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Les maires de petites villes : porte-voix de "la France périphérique" ?

Pour les maires des petites villes la crise des gilets jaunes est aussi le signe d'une "fracture territoriale". S'ils se veulent des facilitateurs du grand débat national lancé mardi 15 janvier par Emmanuel Macron, ils entendent aussi apporter leurs contributions à travers une feuille de route en douze points. L'occasion pour eux de faire remonter d'anciennes revendications restées lettre morte que ce soit en matière de mobilité, de santé, de fiscalité...

Au lendemain de l’échange marathon d’Emmanuel Macron à Grand Bourgtheroulde (Eure), les maires de petites villes se jettent dans le bain du grand débat national. "La carte des ronds-points, c’est celle où nous nous situons", a clamé Christophe Bouillon, le président de l’Association des maires de petites villes de France (APVF), le 16 janvier, lors d’une conférence de presse. "On ne va pas se priver de ce débat et en priver les habitants", a dit l’ancien maire de Canteleu (Seine-Maritime). Les maires de petites villes se veulent avant tout des "facilitateurs" du débat, préférant prendre leurs distances avec l’initiative gouvernementale : "Ils n’en seront pas les co-organisateurs car ils ne sauraient être tenus pour responsables des décisions qui leur ont été imposées toutes ces années (baisse unilatérale des dotations, baisse drastique des contrats aidés, disparitions des services publics dans certaines zones de nos territoires) et qui sont en partie à l’origine de la crise actuelle", souligne l’association. Si un site a été inauguré hier, assorti d’un kit méthodologique, pour l’heure, "c’est le flou artistique", a commenté Pierre Jarlier le président délégué de l’APFV et maire de Saint-Flour (Cantal). Même si, entre temps, Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la Cohésion des territoires a écrit aux maires, mercredi, pour leur donner des instructions, avant de recevoir une délégation jeudi (lire ci-dessous notre article du jour "Grand débat : Sébastien Lecornu donne le mode d'emploi aux maires") . "Sur les territoires, certains maires prennent l’initiative de l’organisation, d’autres mettent en place des urnes de doléances (…) D’autres choisissent le contact direct dans des permanences (…) Chaque maire le fera en son âme et conscience, avec sa sensibilité (…) Mais au jour d’aujourd’hui, il n’y a pas de protocole particulier. (…) L’idée est de faire remonter les revendications, il ne s’agit pas de les interpréter, nous n’avons pas vocation à être des filtres", a développé Pierre Jarlier.

Métropolisation mal maîtrisée

Mais les maires ne sont pas là "que pour prêter des salles", "nous allons y aller avec des propositions", a déclaré Christophe Bouillon qui veut faire de cet événement un "Grenelle des territoires". "Emmanuel Macron a dit qu’il n’y avait pas de questions taboues, nous disons qu’il n’y a pas de réponse taboue (…) Nous c’est sur la crise territoriale qu’on a voulu insister." Celle de "la France périphérique". "Ce n’est pas la première fois qu’on tire la sonnette d’alarme sur une forme de métropolisation mal maîtrisée." L’association a produit une feuille de route en douze propositions, rassemblant parfois d’anciennes revendications, allant de la mobilité durable à la transition écologique, en passant par la lutte contre la désertification médicale, la revitalisation des centres-villes et la fiscalité locale. Cette feuille de route a été apportée au président du Sénat Gérard Larcher, mardi, de manière à préparer les futurs débats parlementaires qui s’annoncent âpres sur la plupart de ces sujets. Christophe Bouillon en avait déjà dévoilé la proposition phare hier, lors de ses vœux à la presse : la création d’un "fonds de solidarité territoriale" alimenté par les métropoles, l’Etat et l’Europe (voir ci-dessous notre article). Ce serait un moyen d’assurer des financements à la future Agence nationale de cohésion des territoires amenée à jouer un rôle important en matière d’ingénierie. "Il ne s’agit pas de mettre sous perfusion l’arrière-pays", "mais de contribuer à une stratégie de développement complémentaire" des métropoles, précise l’association. Le sujet se doublerait de celui sur la réforme de la fiscalité locale dont les petites villes attendent "une réforme en profondeur de la DGF". "67% des maires de petites villes ont vu leurs dotations baisser", a fustigé Pierre Jarlier en réponse à une déclaration d’Emmanuel Macron affirmant le contraire mardi.
Les maires de petites villes entendent porter l’effort sur la mobilité, sujet par lequel la crise des gilets jaunes a commencé. C’est une course contre la montre car le débat national à peine terminé, le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) débarquera au Sénat le 6 mars. L’association préconise une "prime mobilité" pour les habitants des territoires ruraux, un "pass mobilité inclusive" pour toutes personnes en difficulté, la résorption des "zones blanches" de transport qui concernent encore 80% du territoire national et, surtout, un "plan d’investissement ambitieux et urgent" sur le réseau ferroviaire et d’autres offres de mobilité (transport à la demande, covoiturage...).

Régulation de l'installation des médecins

Une autre préoccupation des maires de petites villes est la désertification médicale. L’association n’hésite pas à proposer une forme de régulation de l’installation des médecins libéraux : non-conventionnement à l’assurance maladie dans les territoires surdotés, obligation d’exercer en début de carrière dans un territoire prioritaire de santé… Des mesures qui prennent le contrepied des déclarations d’Emmanuel Macron à Grand Bourgtheroulde indiquant qu’il ne toucherait pas à la liberté d’installation. "On a tout essayé en matière incitative, à un moment ou un autre ça ne marche pas", a justifié Christophe Bouillon, comptant sur le futur projet de loi Buzyn.
L’APVF demande enfin la mise en place d’un plan Action cœur de ville à destination des "500 petites villes souffrant également de la dévitalisation de leur cœur de ville", en premier lieu celles qui avaient été pourtant retenues à l’appel à manifestation d’intérêt centres-bourgs en 2015 et celles éligibles au programme Anru. Une direction que semble vouloir prendre le gouvernement sans qu’on en connaisse pour le moment les détails. L’APVF réclame un moratoire sur la fermeture des services publics dans les centres-villes et de nouvelles mesures pour la performance énergétique de l’habitat. Elle plaide pour une affectation des recettes de la fiscalité carbone pour les territoires sous forme d’une dotation climat de 10 euros par habitant pour les intercommunalités ayant adopté un plan Climat Air Energie Territorial et de 5 euros par habitant pour les régions ayant adopté un Sraddet (schéma d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires). "Emmanuel Macron a dit que les maires étaient à portée d’engueulade, nous, on dit qu’on a des solutions à portée de main", a rétorqué Christophe Bouillon.