Services express régionaux métropolitains - "L’expérience francilienne ne sera pas la seule à alimenter les territoires", selon le président de la Société des grands projets

La loi du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains (Serm) a notamment renforcé le rôle de la Société du Grand Paris, la transformant en une Société des grands projets (SGP) que les collectivités locales concernées peuvent désormais solliciter. A la veille d'un colloque national sur les Serm organisé par le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) à Bordeaux, Jean-François Monteils, président du directoire de la SGP, revient pour Localtis sur ces différents changements et leurs conséquences.

Localtis - Le législateur a fait de la Société du Grand Paris une Société des grands projets pour qu’elle puisse apporter son expertise aux futurs services express régionaux métropolitains (Serm). Un simple changement de périmètre géographique ?

Jean-François Monteils - Pour notre société, c’est un changement très important, qui va bien au-delà du seul périmètre géographique. Il s’agit d’une extension du principe de spécialité de notre établissement public. La SGP n’est plus "monoproduit" ; elle passe d’une société de projet, au singulier, à une société de projets, au pluriel. Évidemment, la SGP continue d’être encadrée par le principe de spécialité, mais la loi nous ouvre un champ d’intervention beaucoup plus large, ne serait-ce effectivement que géographique, mais pas seulement.

La loi de 2023 ne s’inscrit en outre pas dans le même contexte que la loi de 2010 instituant la SGP. Si la loi de 2010 avait assis la compétence de l’État sur le Grand Paris Express [voir notre article du 7 septembre 2019, ndlr], celle de 2023 n’emporte pas de changement de compétences. Elle introduit un mode de relations différent avec les collectivités compétentes, en disposant que ces dernières peuvent faire appel à la SGP pour prendre part à l’élaboration de leur projet de Serm. Ce n’est pour elles qu’une option. 

Il faut encore observer que le point d’entrée de la loi de 2023, relative aux services express régionaux métropolitains, ce sont les services que l’on veut rendre aux usagers, qui passent avant les infrastructures. Si c’était sous-jacent dans la loi de 2010, cela n’était pas exprimé. C’est néanmoins déjà une réalité pour la SGP, particulièrement prégnante depuis mon arrivée. Quand j’entre en fonction, je ramasse les fruits du travail considérable accompli par mes prédécesseurs en matière de génie civil, d’articulation entre les infrastructures et les systèmes… et je commence du coup à travailler sur les gares, sur l’urbanisation, bref à concrétiser cet aménagement urbain s’appuyant sur les transports. Rappelons que la loi de 2010 disposait d’emblée que "le Grand Paris est un projet urbain, social et économique d'intérêt national (…) qui s'appuie sur la création d'un réseau de transport public de voyageurs". C’est donc un changement important, mais dans la continuité, au moment où ce qu’on a fait pour le Grand Paris Express arrive à maturité. Gageons que le législateur n’aurait d’ailleurs pas envisagé cette mue s’il n’avait pas eu la conviction que l’expérience et la compétence de la SGP n’étaient pas de bons atouts pour les Serm.

Concrètement, comment ces collectivités devront-elles vous solliciter pour cette mission de préfiguration ? Un appel d’offres sera-t-il nécessaire ?

L’intervention de la SGP ne se fera pas dans le cadre concurrentiel, mais d’une prestation in house. En amont, il faudra que le ministre chargé des transports l’autorise, puisque l’intervention de la SGP repose sur la labellisation prévue des Serm. Le ministère s’emploie à finaliser ce cadre juridique.

Concrètement, cela passe aussi par un temps d’échanges avec les collectivités pour leur expliquer ce que nous faisons. Ce travail a commencé depuis près d’un an maintenant, après que la Première ministre a reçu en février 2023 le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures [voir notre article du 24 février 2023, ndlr]. Aujourd’hui, je dirais que nous sommes dans la phase où toutes les collectivités sont conscientes qu’elles peuvent faire appel à la SGP.

Et certaines prévoient-elles déjà de sauter le pas, alors que des projets – comme Bordeaux ou Strasbourg – semblent bien avancés ?

Nous avons des relations anciennes avec les Hauts-de-France et Grand Est, avec lesquelles nous sommes déjà assez loin dans la relation. Certaines collectivités ont même déjà délibéré sur des conventions de financement : c’est le cas à Lille* et en région Grand Est, pour trois projets. On commence également à avoir noué de solides contacts avec l’Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes. En revanche, la Nouvelle-Aquitaine a jusqu’ici plutôt exprimé le fait qu’elle n’aurait pas besoin de la SGP. Les dossiers vont se décanter au cours de ce trimestre.

