Logement étudiant : un programme massif pour répondre à un besoin croissant

Dans le cadre de la volonté gouvernementale d'accélérer la création de logements étudiants, la Banque des Territoires a annnoncé ce 13 mai un programme de 5 milliards d'euros pour financer 75.000 places d'ici 2030. La 6e édition du Printemps des territoires qu'elle organisait à Paris a permis aux ministres Philippe Baptiste et Valérie Létard de revenir sur cet enjeu du logement étudiant marqué par une forte pénurie. Une séquence de l'événement quant à elle dédiée à la crise du secteur du logement dans son ensemble a par ailleurs questionné les nombreux blocages locaux vis-à-vis de la production de nouveaux logements et témoigné du fait qu'un "urbanisme de la transformation" est possible à condition de disposer des "bons outils".

La population étudiante a augmenté de 25% depuis 2010, soit aujourd'hui 3 millions de jeunes engagés dans l'enseignement supérieur. Pas moins des deux tiers de ces étudiants ont quitté le logement familial pour suivre leurs études. Le taux de pauvreté est deux fois plus élevé parmi ces "décohabitants" que parmi les autres étudiants. Le poste du logement représente 60% du budget d'un étudiant. Son coût est de 600 euros en moyenne, et de 840 euros en région parisienne. Et, surtout… on compte seulement 385.000 logements étudiants. Ces chiffres ont été donnés ce 13 mai par Philippe Baptiste, le ministre de l'Enseignement supérieur, lors de la 6e édition du Printemps des territoires, le grand événement annuel organisé à Paris par la Banque des Territoires. Le ministre posait ainsi le contexte plus que critique dans lequel s'inscrit l'annonce d'un vaste plan en faveur du logement étudiant.

François Bayrou, a-t-il rappelé, avait dès sa déclaration de politique générale en janvier dernier évoqué "la construction de 15.000 logements étudiants par an pendant trois ans". Depuis, les deux ministères respectivement en charge du logement et de l'enseignement supérieur ont travaillé "main dans la main" et, tel que l'a dit son homologue Valérie Létard, si "l'État sera pleinement mobilisé", la Banque des Territoires "va être au cœur du réacteur". Une "déclaration d'engagement tripartite" a ainsi été signée ce 13 mai par les deux ministres et par Antoine Saintoyant, le directeur par intérim de la Banque des Territoires (voir photo).

Pour la Banque des Territoires, l'engagement est clair et chiffré : il se traduit par un nouveau programme de 5 milliards d'euros devant permettre de financer 75.000 logements ou "places" d'ici 2030. Dont 50.000 en loyer abordable et 25.000 en loyer libre. Le nom de ce nouveau programme : AGiLE ("Agir pour le logement étudiant"). Sur les 5 milliards, 3,5 milliards correspondent à des prêts sur fonds d'épargne et 1,5 milliard à de l'investissement en fonds propres (y compris par des filiales du groupe Caisse des Dépôts, dont Icade et CDC Habitat via sa marque Studéfi). À cela s'ajoutera une enveloppe de 20 millions d'euros pour l'ingénierie – une ingénierie qui s'adresse aux collectivités, aux universités elles-mêmes, aux Crous, aux organismes de logement social

La Banque des Territoires compte naturellement porter "une attention particulière aux villes où la demande est la plus forte", sachant que la moitié des étudiants se trouvent "dans les onze villes qui enregistrent le coût de l’immobilier le plus élevé". Elle prévoit d'animer un réseau de partenaires afin de "capitaliser sur les retours d'expérience, de partager les meilleures pratiques et de favoriser l'émergence de modèles innovants".

"Que le maire puisse s'approprier le projet" 

Pouvoir "répliquer des opérations modèles", c'est aussi l'un des credo du ministre de l'Enseignement supérieur (tout en reconnaissant le besoin d'adapter chaque projet aux spécificités locales). Face au "manque de foncier dans les villes universitaires", Philippe Baptiste a en outre évoqué un nécessaire travail de recensement - qui aurait déjà permis d'identifier "une centaine de sites" - ainsi que la densification du parc existant. Du côté de l'Etat, si l'on n'oublie pas "le rôle clef des bailleurs et des collectivités", un "pilotage renforcé" a été confié aux préfets de région. Le ministre a par ailleurs tenu à mettre l'accent sur le fait qu'il faudra s'attaquer à la "simplification des dispositifs" (aides au logement, Visale…) et "améliorer l'accès aux droits et à l'information" pour les jeunes et leurs familles. Une nouvelle plateforme devrait y contribuer.

Le programme de la Banque des Territoires va trouver une première concrétisation dans le partenariat noué avec Uxco Group, premier opérateur intégré du secteur du logement étudiant en France (aujourd'hui 15.000 "lits"). Les deux acteurs viennent en effet de s'engager à créer 18 résidences dans les trois prochaines années, pour près de de 7.000 lits à destination des étudiants et jeunes actifs sur des territoires métropolitains. Ils ont déjà travaillé ensemble. C'est le cas à Bordeaux, où Uxco Group a remporté l'appel d'offres de l'université pour un projet de résidence sur le campus, avec "une partie libre et une partie sociale", a illustré ce mardi Maël Aoustin, CEO d'Uxco Group. "Un produit totalement innovant", dit-il, dans le sens où il inclura toute une gamme de services – espaces de coworking, sport… De façon générale d'ailleurs, le dirigeant estime important de concevoir des projets "ouverts sur la ville" avec des équipements et services accessibles à l'ensemble des habitants. Tout comme il insiste sur l'importance de l'accessibilité des sites en termes de transports publics.

