Les "jeunes" seniors en Ehpad : des spécificités à prendre en compte pour réussir le "virage domiciliaire"

Les personnes âgées de moins de 75 ans vivant en établissement étaient en moyenne plus isolées, plus défavorisées socialement et plus en difficulté d’un point de vue moteur et cognitif, que les personnes du même âge vivant à domicile. Dans une étude comparative qui vient de paraître, la Drees présente en détail les caractéristiques des personnes de 60 ans et plus selon leur lieu de résidence – domicile ou établissement – et invite les pouvoirs publics à tenir compte de certaines spécificités pour réussir le "virage domiciliaire".

La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, ministères sociaux) a publié le 3 février 2023 une étude comparative sur les personnes de 60 ans ou plus selon leur lieu de vie, domicile ou établissement. A partir des enquêtes Capacités, aides et ressources des seniors (Care) qu’elle a menées en 2015 et 2016 – près de 14.000 "observations", dont trois quarts auprès de "ménages ordinaires" vivant à domicile et un quart en établissement , la Drees documente en particularité des spécificités des résidents les plus jeunes parmi ceux qui sont accueillis en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

En établissement, davantage de personnes sans conjoint ou sans enfant

Alors que 4% des personnes de 60 ou plus interrogées dans l’enquête Care vivent en établissement, cette proportion s'élève à 9% pour les 75 ans ou plus, dont près de 12% pour les femmes. Les personnes en établissement sont en moyenne plus âgées – 86 ans, contre 72 ans à domicile – et les trois quarts sont des femmes – contre un peu plus de la moitié pour les seniors à domicile. "Les personnes en établissement, surtout les plus jeunes, sont plus isolées sur le plan familial que les personnes à domicile", met en évidence la Drees. Ainsi, si seulement 13% des résidents en établissement sont en couple – contre 64% à domicile , ce taux "ne dépasse jamais 20%" en établissement "quel que soit l’âge". En outre, un quart des résidents d’établissement et 35% des hommes "n’ont aucun enfant en vie", quand cette part est de 11% pour les personnes âgées vivant à domicile. Un tiers des personnes vivant en établissement n’ont pas de petits enfants, contre 20% pour les personnes à domicile.

Le nombre moyen d’enfants est plus faible pour les résidents en établissement les plus jeunes, ce qui confirme, selon la Drees, le "profil particulier, davantage marqué par l’isolement social et par de faibles ressources", des personnes entrées "jeunes" en établissement pour personnes âgées. On trouve ainsi parmi les résidents en Ehpad une part plus importante de personnes qui étaient handicapées avant 60 ans. 10% des moins de 70 ans étaient auparavant dans un établissement pour personnes handicapées et 12% dans un service psychiatrique, selon une autre enquête.

Handicap avant 60 ans, revenus modestes, difficultés motrices et cognitives : une sur-représentation parmi les "jeunes" résidents en Ehpad

La Drees met également l’accent sur le fort écart de niveau de vie, au moins jusqu’à 75-80 ans ans, entre les personnes vivant en établissement et celles vivant à domicile. Les anciens ouvriers sont en effet sur-représentés parmi les hommes résidant en établissement, notamment parmi les hommes âgés de moins de 80 ans, et 11% des résidents – vraisemblablement des "personnes ayant eu un handicap avant leur entrée en établissement, ou des difficultés d’insertion" – n’avaient pas de profession avant l’âge de la retraite, contre 0,2% à domicile. 

Autre différence importante : les difficultés motrices et cognitives sont "importantes à tous les âges" en établissement, alors qu’elles sont bien moindres à domicile. "Les personnes de moins de 75 ans en établissement ont donc des limitations particulièrement importantes pour leur âge", ce qui "explique en partie le taux particulièrement élevé de personnes sous protection juridique en établissement". Ce dernier est "supérieur aux deux tiers pour les résidents de moins de 75 ans", alors qu’il est proche de zéro pour les personnes de cette tranche d’âge vivant à domicile.

De ces spécificités des résidents "jeunes" en établissement, la Drees tire plusieurs conclusions. La première pour les établissements eux-mêmes : "la dualité des publics accueillis en Ehpad" implique des prises en charge et des organisations différentes, afin de s’adapter en particulier "aux besoins d’aide assez importants" des personnes handicapées vieillissantes et aux besoins spécifiques des personnes ayant des troubles psychiques. Autre conclusion, à destination des pouvoirs publics, des acteurs du secteur et plus largement de la société : la réussite du "virage domiciliaire" dépendra de la capacité à prendre en compte ces caractéristiques spécifiques du point de vue de l’aide à domicile – aide ménagère, au repas, à la toilette… – et de la prise en charge médicale et paramédicale à domicile.