Le président de la République avait initialement évoqué vouloir développer les "RER métropolitains" dans dix métropoles françaises. Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a indiqué le 26 octobre dernier que les premiers projets retenus seraient connus dans les six mois. Avez-vous d’ores et déjà une idée de ces derniers ?

Je ne peux vous répondre, puisque la SGP n’est pas chargée de les retenir. Je suis en revanche convaincu que les manifestations d’intérêt devraient être assez nettement plus nombreuses que la dizaine. En Auvergne-Rhône-Alpes, par exemple, en dehors des projets déjà en cours à Lyon et à Grenoble, je pense que d’autres projets vont voir le jour. Depuis l’expression de la première position politique, la compréhension de ce que seront les Serm a évolué, avec l’affirmation d’une offre multimodale de services de transports autour d’une desserte ferroviaire allant au-delà du renforcement des seules étoiles ferroviaires.

Quels sont les moyens dont la SGP dispose pour faire face à ces nouvelles missions ?

Les moyens de la SGP et des Serm sont forcément liés, et il ne faut pas négliger le fait que le gouvernement a déjà manifesté sa volonté d’avancer significativement en consacrant dans les contrats de plan État-régions une enveloppe de 767 millions d’euros pour financer ces Serm [voir notre article du 24 octobre 2023, ndlr]. En y ajoutant la même somme côté régions, plus diverses contributions d’autres collectivités, à condition qu’elles le souhaitent, on arrive à un montant global d’1,5 à 2 milliards d’euros loin d’être négligeable. Cette somme est appelée à financer l’étape de préfiguration des Serm, qui est cruciale pour la réussite de ces dernières.

Les conventions de financement lilloise ou strasbourgeoise que j’évoquais précédemment prévoient ainsi un financement de la SGP pour développer les Serm. Il faut d’ailleurs souligner ici que les moyens provenant des Serm ne seront utilisés que pour ces projets.

S’agissant des moyens humains, outre quelques sujets assez bureaucratiques, relevons que le plafond d’emploi a déjà été augmenté, l’État se doutant de l’amorce d’une demande. Reste que cette première augmentation, modeste, apparaît aujourd’hui très largement insuffisante. Elle l’est d’autant plus que la demande sera manifestement plus importante que prévue.

Au-delà du financement, ne redoutez-vous pas la pénurie de talents, régulièrement invoquée, face à l’ampleur des besoins ?

Je ne suis nullement inquiet. Une partie de notre valeur ajoutée réside précisément dans notre capacité à attirer, à recruter, et le cas échéant, à former. Trouver les bonnes personnes, c’est aussi notre métier. Je tiens au passage à souligner que notre système de formation des ingénieurs, à quelque niveau que cela soit, est exceptionnel. Nous n’en produisons peut-être pas suffisamment, mais nous produisons des ingénieurs de qualité. Nous n’avons à souffrir d’aucune comparaison dans le monde. L’ingénieur fait partie de l’excellence française. Au-delà, beaucoup de pays nous envient notre capacité à conduire des projets, notre maitrise d’ouvrage. Cela aussi doit être souligné.

La loi permet précisément à la SGP d’être désignée, par l’État ou les collectivités, comme maître d’ouvrage des infrastructures de transport nécessaires à la mise en œuvre des projets de Serm. Cette "seconde phase" ne nécessite-t-elle pas que la SGP puisse être affectataire de taxes locales ?

Si le maître d’ouvrage conduit son projet avant tout avec des considérations opérationnelles, sa capacité à emprunter, qui lui permet de ne pas se heurter à des problèmes financiers, est évidemment cruciale. Les taxes affectées** constituent une solution ; il y en a d’autres. Une chose est certaine : sans ressources suffisamment garanties, il est clair qu’on ne pourra pas faire appel à la SGP. 

Qu'en est-il du serpent de mer de la captation des plus-values foncières générées par de nouvelles gares ?

Une grande part du financement de la SGP provient de la taxe sur les surfaces de bureaux**. On peut imaginer que l’arrivée d’un service de transport augmente la valeur de ces derniers, et partant de nos moyens. Mais il est certain que l’on aurait pu faire mieux sur la captation de la valeur apportée par le Grand Paris Express. Ce serait donc stupide d’écarter cette piste de financement, à laquelle plusieurs pays ont d’ailleurs recours. Et ce, d’autant qu’elle paraît particulièrement appropriée pour le financement à long terme des Serm.

L’élargissement des missions de la SGP ne risque-t-il pas de se faire au détriment du Grand Paris Express, loin d’être terminé ?

