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Fournitures scolaires : ces collectivités qui mettent la main à la poche

De plus en plus de collectivités offrent des fournitures scolaires aux enfants de leurs écoles. Leur ambition est de réaliser la promesse d'une école vraiment gratuite.

L'information a fait grand bruit, sans doute parce qu'elle concerne pour la première fois une grande métropole : la ville de Lille vient d'annoncer qu'elle dotera à ses frais les enfants scolarisés dans ses écoles maternelles et élémentaires en fournitures scolaires dès la rentrée de septembre 2021. Pour les parents, c'est un double soulagement : finies les listes de fournitures à acheter et, surtout, finies les dépenses. Des dépenses non négligeables si l'on se fie à l'enquête annuelle de la Confédération syndicale des familles qui établissait à la rentrée de 2020 un coût moyen de 109 euros pour les élèves de cours préparatoire au titre des fournitures scolaires. À Lille, seuls le cartable, la trousse vide et un éventuel agenda resteront à la charge des familles.

Offrir les fournitures scolaires aux enfants, l'idée n'est pas pourtant pas nouvelle. De nombreuses collectivités l'ont réalisée, parfois depuis fort longtemps. On retrouve dans les archives communales de Bernesq (Calvados) un document attestant de la distribution de fournitures scolaires gratuites aux élèves indigents dès le XIXe siècle. Plus près de nous, Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) a fait figure de pionnière : la commune distribue des fournitures gratuitement à ses élèves depuis 1989. Ces dernières années, les initiatives dans le même sens se sont multipliées. À la rentrée 2019, des villes aux profils aussi différents que Gennevilliers, en banlieue parisienne, et Créon, dans la campagne girondine, s'y sont mises. Et cette pratique ne se limite pas aux écoles primaires et à l'action des communes. Le conseil départemental des Bouches-du-Rhône a fait le choix, à la rentrée 2020, d'offrir un kit de fournitures scolaires aux 102.000 collégiens de son territoire, y compris ceux des établissements privés sous contrat.

Il y a même des initiatives singulières, comme celle de Courbevoie (Hauts-de-Seine) où un adjoint au maire, par le biais d'une association, grâce à des partenariats commerciaux et à grands renforts de personnalités médiatiques, organise depuis plusieurs années à chaque rentrée la distribution de milliers de cartables et fournitures scolaires. Si cette opération vise les plus défavorisés, elle profite à tous sur simple présentation d'un justificatif de domicile et d'un certificat de scolarité. Surtout, elle repose sur le principe du "premier arrivé, premier servi".

"L'école n'est pas gratuite"

Cette accélération dans la prise en charge des fournitures scolaires depuis deux ans ne doit rien au hasard. En 2019, le Comité national d’action laïque (Cnal) a en effet mené une étude sur la gratuité réelle de l’école. Son ambition ? "Débusquer ses angles morts, […] brosser un tableau des charges plus ou moins visibles qui reposent sur les familles et tenter de percevoir leur impact social." De cette étude est ressortie une conviction : "Les plus défavorisés disent que l’école n’est pas gratuite." De là à décider certains élus à mettre en place la gratuité des fournitures, il n'y avait qu'un pas.

Bien entendu, les moyens financiers consacrés à ces opérations varient selon les communes et le périmètre du dispositif. À l'occasion des élections municipales de 2020, l'Institut Montaigne avait chiffré la proposition d'un candidat à la mairie de Montpellier qui avait inclus dans son programme la gratuité des fournitures scolaires pour les 13.460 élèves des écoles élémentaires municipales. Le coût moyen retenu était de 25 euros par enfant, qui ne comprenait pas l’achat du sac ni de la trousse, conformément aux pratiques des communes ayant déjà mis en place des mesures similaires. Le coût pour la municipalité était alors estimé à 336.500 euros.

À Créon, la charge pour la mairie est 5.000 euros, soit environ 15 euros par enfant, et les parents sont invités à participer à la confection des colis. À Lille, le système mis en place varie selon le type d'école : en éducation prioritaire, la dotation par élève est de 35 euros en maternelle et 51,50 euros en élémentaire ; hors éducation prioritaire, elle s'élève à 30 euros par enfant en maternelle et à 46,50 euros en élémentaire. À Carrières-sous-Poissy (Yvelines), la dotation montait jusqu'à 126 euros par élève d'école élémentaire à la rentrée 2019, pour un budget global de 215.798 euros.

"Zone grise"

Quelle est la motivation d'une commune pour consacrer des moyens financiers importants à une dépense non obligatoire ? À Lille, la mairie explique dans un communiqué que ce choix "répond à une certaine idée [...] de la justice sociale et écologique, afin de lutter contre les inégalités sociales, au sein de l’école, qui doit être le sanctuaire de l’égalité, pour que chaque enfant ait les mêmes chances de réussite".

Cette volonté largement partagée de réaliser la promesse d'une école totalement gratuite comporte parfois quelques nuances. Ainsi, à Carrières-sous-Poissy, il s'est agi de rétablir une égalité entre élèves. La commune s'était en effet aperçue que d'une classe à l'autre, d'une école à l'autre, la liste des fournitures, et donc leur coût, pouvait varier. À Créon, le maire a jugé que l'allocation de rentrée scolaire, soumise à des conditions de ressources, ne répondait pas à la vocation universelle de l'école. Dans tous les cas, cela revient à lutter contre ce que le Cnal appelait dans son étude de 2019 la "zone grise" ou les "coûts cachés de l'école".

Pour les collectivités, cette démarche à vocation socioéconomique peut aussi faire coup double en mettant sur la table la question environnementale. La mairie de Lille précise par exemple qu'elle "encourage" les enseignants à sélectionner des fournitures ayant un faible impact sur l’environnement et à développer les pratiques écoresponsables. Pour l'heure, sa volonté en la matière ne va pas au-delà et le résultat en termes environnementaux reste donc dépendant d'un choix extérieur à la collectivité. En Gironde, si les fournitures ne sont pas offertes aux collégiens, le conseil départemental propose un guide d'achats afin d'éviter des "produits indésirables pour la santé et limiter l’impact des fournitures scolaires sur l'environnement". Allier gratuité et achats écoresponsables pourrait être le prochain défi des collectivités en la matière.