incluant petit matériel (stylos, feutres, etc.) et supports (cahiers, feuilles, etc.), pour l’ensemble des élèves scolarisés en école primaire sur la ville, a pris le relais pour lancer l’appel d’offres puis la communication par appels téléphoniques auprès de chaque famille au cours du mois d’août. Des vacataires ont réalisé les sacs de fournitures livrés aux écoles pour le jour de la rentrée. En dernier lieu, afin de rendre publique la démarche municipale, des élus étaient présents à l'occasion de la distribution. Le coût pour 2.737 élèves bénéficiaires s'est élevé à 31.000 euros, répartis entre la ville et l'Éducation nationale dans le cadre de la "cité éducative".

Un soulagement pour les parents

Quels bénéfices ce dispositif a-t-il finalement produits ? "De nombreux acteurs s'accordent sur sa dimension positive, tant pour les élèves que pour les parents et les enseignants", avance l'étude. Pour les parents, le financement des fournitures vient d'abord "soulager la contrainte économique" de la rentrée. Et cela alors même que "souvent, les allocations (et particulièrement l'allocation de rentrée scolaire) ne semblent pas suffire pour financer les dépenses de rentrée". De plus, l'aide offre "un soulagement organisationnel et un gain de temps pour les parents". L'étude note encore une conséquence "plus symbolique" : "L'uniformisation permet de ne pas faire de différences entre les élèves, entre ceux qui auraient du 'beau' matériel et les autres." Enfin, la mise en place de manière universelle et non conditionnée aux revenus des familles du dispositif a permis "d'éviter toute stigmatisation entre les enfants les plus pauvres et les autres". Autant de bénéfices qui concernent également les élèves eux-mêmes.

Côté enseignants, "l'idée d'une facilitation du travail" est mise en avant". Par ailleurs, la possibilité de ne plus avoir à inclure les fournitures scolaires dans le budget alloué par la mairie, puisqu'un budget séparé a été créé, peut être une opportunité pour les enseignants de disposer pleinement du budget municipal pour le matériel pédagogique (manuels, matériel pour les travaux manuels, pour les projets, jeux, etc.).

Une "dimension politique" critiquée

À l'inverse, des reproches ont été faits quant à la qualité des fournitures. "On a eu l'impression d'avoir des fournitures de pauvres pour les pauvres", va jusqu'à dire un enseignant. Côté quantité, on note que certaines familles ont refusé "de faire le réassort au fur et à mesure de l'année, quand les fournitures venaient à s'épuiser", arguant que la ville avait promis la gratuité totale. Devant cette difficulté mal anticipée, la mairie a décidé, pour la rentrée suivante, "de préciser plus clairement qu'il s'agissait de fournitures pour commencer l'année, et non de fournitures suffisantes pour l'ensemble de l'année".

D'une manière générale, "l'urgence et la précipitation" reviennent au premier rang des reproches faits par les enseignants et directeurs d'école : "Presque tous auraient souhaité un temps plus long pour discuter du contenu de la liste et des modalités de distribution." Certains enseignants vont même jusqu'à affirmer qu'on leur a imposé "leurs outils de travail". Ils critiquent dans la foulée "la dimension politique de ce geste de la mairie, laquelle s'est rendue visible par la présence d'élus le jour de la rentrée, distribuant les lots de fournitures, ainsi que par les appels individuels à chaque famille".

En conclusion, l'étude estime que l'implication de la mairie dans la question des inégalités scolaires "ne doit pas aller à l'encontre de l'engagement des enseignants sur le terrain de l'école". Elle préconise "de maintenir ou recréer le dialogue entre les acteurs travaillant à un objectif commun, de sorte à ce qu'ils puissent s'entraider". Ainsi, "s'il apparaît nécessaire d'inclure les enseignants dans la question des fournitures scolaires du fait de leur expertise concernant le matériel et leurs besoins, et de leur connaissance du terrain, le soutien de la municipalité peut être essentiel par les investissements économiques qu'il permet, et par une maîtrise d'enjeux plus globaux concernant les populations scolarisées".