Littoral méditerranéen : les risques liés à la mer et aux inondations sont sous-estimés, selon la Cour des comptes

Les collectivités locales du pourtour méditerranéen français, espace attractif et densément peuplé, sous-estiment la vulnérabilité de leurs territoires aux risques liés à la mer et aux inondations, lesquels vont être accentués par le changement climatique, estime un rapport de la Cour des comptes publié ce 24 janvier.

S'étendant sur près de 1.700 km, soit un tiers des côtes métropolitaines françaises, le littoral méditerranéen, qui concentre 3,3 millions d'habitants (population qui devrait augmenter de 13% d'ici 2050) est "soumis à des tensions socio-environnementales croissantes", relève la Cour des comptes dans un rapport publié ce 24 janvier. Cet "espace convoité" (...) "peut se montrer redoutable" en raison de "son exposition aux aléas et aux risques liés à la mer et aux inondations", ainsi qu'à l'érosion côtière, phénomènes que le changement climatique va rendre plus intenses et fréquents, estime ce document, qui résulte d'une enquête menée conjointement par les chambres régionales des comptes de Corse, de Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) et d'Occitanie.

Plus d'un tiers des territoires "à risque important d'inondation"

La Cour rappelle que plus d'un tiers des 35 territoires recensés comme "à risque important d'inondation" en France métropolitaine se trouvent sur la côte méditerranéenne et que d'ici 2100, plus de 55.000 logements seraient menacés par le recul du trait de côte, dont près de la moitié en Occitanie, selon le Centre d'études et d'expertise sur les risques, la mobilité et l'aménagement (Cerema).

Or ces risques, qui ne "peuvent être évités" mais dont "les conséquences dommageables peuvent être réduites", ne sont pas suffisamment pris en compte - voire aggravés - par les politiques d'aménagement des collectivités territoriales, lesquelles disposent pourtant des principaux outils de planification. "Le sentiment d'exposition à la menace des habitants du littoral, comme parfois celui des élus, reste insuffisant", note la Cour, pour qui "l'évaluation du coût de l'impact de ces périls sur les bâtiments, réseaux, infrastructures, populations et de ses répercussions économiques demeure imprécise".

Les failles de l'action publique

L'Etat a bien mis en place des plans de prévention des risques littoraux, qui ont été actualisés à la suite de la tempête Xynthia de 2010. Mais "ceux-ci ne recouvrent cependant pas l’intégralité du littoral méditerranéen", relève la Cour. "Par ailleurs, les risques de submersion et d’érosion côtière pourraient être davantage pris en compte", estime-t-elle. "Les prescriptions de ces dispositifs sont, de surcroît, ponctuellement remises en cause afin de permettre la réalisation d’opérations d’aménagement locales, au mépris du risque identifié", égratigne-t-elle encore.

Elle regrette en outre que les documents de planification régionaux "traitent peu ou de manière imprécise, sans objectifs chiffrés, de la surexposition du littoral méditerranéen aux risques liés à la mer et aux inondations et n’intègrent pas la recomposition spatiale, qui constitue pourtant l’un des leviers à mobiliser à plus long terme". Elle souligne toutefois une initiative récente de la région Occitanie, fin 2023, qui s’est associée à l’État et à la Banque des Territoires afin d’accompagner, par un plan d’action, les collectivités dans la mise en œuvre de stratégies locales d’aménagement du littoral.

Réponse "hésitante et dispersée" du bloc communal

Du côté du bloc communal, la Cour pointe une réponse "hésitante et dispersée", qui "peine à proposer des solutions à l’échelle géographique pertinente que serait a minima l’intercommunalité". Les schémas de cohérence territoriale témoignent selon elle d’une prise en compte insuffisante des risques" et n’ont d’ailleurs "pas été adoptés partout". "Le refus d’un grand nombre de communes de transférer aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) la compétence 'urbanisme' ne favorise pas une vision des enjeux au niveau adéquat, souligne-t-elle. De fait, les documents d’urbanisme continuent souvent d’ignorer les risques – quand ils ne les aggravent pas."

"Les interventions des collectivités locales se sont essentiellement attachées au renforcement des ouvrages de défense, alors que l’efficience de ces derniers apparaît relative, rapportée aux coûts de leur maintien en bon état", constate-t-elle. La compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi), qui inclut la gestion des ouvrages de défense contre la mer, "mériterait par ailleurs d’être associée à la problématique de l’érosion du trait de côte, dans la mesure où ces deux risques interagissent", estime-t-elle.

