Congrès des maires – Les relations rural-urbain à l'heure de nouvelles solidarités

Les transitions en cours conduisent à une "inversion des dépendances" entre le rural et l'urbain. Celle-ci se traduit par la multiplication des "contrats de réciprocité" (environ 200) sur le territoire. Mais les ruraux attendent toujours une juste rétribution des services qu'ils rendent à la Nation, à travers les "aménités rurales".

Les ruralités sont "porteuses d’aménités écologiques et environnementales insuffisamment reconnues à leur juste valeur : paysage, eau, biodiversité, services écologiques rendus par les écosystèmes". En 2019, le rapport de préfiguration de l'Agenda rural mettait ces "aménités" - à savoir les bienfaits apportés au reste du pays - à l'honneur. Mais il a fallu attendre la suite de cet agenda, avec le plan France ruralités dévoilé au mois de juin, pour voir le début d'une juste rétribution, à travers la dotation Biodiversité portée à 100 millions d'euros (soit un doublement) dans le budget 2024.

Pour les maires ruraux, on reste quand même loin du compte, surtout par rapport aux 27 milliards d'euros de la dotation globale de fonctionnement dont ils contestent les clés de répartition. "L’espace doit être considéré comme une valeur importante pour la Nation, il faudrait qu'il puisse avoir une valeur économique, voire un prix", a déclaré Cécile Gallien, maire de Vorey-sur-Arzon, mercredi 22 novembre lors d'un débat intitulé "Rural et urbain : la solidarité ne se décrète pas, elle se construit", organisé dans le cadre du Congrès des maires. Ancien membre de la mission Agenda rural, elle plaide en ce sens depuis plusieurs années. Entretemps, les confinements ont fait redécouvrir aux Français les joies de la campagne, entraînant même un mouvement de "migration interne des urbains vers les territoires ruraux", a souligné l'élue. Pas l'"exode urbain" que d'aucuns se sont plu à dépeindre, mais l'accélération de tendances préexistantes. Et aujourd'hui, les territoires ruraux ne sont plus dans la position de faire l'aumône. Les nouvelles définitions de l'Insee qui les reconnaît enfin en tant que tels ont montré qu'ils recouvraient 80% du territoire national et un tiers des habitants. Et ce sont des territoires productifs : ils concentrent 30% des emplois industriels. 70% le sont dans des villes de moins de 20.000 habitants, a rappelé Cécile Gallien.

"Inversion des dépendances"

La transition écologique a aussi contribué à changer de regard, après l'ère du tout-métropole. "J'ai souvent eu le sentiment que la métropole nous faisait grâce de ses services (mobilités, piscine, etc.). On était un peu redevables", a illustré Christine de Neuville, maire de Vicq-sur-Breuilh (Haute-Vienne), une commune de 1.300 habitants, dans la périphérie de Limoges. "Dans les temps où nous sommes, je ne crois pas que les ruraux et les urbains soient réellement conscients de l'inversion des dépendances." La loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables du 10 mars 2023, prend-elle pour exemple, fait des territoires ruraux "les terres d'accueil des sources de production d'énergie". "Sans nous la Nation n'y arrivera pas." "Mais comment est-ce que cette tendance inversée est reconnue ? Je ne suis pas sûre que ce soit rentré dans la tête de tout le monde", a-t-elle déploré devant la secrétaire d’État chargée de la Biodiversité, Sarah El Haïry, qui a eu du mal à se départir de son narratif sur la planification écologique et la "biodiversité du quotidien". Pour l'élue, il est impératif de prendre en compte le choix des habitants, par exemple pour ce qui est déploiement des éoliennes et autres parcs photovoltaïques.

C'est bien le sentiment d'une France à deux vitesses entre métropoles et périphérie qui a nourri la crise des gilets jaunes. Mais un peu partout des communes s'attachent à "tricoter" des liens nouveaux, pour reprendre l'expression d'Agnès Thouvenot, adjointe au maire de Villeurbanne, déléguée à la transition écologique, la ville durable, l’urbanisme et l’habitat. À l'archipel français de Jérôme Fourquet - cette juxtaposition de communautés qui se regardent en chiens de faïence -, ces élus veulent opposer un "archipel de communautés d'intérêts". En partant de la commune plutôt que de l'intercommunalité.

C'est justement le cas de cette surprenante coopération entre Villeurbanne, dans la périphérie de Lyon, et Le Teil, petite commune ardéchoise de 9.000 habitants. Rien ne les prédestinait à se rapprocher. Le tremblement de terre du Teil en 2019 avait à peine été effleuré dans le journal de Villeurbanne, relate l'élue qui évoque cependant un "coup de foudre". La rencontre a eu lieu dans le cadre de retours d'expériences sur les territoires zéro chômeurs de longue durée. Les deux communes ont réalisé qu'elles avaient beaucoup en commun, des difficultés partagées – décrochage d'une partie de la jeunesse, chômage – mais surtout des intérêts à coopérer. Aujourd'hui Le Teil met à disposition ses friches industrielles pour accueillir des artistes et des artisans villeurbannais. "On prend en charge la première année, le temps de trouver un modèle économique, on a un rôle d'incubation", a témoigné Olivier Peverelli, le maire du Teil. La commune a aussi racheté quatre bistrots qu'elle a mis en gérance et confié à des Villeurbannais. Inversement, cinq jeunes Ardéchois vont poursuivre leurs études dans la métropole lyonnaise en étant logés dans le parc de logement sociaux de Villeurbanne. Et des familles villeurbannaises ou des sans-abri vont pouvoir passer des vacances au Teil. "On a accueillis des jeunes Villeurbannais qui n'étaient jamais sortis de leur quartier. Ils ont participé à un festival des arts du cirque", raconte aussi l'élu.

Mutualisme territorial

Ces "contrats de réciprocité" ou alliances entre les territoires avaient été initiés sous François Hollande, en 2015. Les premières expériences n'ont pas toujours été couronnées de succès, comme l'a rappelé Josiane Corneloup, présidente de l'Association nationale des pôles territoriaux et des pays (ANPP), citant l'exemple de Toulouse qui a dû revoir sa copie. La coopération Lyon-Aurillac a même été abandonnée. Mais sans faire de bruit, la greffe est en train de prendre. Pas moins de 200 contrats sont en cours de déploiement, selon la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, Dominique Faure, pour qu'il faut "tourner le dos à cette rhétorique de séparation entre les territoires". Elle propose d'avancer sur cinq axes : l'alimentation, le tourisme, la culture, l'emploi et les mobilités. De son côté l'ANPP a publié un vade-mecum intitulé "Faire territoire : coopérons pour réussir nos transitions". Après le mutualisme social créé au XIXe siècle, l'heure n'est-elle pas au "mutualisme territorial" ?, a interrogé Agnès Thouvenot.

Christine de Neuville craint cependant que certains contrats de réciprocité se transforment "en petits accords plus au moins locaux, plus au moins larges" et qu'ils génèrent des "frustrations". "Est-ce qu'on ne peut pas imaginer de les rendre plus appétents, plus incitatifs, voire obligatoire à partir d'une certaine taille ? On ne peut pas se contenter de dire bravo à ceux qui font bien", a-t-elle tempéré. Ce "retournement de cerveau" doit s'accompagner d'un effort financier. "Je ne peux pas me contenter de dire aux habitants qu'ils travaillent au service de la Nation."

 

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