Notre objet social, c’est le Grand Paris***, lequel occupe l’immense majorité de l’énergie de la SGP. Il n’en pâtira pas. Plus encore, je suis convaincu que de la même manière que les territoires vont pouvoir progressivement bénéficier des compétences et de l’expérience accumulée par la SGP avec le Grand Paris Express, la SGP – et donc le Grand Paris – profitera de cette ouverture, des échanges avec de nouveaux partenaires. Cela renforcera son fonctionnement et sera utile pour les lignes qu’il nous reste à construire. Ce sera notamment le cas avec le prolongement au nord de la ligne 18, dont l’étude va être relancée. L’expérience francilienne ne sera pas la seule à alimenter les territoires.

Alors que les JO approchent, on sait que la France ne sera pas au rendez-vous qu’elle avait fixé dans son dossier de candidature, d’un village desservi par les lignes 14, 15, 16 et 17 – il ne le sera finalement que par la 14. Un échec pour la SGP ?

Cette promesse inscrite dans le dossier de candidature – dans lequel il paraît logique que l’on présente toutes les options, y compris les plus ambitieuses –, ne sera effectivement pas tenue. Pour autant, je suis serein. La tentation de vouloir nous juger au regard du projet initial n’a guère de sens. Cette situation est-elle "anormale" ? C’est le lot de ce genre d’aventures. Le politique fixe un objectif de départ, avant même que l’on regarde techniquement ce qu’il en est, et l’on peut aisément comprendre que le calendrier fixé avant les études, le covid, les délais pour obtenir les diverses autorisations, pour l’appropriation foncière, les recours contentieux… diffère in fine de l’ambition initiale. La stabilisation de dates "sérieuses" ne remonte qu’aux années 2011-2015, et nous les respecterons à quelques mois près pour la ligne 15 est et ouest. J’ajouterais encore que le calendrier de mise en service n'a pas varié depuis que je suis arrivé, il y a 3 ans, sur les dates de mise en service. S’agissant du village olympique, la ligne 14 reliera bien Saint-Denis Pleyel, et c’est l’élément essentiel du transport pendant les JO. Bien plus important que les prolongements des lignes 16 et 17.

S’agissant de l’appropriation foncière, la loi de 2023 a logiquement ajouté les infrastructures nécessaires à la mise en œuvre de Serm à la liste des travaux pouvant faire l’objet d’une expropriation par décret en Conseil d’État. Est-ce un outil que vous utilisez fréquemment ?

Il est malheureusement très facile de voir ce sujet par le petit bout de la lorgnette. C’est un instrument que nous n’utilisons bien évidemment qu’en dernier recours, et dans les faits de manière tout à fait exceptionnelle. Nos acquisitions sont faites à l’amiable dans 95% des cas – les chiffres sont vérifiables. C’est un résultat remarquable, car les proportions sont plutôt inversées sur les projets de ce type. Ce résultat est à mettre au crédit de la SGP, qui a su développer les outils idoines pour l’atteindre. Je ne peux que déplorer que la vue soit brouillée par 3 ou 4 cas qui marquent certes les esprits, mais ne reflètent pas la réalité. Je veux d’ailleurs souligner que même dans le cadre des expropriations, les deux tiers des procédures se concluent à l’amiable. Les cas réellement contentieux ne sont, si je puis dire, que des exceptions très exceptionnelles. 

 

* Ndlr : Dans une délibération adoptée le 20 octobre dernier, la métropole européenne de Lille a adopté une convention de financement désignant la SGP Dev comme coordinatrice des missions et des études. La métropole précise : "La SGP Dev sera responsable de la planification des études à l’échelle du Serm de Lille, en collaborant avec d’autres maîtres d’ouvrage. Elle élaborera une stratégie de dialogue avec les territoires et organisera la participation du public sur l’ensemble du projet Serm de Lille. Son objectif principal est de proposer un schéma de gouvernance du projet impliquant tous les acteurs du territoire."

Rappelons que l’article 7, VI de la loi de 2010 disposait que l'établissement public "Société du Grand Paris" peut se voir confier par l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements, par voie de convention, toute mission d'intérêt général présentant un caractère complémentaire ou connexe à ses missions.

** En 2022, la SGP a perçu 776 millions d’euros de recettes fiscales affectées : 601 millions provenant de la taxe sur les bureaux, 76 millions de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, 67 millions de la taxe spéciale d’équipement régionale, 22 millions de la taxe annuelle sur les surfaces de stationnement et 9,6 millions de la taxe additionnelle à la taxe de séjour.

*** Aux termes de la loi de 2023, "l'établissement public Société des grands projets a pour mission principale de concevoir et d'élaborer le schéma d'ensemble et les projets d'infrastructures composant le réseau de transport public du Grand Paris et d'en assurer la réalisation (…)".