Revoir la politique d'aménagement et son financement

La Cour appelle donc à "revoir la politique d’aménagement du littoral et son financement" "pour faire face aux enjeux climatiques et aux évènements exceptionnels au coût potentiellement croissant". La valeur des biens exposés à la seule montée des eaux d’ici à 2100 sur le seul littoral méditerranéen pourrait s’élever à "11,5 milliards d'euros, si l’on retient l’hypothèse probable d’un effacement des ouvrages de protection lié à ce relèvement", chiffre le rapport. "À brève échéance et à cadre constant, le système assurantiel et indemnitaire ne pourra supporter la couverture de la réalisation et de l’intensification des risques, rappelle-t-il. À horizon de trente ans, le coût cumulé des indemnisations à ce titre s’élèverait à 54 milliards d'euros, selon une projection effectuée par les assureurs portant sur tous les biens indemnisés pour ces dommages sur le territoire national."

Dès lors, "des solutions pérennes s’imposent dans le cadre, notamment, de l’aménagement du littoral méditerranéen", appuie-t-il. Pour la Cour, les collectivités locales doivent ainsi "combler le retard pris dans la mise en œuvre de stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte" et "donner une perspective temporelle souple à des mesures nécessaires d’adaptation, de défense et de recomposition, choix qui pourront être guidés par une relocalisation ou un déplacement des équipements publics". Pour cela, le coût de l’adaptation et du démantèlement de ces équipements doit pouvoir être chiffré, insiste le rapport.

Recours à la taxe Gemapi

"L’État a par ailleurs toute sa place dans l’élaboration d’une vision régionale ou interrégionale des problématiques, aux côtés des collectivités littorales, poursuit-il. Celles-ci doivent notamment s’efforcer d’associer leur arrière-pays à une réflexion qui ne pourra faire l’économie de la question de la recomposition spatiale." "À ce titre, le financement des mesures de défense contre la mer et d’adaptation du littoral se verrait conforté par une utilisation adéquate de la taxe sur la gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations et par une augmentation des ressources spécifiques liées à l’occupation du littoral", avance la Cour.

Autre recommandation : pour éviter aux acteurs publics, dont l’État, "de se voir confrontés à une absence de soutenabilité des coûts lors d’évènements exceptionnels, une logique d’accompagnement à la prévention et au relogement pourrait se substituer à la logique indemnitaire réparatrice du préjudice subi." La solidarité nationale serait ainsi réorientée vers des réponses de long terme, privilégiant les mesures de relocalisation des résidences principales.

Mettre en place des établissements fonciers spécifiques

Enfin, les mesures accompagnant la recomposition spatiale pourraient être portées par des "établissements fonciers spécifiques, qui ont une capacité à s’autofinancer à long terme", et dont l’apport initial pourrait être constitué par "un mix de solutions faisant jouer des solidarités nationale, locale et d’usage du littoral". En attendant, les mesures conservatoires de court terme de sécurité et de défense devraient "davantage faire intervenir la solidarité intercommunale", préconise la Cour.

Les sept recommandations du rapport

  • Renforcer l’information préalable obligatoire à l’attention de l’acquéreur d’un bien immobilier par l’indication que celui-ci est susceptible, en raison du risque naturel auquel il est exposé, d’une diminution voire d’une perte totale de valeur ;

  • Compléter la connaissance cartographique de la vulnérabilité physique d’un territoire par une dimension financière projetant les coûts de destruction, d’interruption, de retour à la normale des activités et de reconstruction ;

  • Supprimer la possibilité pour les communes-membres des établissements publics de coopération intercommunale des zones littorales préalablement identifiées comme menacées de s’opposer au transfert à l’intercommunalité de la compétence en matière de plan local d’urbanisme ;

  • Rendre obligatoire l’élaboration d’une stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte dans les zones littorales les plus menacées ;

  • Généraliser les projets partenariaux d’aménagement associant les communes littorales et leur arrière-pays ;

  • Mobiliser le produit de la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations en fonction des besoins réels en matière d’inondation et de protection contre la mer ;

  • Constituer au sein des établissements publics fonciers de Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie de nouvelles filiales foncières dotées de ressources consacrées à l’aménagement et à la recomposition du littoral.

 

 

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