"Il faut sortir de la logique des résidences dortoirs", a de même souligné Dieunor Excellent, le maire de Villetaneuse, plus que concerné par le sujet avec l'université Sorbonne-Paris-Nord sur sa commune (14.000 étudiants) et bientôt une nouvelle résidence en plus des deux existantes. "Une ville ne construit pas, ne gère pas les logements étudiants, mais si cela fonctionne mal, c'est elle qui en pâtit", témoigne-t-il par ailleurs, exhortant les opérateurs à faire en sorte "que le maire puisse s'approprier le projet" dans une logique d'"aménagement concerté" : il faut "considérer la stratégie de l'habitat du territoire sur lequel vous voulez construire du logement étudiant", et notamment l'enjeu de "l'équilibre" entre logement étudiant et logement tout court, notamment social.

Logement social : "le prisme environnemental a été dévoyé"

Pour la ministre du Logement, savoir innover pour "accompagner les étudiants et les jeunes" dans leur quête d'un premier toit fait partie d'une problématique plus large : la nécessité de s'adapter à "l'évolution de la société". Au même titre que "le vieillissement de la population", qui implique notamment adaptation de l'habitat et développement de programmes du type habitat inclusif ou partagé. Il y a aussi "l'évolution de la structure familiale" (séparations notamment), telle que l'a mentionnée Jean-Philippe Dugoin-Clément, vice-président du conseil régional d’Île-de-France, qui participait à la première plénière du Printemps des territoires, quant à elle consacrée aux politiques du logement prises dans leur ensemble. A ses côtés, Emmanuelle Cosse, la présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH), a d'ailleurs relevé combien il est "complexe de faire muter un parc de 4-5 pièces" en logements plus petits.

Cette plénière s'est penchée sur les symptômes et les causes de la "crise multifactorielle" du logement : décorrélation entre ce qui est produit et les revenus des ménages, hausse des taux d'intérêt, hausse du coût des matériaux et donc des coûts de construction, attractivité touristique… mais aussi, a souligné Jean-Philippe Dugoin-Clément, le fait que "construire soit aujourd'hui perçu comme risque d'une dégradation de la qualité de vie". "Les maires bâtisseurs vont avoir de fortes oppositions lors des prochaines municipales", prévoit l'élu francilien.

Avec l'approche des municipales, "il est difficile pour un maire d'accorder un permis de construire actuellement", reconnaît Valérie Létard. Selon Emmanuelle Cosse, le problème des oppositions aux projets de construction est devenu un facteur de blocage majeur pour le logement social. Des oppositions qui seraient souvent maquillées en vert. "Il faut qu'on arrête d'utiliser l'écologie pour justifier ces oppositions, c'est inadmissible", "aujourd'hui, ce qui bloque, ce sont les recours parce que ce sont des logements sociaux ou très sociaux", tempête-t-elle. Jean-Philippe Dugoin-Clément le constate lui aussi : "Le prisme environnemental a été dévoyé et masque en fait une opposition anti-sociale". Or, enjeux climatiques et sociaux doivent bien aller de pair.

"Le ZAN est une opportunité"

Et le "zéro artificialisation" (ZAN) dans tout ça ? Est-il lui aussi un frein à la production de logements ? "Le ZAN ne nous empêche pas de travailler, de construire, au contraire", tranche la présidente de l'USH, qui y voit surtout une incitation à "des opérations un peu plus denses, à moins d'éparpillement". Tous sont de cet avis. "Le ZAN est une opportunité, celle de se réapproprier des pans entiers d'urbanisme", par exemple sur les zones commerciales, acquiesce Edward Arkwright, le directeur général du groupe Altarea. Anne-Sophie Grave, la présidente du directoire chez CDC Habitat, estime elle aussi que "grâce au ZAN, une partie de la construction va se faire par la reconversion de friches".

En revanche, tous ont aussi souligné que le fait de "passer d'un urbanisme de la construction à un urbanisme de la transformation" nécessite d'avoir "les bons outils". Sur le plan financier, "grâce au fonds friches devenu le fonds vert, on a pu débloquer des projets", constate Emmanuelle Cosse, louant en outre les vertus du dispositif "seconde vie des bâtiments". Mais il y a aussi les obstacles techniques, administratifs, juridiques… dont la nécessité de passer par une modification du plan local d'urbanisme (PLU), qui retarde évidemment beaucoup les choses, tel que l'a évoqué Anne-Sophie Grave, saluant à ce titre la proposition de loi Huwart simplifiant le droit de l'urbanisme (voir notre article).

Valérie Létard s'est engagée à "continuer d'adapter le cadre", en commençant par les deux véhicules législatifs du moment : la proposition de loi Huwart donc, "coconstruite avec le ministère", qui doit arriver ce jeudi 15 mai en séance à l'Assemblée ; et puis la proposition de loi Daubié sur la transformation de bureaux en logements, qui arrive en fin de parcours avec une commission mixte paritaire "la semaine prochaine". "Je me battrai pour faire aboutir ces textes", a assuré la ministre, tout en étant consciente que "l'enjeu du financement est central" pour des projets "toujours plus coûteux" qu'une construction classique ex-nihilo, que ces opérations nécessitent "des montages sur mesure"… et que "rien ne se fera sans les élus locaux". En espérant que les 100 millions d'euros d'aide aux maires bâtisseurs inciteront certains élus à ne pas se montrer trop frileux.

 

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