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Accès aux soins - L'Igas et l'IGF doutent de l'intérêt de la réforme de l'aide médicale d'Etat

A la lecture du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale des finances (IGF) consacré à l'aide médicale d'Etat (AME), on comprend mieux pourquoi le gouvernement a choisi de le rendre public après la promulgation de la loi de finances pour 2011, qui introduit plusieurs modifications à l'AME, destinées à en restreindre le coût. Intitulé "Analyse de l'évolution des dépenses au titre de l'aide médicale d'Etat", le rapport des deux inspections générales - daté de novembre 2010 - prend en effet le contre-pied quasi systématique des arguments avancés par le gouvernement pour justifier la réforme et par certains parlementaires qui souhaitaient aller plus loin dans le durcissement des conditions d'accès (mais n'ont finalement pas été suivis). Les arguments développés par l'Igas et l'IGF rejoignent d'ailleurs très largement ceux mis en avant par le rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat - le sénateur (UMP) du Vaucluse (et médecin) Alain Milon - qui proposait de supprimer les dispositions réformant l'AME (voir notre article ci-contre du 3 décembre 2010).

La fin d'idées reçues

Le rapport de l'Igas et de l'IGF estime tout d'abord que "l'évolution forte des dépenses d'AME [573 millions d'euros estimés pour 2010, ndlr] ne s'explique pas par une croissance massive du nombre de bénéficiaires". La principale explication de la hausse constatée pourrait plutôt tenir à l'amélioration du contrôle des droits et des procédures de recouvrement dans les hôpitaux et notamment ceux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). L'un des deux auteurs du rapport - Alain Cordier, inspecteur général des finances - parle d'ailleurs d'expérience, puisqu'il n'est autre que l'ancien directeur général de l'AP-HP.
Le rapport contredit également un certain nombre d'arguments évoqués lors des débats. C'est le cas de l'idée que les titulaires de l'AME en feraient bénéficier tout leur entourage familial. En fait, les bénéficiaires sont à 80 % des hommes seuls, qui n'ouvrent des droits que pour eux-mêmes. Les familles de six personnes et plus ne représentent que 0,5 % du total des ouvrants-droit. Autre idée reçue démontée par le rapport : il n'existe pas de "tourisme médical" financé par l'AME autour des transplantations d'organes. Les rapporteurs ont ainsi recensé seulement 18 greffes réalisées au bénéfice de titulaires de l'AME entre février et novembre 2009 - dont 17 à l'AP-HP -, un chiffre que les auteurs auraient d'ailleurs pu utilement comparer aux 4.580 greffes d'organes comptabilisées en 2009 par l'Agence de la biomédecine (soit 0,4 % du total). En termes de coûts, le rapport constate que la consommation moyenne de soins des bénéficiaires de l'AME était, en 2008, de 1.741 euros. Ce chiffre est certes supérieur à celui des assurés du régime général (1.580 euros), mais nettement inférieur à celui des 4,5 millions de bénéficiaires de la CMU complémentaire (2.606 euros).

Des conclusions non suivies

En revanche, il est exact que la consommation des bénéficiaires de l'AME est très fortement concentrée. Le rapport montre ainsi qu'à Paris, 173 personnes (0,3 % des bénéficiaires) ont "consommé" chacune plus de 100.000 euros de soins, soit 27 millions d'euros au total. Cette somme représente 18 % de la dépense d'AME de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et 5 % de la dépense nationale. Cette concentration se retrouve toutefois, dans des proportions moindres, chez les assurés du régime général, les dépenses de soins concernant, par définition, les personnes les plus gravement malades. Enfin, tout en n'excluant pas l'existence de fraudes, le rapport estime que celles-ci sont rendues plus difficiles par la mise en place de la carte sécurisée de bénéficiaire de l'AME et qu'"il n'est pas possible d'établir statistiquement un lien entre l'évolution des dépenses et l'évolution des abus et fraudes".
Fort de ces conclusions, le rapport "ne recommande pas la mise en oeuvre d'un droit d'entrée pour l'AME" ou suggère, à tout le moins, la réalisation d'une étude d'impact. Les rapporteurs craignent en effet qu'une telle mesure se révèle contre-productive, en incitant à un recours tardif à l'hôpital (avec des frais ultérieurs plus élevés) et en faisant courir des risques sanitaires aux intéressés, mais aussi à l'ensemble de la population dans le cas de maladies transmissibles. Une position qui n'a finalement pas été suivie, puisque la loi de finances pour 2011 conditionne l'accès à l'AME au versement d'un droit annuel de 30 euros par bénéficiaire majeur (voir nos articles ci-contre du 3 novembre et du 16 décembre 2010).