Education - Les programmes de réussite éducative : deux évaluations sèment le doute

Le CGET publie deux évaluations a priori contradictoires des programmes de réussite éducative (PRE). La première, réalisée par des chercheurs de l'Institut des politiques publiques (majoritairement des économistes), constate "une absence d'effet des parcours PRE sur la situation des enfants". La seconde, menée par le cabinet "Trajectoires", conclut que "le programme de réussite éducative est une condition indispensable à la réussite scolaire". Le CGET en tire une série de pistes de réflexion.

Après l'enquête sur les 493 projets (ou parcours) de réussite éducative (PRE), le commissariat général à l'Egalité des territoires publie deux études, l'une quantitative, l'autre qualitative, commandées dans le but d'établir le premier bilan global de ce dispositif et quelques préconisations pour l'avenir.
La première étude, réalisée par des chercheurs de l'Institut des politiques publiques (IPP), porte sur des enfants de 133 écoles de territoires prioritaires de la politique de la ville. Ils ont été interrogés, ainsi que leurs parents, leurs enseignants et leurs coordonnateurs PRE quand il y a lieu. Car la particularité de la méthodologie est d'avoir travaillé sur deux échantillons : l'un constitué de 102 écoles accueillant au moins un élève bénéficiaire d'un PRE (soit 404 enfants) ; l'autre constitué de 31 écoles "témoins" situées dans des territoires comparables mais n'étant pas bénéficiaires d'un PRE. L'idée étant que "si les deux groupes d'enfants sont parfaitement comparables avant mise en place des parcours, alors toute différence d'évolution entre les deux groupes est imputable au parcours, qui est tout ce qui distingue (en moyenne) les deux groupes".

Des PRE sans effets   

Et là, les résultats sont cinglants, les chercheurs n'ont trouvé "aucun indice pouvant faire penser que les PRE ont, en moyenne, fait progresser les enfants bénéficiaires davantage que les enfants témoins".
Autant le dire tout de suite, l'Association nationale des acteurs de la réussite éducative (Anaré) conteste cette évaluation qu'elle juge "à charge, réductrice et impressionniste". Elle conteste notamment la méthodologie employée avec la constitution des groupes témoins, et "le caractère extrêmement scolaro-centré de cette évaluation". Elle s'interroge également sur la pertinence d'une équipe de recherche composée "majoritairement par des chercheurs en économie (et seulement une chercheure en sciences de l'éducation)"…
Les résultats si dérangeants de l'IPP font tout d'abord apparaître que "le bien-être psychologique et le comportement des enfants semblent peu affectés par la prise en charge en PRE", ainsi que leur progrès en mathématiques et en français. Pire : "les relations aux autres (estime de soi sociale, problèmes avec d'autres enfants de l'école) se dégradent même légèrement pour les enfants en parcours relativement aux enfants du groupe témoin". Idem pour la motivation pour l'école. Tout juste constate-t-on "une amélioration de l'assiduité scolaire significativement plus forte chez les bénéficiaires que chez les élèves témoins".

Comparaison américaine

Et ce n'est pas mieux du côté des parents qui "bien que jouant en théorie un rôle important dans les parcours", ne connaissent "pas d'évolution spécifique relativement aux parents des élèves du groupe témoin, tant dans leur relation à l'école que dans leur perception de l'accès aux services". Comme si le PRE devenait un "intermédiaire" entre les parents et l'école, conduisant les parents à s'impliquer encore moins.
Comparant le programme français aux programmes américains "proches dans l'esprit et dont les effets très positifs ont été démontrés par la recherche", l'équipe de l'IPP voit une différence de taille. En France, on offre des activités (sportives, séjours en centres de loisir, soutien scolaire...) qui sont déjà disponibles localement, mais "pas développées spécifiquement en vue de ce public en grande difficulté". Autre différence de taille : "les programmes américains positivement évalués coûtent environ dix fois plus cher que les parcours PRE"... "Un effort beaucoup plus important de l'Etat est peut-être la condition pour faire face aux défis immenses présentés par les enfants dans des situations sociales très difficiles", lancent les chercheurs.

