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Habitat - Logement d'abord : tout le monde d'accord ?

La notion de "logement d'abord", c'est vouloir privilégier l'"accès immédiat à un logement permanent des personnes à la rue, sans préalable". Le gouvernement l'a faite sienne en 2008. Elle est au coeur des controverses actuelles sur l'hébergement et l'accès au logement. Un débat organisé par le Réseau des acteurs de l'habitat a permis à plusieurs acteurs clefs - Etat, USH, Fnars, élus locaux - de faire état de leurs positions, réserves et propositions... En attendant les Assises nationales du logement d'abord.

C'est l'histoire d'une notion dont tout le monde parle, sans toujours savoir de quoi on parle... C'est aussi l'histoire d'un concept sur lequel tout le monde est d'accord, mais à condition que... Aussi, dans le cadre de sa journée thématique du 1er décembre 2011 intitulée "Hébergement, logement, accompagnement : quelles réponses au développement des précarités ?", le Réseau des acteurs de l'habitat a-t-il eu la bonne idée de consacrer toute la matinée à la question du "Logement d'abord". Une notion au coeur des débats actuels - et parfois des polémiques - sur l'hébergement et l'accès au logement.
Le logement d'abord est né dans les années 1990 aux Etats-Unis - sous le nom de "Housing First" -, à l'initiative d'un psychiatre intervenant auprès de personnes sans domicile fixe et présentant des pathologies mentales lourdes et chronicisées. Constatant que les réponses "en escalier" - multipliant les étapes jusqu'au "Graal" du logement autonome - ne fonctionnent pas, le docteur Sam Tsemberis a alors mis en place un dispositif d'accès direct au logement pour ces SDF, sans aucun préalable, ni condition, notamment en matière de lutte contre les addictions. Repris au Canada sous la forme d'un programme fédéral, ce concept est ensuite arrivé en France et en Europe dans la seconde moitié des années 2000. Il figure notamment dans le rapport sur "La santé des personnes sans chez soi", remis au ministre de la Santé en janvier 2010 (voir notre article ci-contre du 11 janvier 2010).
D'une approche centrée sur la santé, le concept est passé progressivement à une approche davantage focalisée sur la question de l'hébergement et du logement. En France, il a trouvé sa consécration en intégrant la politique de "refondation de l'hébergement", lancée par le gouvernement en 2008 et concrétisée par l'objectif national prioritaire 2008-2012. Sa formulation définitive est issue de la conférence de consensus européenne sur le "sans-abrisme", qui a donné lieu à l'adoption d'une résolution par le Parlement européen, consacrée à la lutte contre ce phénomène. Le logement d'abord se définit ainsi comme l'"accès immédiat à un logement permanent des personnes à la rue, sans préalable". Reste maintenant à mettre ce concept en pratique. En effet, selon Claire Roumet, secrétaire générale du Cecodhas - la Fédération européenne du logement public, coopératif et social -, "le logement d'abord, c'est clairement aujourd'hui un slogan".

"Réinterroger notre façon de faire"

Un jugement que ne partage évidemment pas Alain Régnier, le délégué interministériel pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans abri et mal logées (Dihal). Le logement d'abord est en effet expérimenté dans quatre grandes villes, auprès de 800 personnes sans abri et pour une durée de trois ans. Face à la pression de la demande d'asile et à la forte montée de l'immigration intra-communautaire venue de l'Est de l'Europe - qui impacte très fortement le dispositif d'hébergement traditionnel - il est en effet indispensable de réfléchir à une nouvelle approche et de "réinterroger notre façon de faire". Pour autant, pas question d'adopter le modèle de la ville d'Helsinki, qui a supprimé les trois quarts de ses capacités d'hébergement pour créer 900 "logements d'abord". Alain Régnier tient à rassurer en affirmant qu'hébergement et logement d'abord ne sont pas des notions antagonistes et en rappelant que les moyens affectés à l'hébergement et à l'accès au logement ont progressé de 30% depuis 2008, soit en enveloppe supplémentaire de 400 millions d'euros.

Une adhésion sous réserve

Ce concept de logement d'abord séduit aussi les associations. A commencer par la Fnars (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale), qui a contribué à son introduction en France. Matthieu Angotti, son délégué général, estime ainsi qu'avec la conférence de consensus "Sortir de la rue" - mise en place après l'affaire des tentes du canal Saint-Martin -, "les associations ont pris une part prépondérante dans la démarche". La notion de logement d'abord s'est en effet parfaitement intégrée dans cette réflexion collective sur la sortie de l'urgence, dans la mesure où l'axe majeur pour les associations reste l'accès au droit commun.
Mais cette adhésion de principe est assortie de réserves. Matthieu Angotti juge en effet que deux conditions doivent être remplies pour que le logement d'abord se concrétise. D'une part, il faut développer une politique en faveur de logements accessibles, surtout dans les zones tendues comme l'Ile-de-France. D'autre part, il est indispensable de mettre sur pied une "politique ambitieuse d'accompagnement social", en partenariat avec les collectivités et les acteurs de l'habitat, mais aussi avec les intéressés eux-mêmes. Sinon, "dans cinq ans, on risque d'avoir gardé le slogan, mais avec un dispositif à deux vitesses". La Fnars estime aussi qu'il ne faut pas attendre d'économies immédiates de la mise en œuvre du logement d'abord, car l'accompagnement social a un coût. Il s'agit, en revanche, d'un investissement rentable à terme.

