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Congrès de l'ADF - Les présidents de département affichent leur désunion

Le 83e Congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF) s'est ouvert de façon plutôt hétérodoxe : les élus de la droite et du centre ont d'emblée quitté les lieux. Il s'agissait pour eux de protester, pêle-mêle, contre la baisse des dotations, le projet de loi Lebranchu, la loi Valls... tandis que les élus de gauche font surtout valoir les avancées récentes sur le financement des allocations de solidarité. Ces derniers préparent toutefois des amendements au projet de loi de finances, notamment sur la hausse des droits de mutation.

D'entrée de jeu, un petit coup de théâtre assez spectaculaire… Le 83e Congrès de l'Assemblée des départements de France venait de s'ouvrir, ce jeudi 10 octobre à Lille, par les propos introductifs de l'hôte Patrick Kanner, le président du conseil général du Nord, et de Claudy Lebreton, le président de l'ADF. Une entrée en matière certes plutôt énergique mais sans grande surprise… Jusqu'à ce que Marie-Françoise Pérol-Dumont, présidente du conseil général de Haute-Vienne et chef de file des présidents de groupe majoritaire (de gauche, donc) vienne lancer un appel aux élus de droite : "Ne vous trompez pas de congrès, ne partez pas, revenez sur votre décision !"
Ceux qui n'en avaient pas été informés en coulisse depuis quelques jours comprenaient ainsi que le groupe Droite, centre et indépendants (DCI) de l'ADF avait décidé de quitter prématurément le congrès. En leur nom, Bruno Sido, président de la Haute-Marne, est venu le confirmer. Et annoncer par la même occasion que les 41 départements présidés par la droite et le centre avaient décidé de "suspendre" le versement de leurs cotisations à l'ADF "jusqu'à ce que celle-ci redevienne le fer de lance résolu et indépendant des départements". Les cotisations ayant été versées pour 2013, cette décision est pour l'heure surtout symbolique, mais implique de fait que ces élus se mettent en congé de l'association. Ce qui s'est immédiatement traduit par le fracas d'une quarantaine d'élus quittant la salle de congrès de Lille Grand Palais (certains,  semble-t-il, le faisaient toutefois un peu à contrecœur). "Nous n'avons plus rien à faire dans ce congrès dont les dignitaires, non contents de ne pas entendre, sont devenus muets", avait lancé Bruno Sido.
Dans la salle brusquement presque à moitié vide, on a beaucoup parlé de "coup" médiatique et politique "préparé de longue date" et piloté par la direction de l'UMP à l'approche des municipales. On a aussi regretté que les élus de droite se soient "trompés de jour et de lieu" au moment où les départements auraient plus que jamais besoin d'afficher leur détermination et leur unité. On a, enfin, considéré que le congrès devait "se poursuivre" presque comme si de rien n'était…

Ovnis et crocodiles

Certes, ce n'est pas la première fois qu'un congrès de l'ADF connaît de tels soubresauts. En 2005, les élus de droite avaient boycotté le rendez-vous donné à Valence. A Rodez, alors que l'association qui s'appelait encore l'APCG était présidée par Jean Puech, les élus de gauche avaient quitté les lieux avant l'arrivée de Jacques Chirac en tant que chef de l'Etat. Certes, le différend n'est pas dénué de part et d'autre d'arrière-pensées politiques voire, sur certains points, de mauvaise foi. Le fond de l'histoire reste toutefois intéressant.
En gros, les élus de droite reprochent à l'ADF une certaine "complaisance" vis-à-vis du gouvernement. Et, surtout, affirment que les départements n'ont jamais été aussi malmenés. Bruno Sido a évoqué le projet de loi de modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles dont il fustige la complexité ("pôles métropolitains, pôles d'équilibre, haut conseil des territoires, CTAP… ce n'est plus le millefeuille, ce sont des lasagnes…").
Il est, surtout, revenu sur la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF). La part des départements dans la baisse annuelle de 1,5 milliard serait de 476 millions d'euros. "On nous supprime plus de 450 millions deux années de suite. Donc les 830 millions d'euros de ressources nouvelles qui nous ont été annoncés avec les frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties ne le compenseront même pas", a-t-il détaillé, parlant d'une "équation budgétaire impossible… sauf pour certains départements comme la Corrèze ou le Tarn", en allusion non déguisée à la polémique sur la répartition du fonds de soutien aux départements en difficulté (voir ci-contre notre article du 18 septembre).
Bruno Sido a, enfin, fustigé la loi Valls et les "dentellières de la place Beauvau". En cause, évidemment, le redécoupage des cantons et le mode de scrutin choisi pour les futurs conseils départementaux, que l'élu de Haute-Marne qualifie d' "ovni institutionnel" (tiens, n'est-ce pas un terme que l'on avait pu entendre à gauche au sujet du conseiller territorial voulu par Nicolas Sarkozy ?). Pour lui, deux élus sur un même canton, c'est un peu mettre "deux crocodiles dans le même marigot"…

