Les "Montebourg Boys" : dix ans au service des entreprises

La Direction générale des entreprises (DGE) fêtait le 7 décembre 2022 les dix ans des commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP). L'occasion de revenir sur cette fonction, créée en 2012 par Arnaud Montebourg, ancien ministre du Redressement productif, alors que l'urgence industrielle n'a jamais été aussi prégnante.

"Le schmilblick d'Arnaud Montebourg ne se porte pas trop mal." C'est par cette expression que Jacques Muller, délégué interministériel adjoint aux restructurations d'entreprises, a célébré les dix ans des commissaires au redressement productif, mercredi 7 septembre, à Bercy. Même si avec la crise énergétique, l'heure n'est pas à la fête. Depuis, leur nom a été changé, mais pas le sigle. Ils sont devenus les commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP). Les "Montebourg Boys", comme on les appelait quelquefois, n'étaient par tout à fait une idée originale de l'ancien ministre du Redressement productif de François Hollande, puisqu'ils s'inscrivaient dans les pas des "commissaires à la réindustrialisation" de Nicolas Sarkozy...

Lancés officiellement en 2012, les CRP ont été confirmés par Bruno Le Maire en 2018 (voir notre article du 3 juillet 2018) dans leur rôle d'accompagnateur des entreprises en difficulté de moins de 400 salariés (au-delà, c'est le Comité interministériel de restructuration industrielle-Ciri qui s'en charge), pour anticiper les défaillances et préserver ainsi l'activité économique et l'emploi dans les territoires. Rattachés aux préfets de région et aux directeurs des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets), ils sont en contact direct avec les chefs d'entreprises sur le terrain et travaillent avec les acteurs économiques locaux pour identifier en amont les difficultés et trouver des solutions. Chacun anime une cellule de veille et d'alerte précoce (CVAP) et est membre du comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi).

"Nous aidons le chef d'entreprise à gagner du temps"

Leur rôle a été particulièrement important pour aider les entreprises à faire face aux crises qui se sont multipliées ces dernières années, la crise sanitaire en premier lieu mais plus récemment les conséquences économiques de la guerre en Ukraine et la crise énergétique. Ils ont pu utiliser les dispositifs mis en place par l'État pour soutenir les entreprises, que ce soit les prêts garantis par l'État (PGE), l'activité partielle de longue durée ou le Fonds de solidarité. 288 prêts directs de l'État, avec avances remboursables et taux bonifié, ont ainsi été octroyés à des entreprises stratégiques pour un montant total de 255,2 millions d'euros, d'après un bilan de Bercy.

"Nous aidons le chef d'entreprise à gagner du temps", résume Sandrine Anstett, commissaire à la reconversion économique du territoire de Fessenheim, ancienne CRP Grand Est, qui n'hésite pas à parler de "calinothérapie" pour ces chefs d'entreprises bousculés par les crises. "Avant, on ne parlait pas de ces sujets, ou rarement, entre les services de l'État, détaille Nicolas Mornet, CRP Nouvelle-Aquitaine, il a fallu installer cette nouvelle manière de travailler". Leur rôle a évolué au fil des années, passant d'une vision généraliste à une expertise poussée, comprenant l'environnement et les contraintes d'un chef d'entreprise et sollicitant les bonnes solutions.

"Il y a bien sûr des défaillances"

Les CRP ont aussi dû s'adapter à la nouvelle répartition des compétences imposée par la loi Notr de 2015 et notamment la montée en puissance du rôle des régions en matière de développement économique. "En Nouvelle-Aquitaine, cela se passe très bien, assure Nicolas Mornet, le conseil régional est très impliqué dans ces problématiques et mobilise des moyens d'intervention importants. On se coordonne, avec un travail rapproché entre les équipes pour répondre de manière cohérente." Les situations peuvent cela dit être très différentes d'une région à l'autre, certains conseils régionaux étant plus ou moins impliqués dans la question des difficultés vécues par les entreprises.

Quant à savoir quels résultats obtiennent concrètement ces CRP, la question est plus délicate, "car il est difficile de déstocker les dossiers", explique à Localtis Nicolas Mornet. Dans sa région, 300 dossiers sont actifs, sur un millier de dossiers traités depuis dix ans. Mais si l'un d'entre eux trouve une issue positive, cela ne veut pas dire qu'il ne reviendra pas quelques mois après… "Dans le lot, il y a bien sûr des défaillances", précise le CRP, qui prévoit un avenir terne face aux crises économiques que traverse la France. "Les entreprises qui ont subi une grosse restructuration et qui redémarrent aujourd'hui avec l'aide d'un prêt ou d'un PGE vont être mises en difficulté par la crise énergétique", reconnaît-il. Jeudi matin, sur BFMTV, le patron du Medef Geoffroy de Bézieux a sonné le tocsin dénonçant le choc de concurrence qui se creuse entre les Etats-Unis et l'Europe sur le prix de l'énergie. Il brandit le risque de "délocalisations énergétiques".

1.973 entreprises accompagnées en 2021

D'après le bilan présenté en novembre 2022 par la DGE, les CRP ont accompagné près de 5.000 entreprises en dix ans, dont 57% de PME, soit l'équivalent de 317.000 emplois protégés. En 2021, 1.973 entreprises ont été accompagnées, ce qui a permis de protéger 11.700 emplois, dont plus de la moitié provenait de l'industrie manufacturière. Les autres entreprises appartenaient aux secteurs du commerce et de la réparation d'automobiles et cycles (9%), aux activités scientifiques et techniques (7%), de la construction (5%) et au secteur du transport et logistique (4%).

Parmi les entreprises aidées : en Ile-de-France, la société Osborn Metals SAS, spécialisée dans la fabrication des profils et des tubes spéciaux destinés à l'industrie aéronautique, a pu rebondir au printemps 2021 après avoir été fortement impactée par la crise sanitaire. Le CRP lui a proposé la mise en place d'une avance remboursable pour couvrir son besoin en fonds de roulement et financer ses projets d'investissements. Grâce à cela, l'entreprise a pu lancer une nouvelle activité. En Normandie, l'entreprise Forum+, une enseigne d'aménagement et de décoration qui faisait face à une perte de chiffre d'affaires à la suite des fermetures imposées par la crise sanitaire, a bénéficié d'un prêt à taux bonifié de 500.000 euros pour financer ses projets de déménagement et rebondir.