Les pistes de la Cour des comptes pour conforter l'autonomie des collectivités

Dans le deuxième fascicule de son rapport sur les finances publiques locales 2023, qu'elle a publié ce 24 octobre - elle avait publié le premier en juillet -, l'institution de la rue Cambon analyse le principe de libre administration des collectivités sous trois angles : l’autonomie financière, la péréquation des ressources et la contractualisation. La Cour ne fait pas toujours dans la demi-mesure, par exemple sur les voies et moyens de renforcer la dimension péréquatrice des concours financiers de l'État aux collectivités.

Passant au crible la notion d'autonomie financière des collectivités, la Cour des comptes juge, dans le rapport, que celle-ci serait confortée par la mise en place, pour chaque catégorie de collectivités, de dispositifs de mise en réserve financière. Une proposition qu'elle avait déjà faite dans de précédents travaux. Par exemple, une fraction de la croissance des recettes de TVA serait affectée à ces "fonds de résilience", qui seraient mobilisés en faveur des collectivités les plus fragilisées, lorsque "des baisses du montant des recettes de TVA inférieures à un certain seuil" seraient constatées. L'État ne soutiendrait plus les collectivités qu'"en cas de baisses de grande ampleur".

Pour la Cour, les mécanismes de mise en réserve de recettes devraient être définis entre l'État et les collectivités dans le cadre des travaux du Haut Conseil des finances locales, nouvelle instance de dialogue mise en place en septembre par le gouvernement (voir notre article du 19 septembre).

On sait que la préconisation de la Cour a retenu l'attention du gouvernement. Au printemps, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, avait en effet proposé aux élus locaux d'étudier la mise en œuvre de "dispositifs d'auto-assurance", mais sans susciter beaucoup d'enthousiasme. "Aujourd'hui, c'est toujours à l'état de réflexion et d'étude", déclarait le ministre délégué chargé des comptes publics, Thomas Cazenave, dans une interview le 25 septembre à la Gazette des communes.

"Saupoudrage" des dotations de péréquation

Les analyses de la Cour sur l'autonomie la conduisent à s'intéresser longuement à la péréquation financière. Un principe constitutionnel qui se traduit par des dispositifs de solidarité d'un montant total de 13,1 milliards d'euros en 2022. Le but : garantir aux collectivités les plus fragiles les moyens d'assurer leurs compétences et donc "une réelle autonomie". Mais la mise en œuvre de cette belle idée pâtit d'un "saupoudrage", selon la Cour. "Plus de 97% des communes bénéficient à un titre ou à un autre de la péréquation, même pour des montants modiques. Cela conduit à réduire les moyens pouvant être consacrés aux communes qui en ont le plus besoin", critique-t-elle. En proposant des solutions choc, qui cumulent un "ciblage accru" de la péréquation en faveur des collectivités défavorisées et un renforcement des moyens de la péréquation, uniquement à la charge des collectivités.

La Cour avance des solutions plus précises : la poursuite de la réduction de la dotation forfaitaire au profit des dotations de péréquation du bloc communal, la reprise de la hausse du fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) - laquelle s'est arrêtée en 2016 pour porter le dispositif à 1 milliard d'euros -, ou encore le renforcement du fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux perçus par les départements (1,9 milliard d'euros en 2022). On notera, s'agissant de la proposition de hausse du Fpic, qu'une association d'élus telle que France urbaine (grandes villes et leurs intercommunalités) n'y est pas nécessairement hostile, mais à condition qu'elle soit précédée d'une "refondation" du fonds, peut-on lire dans la partie du rapport consacrée aux réponses données à la Cour.

Répartir autrement les concours financiers de l'État

Les magistrats financiers misent aussi sur l'intercommunalité, préconisant une généralisation des pactes financiers et fiscaux et de l'attribution des dotations de solidarité communautaire (DSC). Ils réitèrent, par ailleurs, leur recommandation en faveur du versement de la dotation globale de fonctionnement (DGF, 26,9 milliards d'euros en 2023) "au niveau intercommunal" (alors qu'aujourd'hui, l'État verse directement à chaque commune la DGF qui lui revient). "Il conviendrait par ailleurs d’encourager plus fortement les communes de petite taille à se regrouper au sein de communes nouvelles", ajoute la Cour.