Le PRE ne peut pas non plus faire de miracle

Changement de ton avec l'étude qualitative menée par les consultants du bureau d'études Trajectoires à partir de 128 entretiens réalisés dans le cadre de 8 PRE (*). "Le programme de réussite éducative est une condition indispensable à la réussite scolaire", conclut cette seconde étude. Mais dans le détail, il apparaît effectivement que pour une partie des enfants suivis en PRE, le dispositif ne peut pas faire de miracle.
Trajectoires a ainsi distingué quatre groupes d'enfants pris en charge, dont deux seulement verront un effet bénéfique – et indispensable – du PRE. Passons vite sur le premier groupe, composé des enfants ayant des difficultés dans les apprentissages scolaires liées à un manque de travail, de méthode, ou d'aide aux devoirs, et dont un soutien scolaire classique pourrait suffire.
Le cœur de cible des PRE (le second groupe) se porte sur des enfants qui rencontrent "une fragilité dans un domaine particulier qui met en péril leur capacité à apprendre" : une mauvaise estime de soi, un problème de santé, un événement familial qui déstabilise...

Anticiper le décrochage

On retrouve ces difficultés chez les enfants du troisième groupe, qui cumulent avec un contexte familial "plus fragile". Ici, le référent PRE a un gros travail avec les parents pour les inciter à se "mobiliser peu à peu". "S'il y a peu, voire pas, d'effets sur les résultats scolaires des enfants, le parcours personnalisé leur permet d'entrer ou de rester dans les apprentissages, en lien positif avec l'institution scolaire", soulignent les consultants. L'objectif étant de résorber à moyen ou long terme "les obstacles à la réussite scolaire, d'éviter l'ancrage d'une démotivation scolaire pouvant mener à des situations de décrochage".
Enfin, le quatrième groupe d'enfants est marqué par un cumul de fragilités (avec situation d'hébergement ou de logement très précaire, violences intrafamiliales...) avec des parents "devant faire face à de multiples fragilités, (et qui) ne sont pas en mesure de se mobiliser dans la durée". "Dès lors, le PRE n'est pas en mesure, seul et dans un temps d'accompagnement restreint, d'impacter durablement la situation et doit nécessairement agir en forte coordination avec le droit commun" auquel le PRE ne saurait se substituer.

Les préconisations du CGET

A partir de ces deux travaux d'évaluation si différents dans leur conclusion, le CGET ouvre des pistes à approfondir "pour faire évoluer significativement et rapidement le programme de réussite éducative". Ces pistes d'amélioration font actuellement l'objet d'une réflexion plus large dans le cadre d'un groupe de travail partenarial mis en place par le CGET avec le concours du ministère de l'Education nationale et les acteurs impliqués de la réussite éducative.
La première piste consisterait naturellement à "mieux prendre en charge les enfants orientés vers les PRE", notamment en "centrant sur les enfants pour qui le dispositif est le plus efficace" (en résumé le groupe 2 et 3 selon la classification de Trajectoires). L'idée étant qu'avoir une meilleure connaissance de la diversité des publics (connaissances à partager avec l'Education nationale) permettra de "conduire à une modulation du type et du niveau de prise en charge des enfants repérés". Ces orientations, en cours de discussion au niveau national, devraient faire l'objet d'une déclinaison locale.
Et pour les enfants les plus en difficulté, il faudrait ouvrir une prise en charge spécifique en lien avec les "services compétents" (CAF, conseil départemental, services sociaux de l'Education nationale…).

Une échelle plus intercommunale

Le CGET recommande également de "renforcer le lien entre le PRE et l'Education nationale", en se répartissant mieux les rôles : "l'enseignant demeure le chef de file concernant la scolarité et la réussite scolaire de l'enfant ; pour autant, le référent PRE doit être en capacité de mobiliser les leviers pour agir sur tous les déterminants permettant d'optimiser les enseignements". Il est proposé que les enseignants en REP+ puissent voir intégrer dans leurs missions ces rendez-vous avec les référents de parcours.
Enfin, le CGET réfléchit à "améliorer l'architecture des PRE". Dans ce cadre il voudrait que l'échelle intercommunale soit davantage prise en compte dans la gouvernance des PRE "afin de valoriser toutes les ressources disponibles sur un territoire, tout en maintenant l'opérationnalité du dispositif à l'échelle communale". Il a engagé une réflexion sur le rôle et les missions des coordonnateurs de PRE, "notamment sur le renforcement des liens avec les enseignants et les services chargés des questions de parentalité et des familles en grande difficulté (conseils départementaux, CAF)".

Valérie Liquet

* Les PRE retenus sont : Stains, Pantin, Villeneuve-d'Ascq, Villers-Saint-Paul, communauté d'agglomération du Pays Voironnais, Pays Viennois, Rillieux-la-Pape, Montpellier.



 

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis