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Loi de programmation militaire : quelles retombées territoriales ?

L’industrie de défense devrait passer la crise sans encombre. 110 milliards d’euros auront été investis dans les territoires entre 2019 et 2023, a indiqué le Premier ministre au Parlement, lors d'une discussion sur la loi de programmation militaire 2019-2025. Pas de quoi contenter le Sénat qui, à l’inverse de l’Assemblée la veille, a refusé d’apporter sa confiance au gouvernement, protestant contre l'absence d'actualisation de cette loi pluriannuelle telle que prévue à l'article 7.

Organiser une discussion entre deux tours d’élections au lieu de la véritable actualisation législative telle que prévue à l’article 7 de la loi de programmation militaire (LPM) ? Il n’en fallait pas plus pour offusquer le Sénat qui a refusé de renouveler sa confiance sur cette loi pluriannuelle, mercredi 24 juin, contrairement à l’Assemblée la veille. "J'ai décidé, et je l'assume, de ne pas soumettre à ce moment précis au Parlement de texte d'actualisation de la LPM", a dû se justifier Premier ministre, Jean Castex, devant les sénateurs. "Cette actualisation devra bien sûr intervenir dès que l'horizon économique et financier sera clarifié", a-t-il assuré.

La LPM portant sur la période 2019-2025 doit en effet faire l’objet d’une évaluation avec le Parlement avant d’infléchir le cas échéant ses orientations. Prévoyant un budget global de 295 milliards d'euros sur sept ans, elle a marqué un virage après des années de baisses et de coupes dans les effectifs, notamment sur fond de RGPP. Mais pour Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, "les circonstances ont changé" depuis le vote de la loi en 2018, ce qui implique une réévaluation. "Montée des menaces, crise sanitaire, pression sur nos finances publiques ont changé la donne et c'est pourquoi nous avons besoin d'actualiser cette loi de programmation", a-t-il réagi. "En refusant de débattre de son actualisation, vous faites planer le doute sur la trajectoire de la LPM. Nous connaissons bien la difficulté de nos finances publiques, mais il y va de la sécurité des Français", a-t-il fustigé.

La commission a chiffré cette actualisation à 8,6 milliards d’euros, huit fois plus que les estimations du gouvernement. Parmi les nouveautés à prendre en compte : "cyberdéfense, espace, retards industriels, conséquences des ventes de Rafale prélevées sur nos propres fonds, nouveau porte-avions nucléaire, commande non prévue d'une frégate de défense et d'intervention et, bien sûr, impact de la covid", a listé le sénateur. "C'est tout sauf un travail de 'petit comptable'."

110 milliards d'euros dans les territoires

Au-delà des enjeux stratégiques et géopolitiques de cette loi, le Premier ministre a mis en avant, devant les deux assemblées, les retombées territoriales des programmes financés. 110 milliards d’euros d’investissements vont être "injectés dans les territoires entre 2019 et 2023", grâce à la LPM a-t-il indiqué.

Sur les exercices 2021 et 2022, correspondant aux années du plan de relance, 40 milliards d’euros vont être investis dans les entreprises et les territoires, a assuré le Premier ministre, notamment à travers le plan de soutien à la filière aéronautique. À cela s’ajoutent 21 milliards d’euros de commandes à l’export entre 2018 et 2021, qui vont "contribuer au dynamisme de nos régions", s’est félicité le chef du gouvernement évoquant les "succès" du Rafale assemblé dans l’usine Dassault de Mérignac, avec les ventes récentes à la Grèce, l’Égypte et la Croatie qui ont respectivement passé commande pour 18, 30 et 12 avions de chasse. Or le Rafale mobilise pas moins de sept sites industriels en France et pas seulement Dassault : Thalès pour l’électronique ou Safran qui fournit le moteur. Thalès a par ailleurs décroché d’importants contrats avec l’Otan, notamment pour équiper son futur cloud et sécuriser les échanges d’informations entre tous les centres de commandements... La défense est l’un des rares secteurs dont la balance est excédentaire en France et dont les carnets de commande ne semblent pas avoir faibli pendant la crise...

70.000 emplois créés d'ici à 2025

Tous les investissements programmés vont contribuer à créer 25.000 emplois direct d’ici à 2022 et "jusqu’à 70.000 à l’horizon 2025", s’est félicité le Premier ministre. L’industrie de défense emploie aujourd’hui "plus de 200.000 emplois de haut niveau" répartis dans "toutes les régions". Un emploi situé majoritairement en province, comme l’a précisé le Premier ministre devant les députés : 12.000 emplois industriels directs en Centre-Val de Loire, 27.000 en Paca, 18.000 en Bretagne, 25.000 en Nouvelle-Aquitaine… même si l’Île-de-France concentre à elle seule 65.000 emplois. "L’armée est le premier service recruteur de l’État", a aussi souligné Jean Castex. Une région comme les Hauts-de-France compte 709 PME travaillant avec le ministère des Armées, soit 2.000 emplois.

Seulement, pour Christian Cambon, les signaux négatifs s’accumulent. "Il fallait nous parler des sommes nécessaires à la préparation opérationnelle et à l'adaptation à la haute intensité, du bâtiment hydrographique qui ne sera pas livré, du retard du programme Scorpion, de l'avenir du char Leclerc, des 123 véhicules blindés légers qui manqueront en 2025, des 51 véhicules qui manqueront aux forces spéciales, du nombre de poids lourds divisé par deux", a-t-il développé. De plus, la cible des 129 Rafale de l'Armée de l'air d'ici à 2025 ne sera pas atteinte, car les 12 Rafale de la Croatie sont des occasions. Ils seront donc pris sur les stocks français. "Seront-ils remplacés, et, si oui, quand ?", a demandé le sénateur. "Ils seront compensés à notre armée de l'air et de l'espace. Nous passerons cette commande. Où est le problème ?", a répondu la ministre des Armées, Florence Parly.

Alors que les industries de défense représentent jusqu’à 7% des emplois industriels dans certaines régions, plusieurs sénateurs ont regretté le peu de cas qui leur est fait dans le plan de relance. Charles de la Verpillière (Ain, LR) a regretté une "occasion manquée", la défense ayant été le "parent pauvre" du plan de relance. "600 millions d’euros seulement de commandes, qui n’ont concerné que le secteur aéronautique, et non pas les équipements de l’armée de terre ni la construction navale. C’est une hérésie quand on sait que chaque euro dépensé pour l’équipement de nos forces profite deux fois à notre pays : à son armée, bien sûr, mais aussi à notre économie et à l’emploi, puisque l’essentiel des commandes va à des entreprises françaises – grands groupes, entreprises de taille intermédiaire et PME."

Florence Parly a rétorqué que la somme "considérable" investie grâce à la LPM correspondait à "un plan de relance pour la seule défense".

Insuffisant pour convaincre les sénateurs. Alors qu’ils avaient adopté la LPM à 95% en 2018, le désaveu est cette fois-ci cinglant (236 voix contre - LR, PS, CRCE à majorité communiste, écologistes - et 46 voix pour). Même si ce vote est purement symbolique.

 

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