Dans le but d'améliorer l'efficacité de la péréquation en direction des collectivités, l'institution pousse également à une révision des modalités de répartition des transferts financiers de l'État. Elle propose ainsi la réduction d'une partie du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) au profit d'un accroissement des dotations d'investissement, celles-ci pouvant être réparties en fonction d'objectifs de péréquation. Autre préconisation : la répartition des compensations de transferts de compétences et de suppressions d’impôts locaux (y compris la taxe d'habitation et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) en fonction des ressources et des charges des collectivités, et non de situations héritées de l'histoire. Ce qui fait bondir Régions de France. Dans une réponse à la Cour, les régions déclarent s'opposer "fermement à tout encadrement de la dynamique des fractions de TVA qui leur ont été allouées". France urbaine est aussi vent debout contre cette idée.

Le maquis de la contractualisation

De son côté, la Première ministre déclare aux magistrats partager leur analyse sur le "renforcement de la dimension péréquatrice des concours financiers de l'État aux collectivités", ainsi que le "constat émis sur la possibilité de renforcer" les dispositifs de solidarité financière entre les collectivités. "La dispersion des attributions au sein des dotations de péréquation doit (…) être relativisée", estime-t-elle cependant. Bien que, par exemple, la dotation de solidarité urbaine (DSU) soit attribuée à deux tiers des communes de plus de 10.000 habitants, celle-ci "demeure très concentrée", indique Élisabeth Borne. Qui considère, par ailleurs, que "la poursuite du redéploiement des dotations forfaitaires vers de la péréquation, au sein de la DGF des communes, semble difficilement soutenable".

Conséquence de l'autonomie des collectivités et du besoin de coordination avec l'État, la contractualisation s'est beaucoup développée, au point de devenir un véritable maquis. Contrats, conventions, chartes, engagements… sont au nombre de "plusieurs milliers", mobilisant des sommes dont les montants totaux ne peuvent être déterminés exactement, analyse la Cour dans un autre chapitre. Certes apprécié pour sa souplesse, ce mode d'intervention atteint pourtant ses limites, souligne-t-elle, en dépit des tentatives de simplification que constitue par exemple la création des contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Ainsi, la multiplicité des contrats constitue "un défi en termes de suivi et de gestion pour les collectivités".

Pour des dispositifs contractuels "plus accessibles"

"Les dispositifs contractuels doivent être rendus plus accessibles aux collectivités, notamment celles de petite taille ou fragiles, qui ne disposent pas toujours des compétences techniques nécessaires", préconisent les magistrats. Qui appellent en outre à circonscrire le recours, en parallèle, aux appels à projet et à manifestation d’intérêt. L'objet de ces derniers "devrait être recentré sur les projets expérimentaux et de différenciation des politiques publiques selon les territoires", suggèrent-ils. Une recommandation qui sera appréciée par les élus locaux. Il convient, poursuit la Rue Cambon, de mieux intégrer les dispositifs contractuels territorialisés aux CRTE et aux contrats de plan État-région (CPER) et de renforcer l'articulation de ces deux outils entre eux.

"Les conclusions des magistrats appelant à privilégier le CRTE comme contrat intégrateur" sont "saluées" par Intercommunalités de France, dans sa réponse. Les CRTE pourraient s’adosser à des engagements pluriannuels regroupant et consolidant l’ensemble des financements publics", estime l'association d'élus.

Selon la Cour, "la dégradation de la conjoncture économique" en 2023 a "des effets sensibles sur les finances publiques locales". Avec à la clé des "évolutions divergentes entre le bloc communal et les départements et les régions". À fin septembre 2023, l’épargne des communes et de leurs groupements "continuerait à augmenter", tandis que "celle des régions et, plus encore, des départements chuterait". Toutefois, les dépenses d’investissement des collectivités, y compris des départements et des régions, continueraient à augmenter. Par ailleurs, malgré la hausse d'un point, au 1er janvier prochain, des cotisations retraite dues par les employeurs territoriaux, la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) restera déficitaire, s'inquiète la Cour. "Une hausse continue des taux de cotisation des employeurs territoriaux et hospitaliers apparaît nécessaire afin de résorber le déficit croissant" du régime de retraite, préconise-t-elle.