Des élus ouverts, mais prudents

Les élus locaux ne sont pas très éloignés de cette position. Pour Olga Trostiansky - adjointe au maire de Paris, chargée de la solidarité, de la famille et de la lutte contre l'exclusion -, "on se dit que c'est une belle notion que l'on ne peut que partager". Si Paris "adhère au concept de logement d'abord" en considérant que "le logement ne doit pas récompenser le parcours d'une personne", c'est cependant avec un bémol : pour la ville, cette notion "soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses". La crainte est que la mise en œuvre de ce nouveau concept soit uniquement prétexte à réaliser des économies. En outre, Paris exprime une inquiétude particulière pour le sort des demandeurs d'asile et des Roms. Pour Olga Trostiansky en effet, "le logement d'abord ne doit pas avoir pour effet de sélectionner les publics sous couvert d'innovation". L'adjointe au maire de Paris se dit également persuadée que cette nouvelle approche ne peut réussir sans un fort investissement dans l'accompagnement social. Enfin, "il faut éviter d'alimenter la rue". Autrement dit, le logement d'abord ne saurait se concevoir sans le développement parallèle de dispositifs favorisant le maintien dans les lieux des locataires en difficulté.
Olivier Brachet, vice-président du Grand Lyon, en charge de la politique de l'habitat et du logement social, estime qu'il existe "peu de ressemblances entre l'Ile-de-France et l'agglomération lyonnaise", même si celle-ci connaît aussi une crise de l'hébergement. Tout en restant prudent sur l'engagement des collectivités en ce domaine, il constate qu'"en termes d'organisation, une certaine convergence des acteurs commence à se mettre en place", même si "cela n'est pas évident". Au-delà du logement d'abord, la réponse passe par un effort d'approche globale sur le Dalo (droit au logement opposable), afin de soulager la pression sur l'hébergement.

Plateformes régionales ou acte III de la décentralisation

Mais le logement social n'entend pas jouer les boucs émissaires. Tout en admettant que "le mouvement HLM ne pourra pas tout faire", Thierry Bert, le délégué général de l'USH, rappelle le rôle du logement social en matière de stabilisation dans le logement : les HLM accueillent 19.000 sorties d'hébergement et réalisent 90% des accès au logement dans le cadre du Dalo. L'USH en appelle donc à "l'intelligence collective", notamment en développant une approche territoriale globale dont le logement d'abord constituerait un aspect. Plutôt que d'évoquer une éventuelle interdiction des expulsions - qui serait une "folie démagogique" -, le mouvement HLM attend des solutions pour solvabiliser les locataires fragiles sur le long terme et éviter certaines décisions de commissions Dalo - que Thierry Bert juge "choquantes" - consistant à reclasser des demandeurs au titre du Dalo en Daho (droit à l'hébergement opposable) lorsqu'ils risquent de n'être pas solvables.
Pour développer cette "intelligence collective", le délégué général de l'USH a une solution : la création de plateformes régionales réunissant tous les acteurs concernés, doublée d'une remise à plat et d'une simplification des différents dispositifs. En d'autres termes, "il faut que les divers plans se parlent". Le niveau régional a également la préférence d'Alain Régnier. Celui-ci plaide toutefois plutôt pour un acte III de la décentralisation, afin de régler la répartition des compétences en matière de logement. Mais - comme souvent en matière de décentralisation - il estime que l'Etat devra rester un régulateur actif...

Jean-Noël Escudié / PCA

Des Assises nationales ce 9 décembre

Des assises interrégionales du "Logement d'abord", organisées par le ministère, se sont succédé depuis début octobre dans plusieurs grandes villes (Orléans, Lille, Lyon, Rennes, Strasbourg, Marseille, Bordeaux) et se concluront ce vendredi 9 décembre à Paris par des Assises nationales. La Fnars rappelle à ce sujet qu'elle avait pour sa part proposé l'organisation d'une "conférence de consensus" qui aurait permis de s'appuyer "sur le travail d'un jury d'experts, analysant les points de consensus et de désaccords, jusqu'à aboutir à la définition d'un cadre partagé de mise en œuvre." Elle regrette aussi "la faible représentation d'acteurs clés comme les conseils généraux ou les acteurs de la santé" lors des assises en région.
Selon les premiers éléments du bilan de ces assises interrégionales dressé par l'Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa), dévoilés par l'AULH, ces assises ont toutefois bénéficié d'une "forte participation" des acteurs (associations, bailleurs, services déconcentrés, collectivités locales). L'Ansa, qui présentera ses conclusions le 9 décembre, fait en revanche état des difficultés de ces acteurs à "sortir de leur expérience personnelle pour se projeter et proposer une déclinaison opérationnelle" de la notion de logement d'abord. Parmi les grandes exigences ayant été exprimées au fil des ateliers thématiques : "renforcer le rôle de pilote de l'Etat", "articuler les différentes échelles territoriales et les instances de pilotage", "développer une offre de logement accessible", "individualiser les accompagnements", "mieux articuler entre eux les dispositifs complémentaires" (intermédiation, baux glissants…), "mobiliser toujours plus le parc privé", "faire participer les personnes concernées et les rendre acteurs de leur parcours"...
Benoist Apparu ouvrira et clôturera les Assises nationales de vendredi.

C.M.
 

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