La "victoire" de l'amendement Dinet

Du côté du groupe majoritaire de l'ADF, on s'empresse de mettre en avant ce qui a été obtenu auprès du gouvernement s'agissant de la prise en compte du problème de financement des trois allocations individuelles de solidarité (RSA, APA, PCH). Et, pour commencer, on se réjouit du fait que le dialogue Etat-départements a enfin été "renoué" alors que les départements ont "été considérés depuis dix ans comme des moins que rien", selon les termes de Didier Guillaume, président du Doubs. Ce que l'on nomme désormais "les accords du 16 juillet" (voir notre article ci-contre) sont considérés comme un élément fondateur même si, a reconnu Claudy Lebreton, "des négociations sont encore en cours, ce n'est qu'une étape". "On est encore loin du compte mais c'est un premier pas", juge pour sa part Christian Favier, président PCF du Val-de-Marne.
"Le fait d'avoir fait accepter l'idée que le RSA relève de la solidarité nationale est en soit une victoire", assure le président de l'ADF, parlant de l'"amendement Dinet". L'intéressé, Michel Dinet, président de Meurthe-et-Moselle, rappelle à ce sujet ce qui constitue l'exigence de l'ADF pour le moment : que le total des nouvelles ressources accordées (le fonds de compensation de 830 millions et la possibilité de relever les DMTO, pour un montant théorique de 1,3 milliard), soit 2,1 milliards, soit bien au rendez-vous pour compenser le reste à charge lié au RSA.
A ce sujet, tous les orateurs, que ce soit à la tribune ou dans la salle, ont insisté sur un point : il faut absolument qu'un amendement au PLF soit déposé – et adopté… - au sujet du relèvement des DMTO. Pour le moment, le PLF prévoit de donner la possibilité aux départements de faire passer, par délibération, le plafond de ces droits de mutation, en 2014 et 2015, de 3,8 à 4,5%. Mais dans ce cas, combien de départements décideront effectivement ce relèvement ? Et quel sera alors le rendement total de la disposition ? Et comment répartir la manne si tous n'y ont pas contribué ?

Nationaliser la hausse des DMTO

Du fait de ces interrogations, la majorité de l'ADF plaide pour un dispositif un peu différent : il faudrait que l'augmentation du plafond du taux soit la règle pour tout le territoire national (avec, éventuellement, la possibilité pour les départements qui le voudraient d'y déroger par délibération contraire). "Si on est à 4,5% partout, on sera sûrs d'avoir 1,3 milliard à répartir", résume l'un des élus. Les mauvais esprits ajouteraient peut-être qu'ainsi, les élus départementaux n'auront pas à porter la responsabilité de cette hausse des DMTO vis-à-vis de leurs administrés…
Au-delà de ces ajustements, il est clair que la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) a attisé les tensions ayant débouché sur le clash de ce 10 octobre… et garde un arrière-goût amer y compris parmi les élus de gauche. "J'ai eu l'occasion de dire que ce n'était pas forcément une bonne mesure pour l'investissement local", a reconnu Claudy Lebreton, tandis que Marie-Françoise Pérol-Dumont se risquait à déclarer : "Cette baisse ne fait plaisir à personne mais elle était inéluctable."