8e conférence des villes - Les grandes villes en quête de reconnaissance européenne
Les maires de Varsovie, de Gênes, de Portsmouth, d'Aberdeen, de Poznan, de Bratislava, de Ljubljana, l'adjointe au maire de Münster, le président du Conseil de Cardiff... : la 8e Conférence des villes qui s'est tenue le 11 septembre à Paris a réservé une place de choix aux élus des quatre coins de l'Europe, venus dialoguer avec leurs homologues français de l'avenir de leurs métropoles, qui sont au coeur des défis européens. "Concilier la place que les villes occupent dans l'économie mondiale avec la solidarité sociale et la protection de l'environnement et cela au bénéfice de l'homme, voilà le projet politique qui peut se construire avec et par les grandes villes européennes", a souligné Michel Destot, député-maire de Grenoble et président de l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF), organisatrice de la rencontre.
Emploi et développement économique en tête des préoccupations
Pour alimenter les débats, l'AMGVF a fait réaliser un sondage (1) sur la perception qu'ont les Français des enjeux des grandes villes européennes. L'emploi et le développement économique arrivent largement en tête (respectivement 68% et 61% des réponses), suivis de l'éducation, du logement et du vieillissement de la population. La problématique transports et déplacements apparaît par contre loin derrière (14% des réponses). Les personnes interrogées apprécient la vie dans les grandes villes en premier lieu pour l'accès aux soins (48% des réponses), le travail (43%) et la culture (42%). Viennent ensuite les commerces (35%), l'éducation (33%) et la solidarité (32%). Pour l'avenir, les Français s'affichent pro-urbains : 52% pensent que les grandes villes offriront les conditions de vie les mieux adaptées à leurs besoins. Les jeunes en sont encore plus convaincus, 67% des 18 à 24 ans formulant cette opinion. Par contre, la mondialisation fait débat : 51 % des Français estiment que les grandes villes sont prêtes à faire face à ses enjeux mais 44% pensent le contraire.
Les élus sont directement interpellés par ces défis. "Avec la mondialisation, les villes sont devenues des lieux d'échanges et ont besoin de rayonner pour attirer des investisseurs, a expliqué Anne Hidalgo, première adjointe au maire de Paris. Mais elles doivent aussi préparer l'après-pétrole, en encourageant de nouveaux modes de transport, de consommation, de gestion de l'espace, et face à un avenir incertain, elles sont en première et en dernière ligne pour faire vivre la solidarité et la cohésion sociale."
Toutes ces thématiques rejoignent les politiques européennes. "Sans les villes, l'Europe ne peut rien", a insisté Yves Gazzo, chef de la représentation de la Commission européenne en France en rappelant qu'à travers les différents programmes européens, 350 milliards d'euros sont mobilisés sur la période 2007-2013 pour soutenir le développement des PME, les projets urbains, la cohésion sociale et territoriale, les infrastructures de transport ou les projets liés à la protection de l'environnement.
Quatre tables-rondes réunissant chacune des maires de grandes villes françaises et leurs homologues de grandes cités européennes ont permis d'échanger autour des grandes priorités européennes - l'économie de la connaissance, le développement durable, la performance sociale, les politiques de solidarité dans une société multiculturelle - et de la manière dont les grandes villes contribuent à leur mise en oeuvre.
La carte de l'innovation
L'objectif défini par la stratégie de Lisbonne visant à faire de l'Europe l'économie la plus compétitive du monde est encore loin d'être atteint. Il faut d'abord que l'Union s'en donne les moyens, a souligné l'économiste Patrick Artus, déplorant que les agences oeuvrant en faveur de l'innovation disposent de budgets ridiculement bas par rapport à leurs homologues américaines, par exemple. Car selon lui, la croissance européenne ne reposera à l'avenir que sur le haut de gamme, y compris dans les secteurs de production traditionnels (sidérurgie, automobile, textile). Les grandes villes ont naturellement leur part dans la politique d'innovation. Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris, a annoncé que la capitale allait créer en 2009 sa propre agence de l'innovation et lancer des expérimentations audacieuses à très grande échelle, comme Auto'lib, un parc de 4.000 véhicules électriques en libre-service qui ouvre la voie à un nouveau modèle de déplacement individuel dans les grandes villes. Hanna Gronkiewicz-Waltz, maire de Varsovie, a cité la réussite économique de sa ville due à l'excellence de son pôle universitaire orienté vers les hautes technologies. Grâce à un important vivier de diplômés de haut niveau, la ville attire aujourd'hui 44% d'investissements étrangers et compte faire de sa technopole le pendant de celle d'Helsinki. Antoine Rufenacht, maire du Havre, a vanté les mérites de la mondialisation qui a dopé l'activité du port, aujourd'hui "au coeur des échanges internationaux", et ouvre des champs de recherche et d'innovation dans le domaine de la logistique, des systèmes d'information portuaire, etc.
Le développement durable est aussi appelé à devenir un puissant levier de croissance dans les années à venir. "Il peut donner lieu à un marché gigantesque si on incite à lancer des opérations", a souligné Michel Delebarre, premier vice-président du Comité des régions, député-maire de Dunkerque et président de la communauté urbaine de Dunkerque Grand Littoral, en citant l'exemple de sa ville qui s'est fortement engagée ces dernières années dans les aides aux économies d'énergie. Peter Stephen, maire d'Aberdeen, a expliqué comment la ville écossaise qui a longtemps fondé sa prospérité sur le pétrole et le gaz était en train de préparer sa mutation économique en misant sur les énergies renouvelables. La collectivité, qui a réduit de 25% ses émissions de gaz à effet de serre en 2007, investit actuellement aux côtés d'un partenaire privé dans un champ d'éoliennes destiné à fournir la moitié de l'électricité de la ville.
A côté des enjeux environnementaux, les grandes villes européennes sont confrontées à des défis de cohésion sociale. "Le taux de chômage en Europe est tombé à 6,8% en juillet, soit le meilleur chiffre depuis 20 ans, mais les écarts sont importants d'un pays à l'autre et la pauvreté est très préoccupante avec 16% des citoyens vivant en-dessous du seuil de pauvreté", a mis en garde Vladimir Spilda, commissaire européen à l'emploi, aux affaires sociales et à l'égalité des chances, en soulignant que l'Agenda social européen constituait aujourd'hui le paquet le plus ambitieux de l'Union avec pas moins de dix-neuf mesures. Autre difficulté : l'intégration des nouvelles populations d'origine étrangère. Entre la vision communautariste anglo-saxonne et le modèle français fondé sur la laïcité, les élus des grandes villes européennes sont encore partagés sur la question.
En revanche, ils s'accordent à dire que les grandes villes ne sont pas suffisamment reconnues au niveau des instances européennes. Louis Le Pensec, vice-président du Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE), a souligné en conclusion la nécessité de profiter de la présidence française de l'UE pour relancer l'idée de création d'une instance de consultation pour que les villes puissent mieux faire entendre leur voix à Bruxelles.
Anne Lenormand
(1) Sondage Viavoice/AMGVF réalisé en juin 2008 auprès d'un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.