Loi Immigration : ce qu'il en reste

Le Conseil constitutionnel a censuré 35 des 86 articles du projet de loi Immigration, dont la promulgation était imminente : durcissement de l'accès aux prestations sociales (dont l'APA) pour les étrangers, quotas migratoires annuels, resserrement des critères du regroupement familial, "caution retour" pour les étudiants étrangers... L'article concernant l'accompagnement par les départements des MNA devenus majeurs est en revanche maintenu.

Le couperet est tombé jeudi 25 janvier. Sur les 86 articles du projet de loi immigration, 35 ont été retoqués totalement ou partiellement par le Conseil constitutionnel. Dès le lendemain, le gouvernement indiquait qu'il s'apprêtait à promulguer le texte "dans les prochaines heures" pour appliquer les premières mesures "dès ce week-end". Emmanuel Macron avait en effet aussitôt "pris acte" de la décision, qui a selon lui "validé quasi intégralement" le projet initial du gouvernement, et demandé à Gérald Darmanin de "tout mettre en oeuvre pour que la loi soit appliquée dans les meilleurs délais". Celui-ci a d'ailleurs convoqué les préfets vendredi matin pour leur donner ses premières instructions en matière de contrôles, d'expulsions et de régularisations.

Durcissement de l'accès aux prestations sociales pour les étrangers, quotas migratoires annuels, resserrement des critères du regroupement familial, "caution retour" pour les étudiants étrangers... La plupart des mesures censurées avaient été introduites par la droite sénatoriale. Mais elles ont été retoquées pour des raisons de forme plus que de fond. 32 article l'ont en effet été en tant que "cavaliers législatifs", autrement dit comme n'ayant pas leur place dans le périmètre de ce texte.

C'est notamment le cas de la mesure très controversée allongeant la durée de résidence exigée pour que des non-Européens en situation régulière puissent bénéficier de certaines prestations sociales, comme les aides au logement et les allocations familiales. Idem pour le resserrement des critères du regroupement familial, l'instauration d'une "caution retour" pour les étudiants étrangers ou la fin de l'automaticité du droit du sol pour les enfants d'étrangers nés en France.

"Ce n'est pas une politique migratoire que le Conseil a censuré, mais une procédure législative mal conduite", résume à l'AFP la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina, de l'université de Rouen. Mais ces cavaliers pourraient donc réapparaître à l'avenir dans de nouveaux textes. La droite le réclame déjà : les Républicains ont exhorté l'exécutif à repêcher "l'ensemble des dispositions invalidées". Gérald Darmanin a fermé la porte en affirmant que le gouvernement "ne représentera pas de projet de loi" sur le même thème.

Trois mesures toutefois ont été rejetées sur le fond, en particulier la fixation par le Parlement de quotas migratoires annuels, jugée contraire à la Constitution au titre de la séparation des pouvoirs.

Ces coups de ciseaux ont été accueillis avec "satisfaction" à gauche de l'échiquier politique. Certes côté France insoumise, Manuel Bompard a appelé l'exécutif à "retirer" une loi "totalement amputée" après cette large censure.

Le texte final conserve la structure initialement souhaitée par le gouvernement, avec un large volet de simplification des procédures pour expulser les étrangers délinquants.

La Fédération des acteurs de la solidarité, qui regroupe près de 900 associations et organismes, a fait part dans un communiqué de son "soulagement" mais assure maintenir "sa vigilance et sa mobilisation".

Le groupe des départements de gauche de Départements de France s'est notamment félicité du fait que le Conseil constitutionnel ait "refusé de restreindre l’allocation personnalisée d’autonomie" (APA). On se souvient que plusieurs départements présidés par la gauche avaient fait savoir qu'ils maintiendraient dans tous les cas une allocation départementale. Et avaient alors été "accusés d’être hors-la-loi".
 

Parmi les "cavaliers" censurés

  • L'accès durci aux prestations sociales pour les étrangers, une mesure qui avait cristallisé les débats au Parlement dans leur dernière ligne droite : la durée de résidence exigée pour que des étrangers hors-UE en situation régulière puissent bénéficier de prestations comme les allocations familiales avait été fixée à cinq ans pour ceux ne travaillent pas, et 30 mois pour les autres. Pour l'aide personnalisée au logement (APL), ces deux seuils avaient été fixés à cinq ans et 3 mois.
  • Les conditions du regroupement familial : l'allongement de 18 à 24 mois de la durée de résidence requise pour y prétendre, l'exclusion des conjoints de moins de 21 ans ainsi que la nécessité de justifier d'"un certain niveau de connaissance de la langue française".
  • Les restrictions prévues pour la délivrance d'un titre "étranger malade".
  • La caution demandée aux étudiants étrangers en France.
  • L'article privant les étrangers en situation irrégulière du bénéfice des réductions tarifaires en Île-de-France.
  • Le "délit de séjour irrégulier" puni d'une amende.
  • Tous les articles portant sur le droit à la nationalité, notamment celui qui mettait fin à l'automaticité de l'obtention de la nationalité française à la majorité pour les personnes nées en France de parents étrangers. Il était prévu que l'étranger doive en faire la demande entre ses 16 et 18 ans.
  • Un article décrié qui semblait limiter l'accès à l'hébergement d'urgence pour les personnes sous obligation de quitter le territoire.
  • L'octroi d'un visa long séjour "de plein droit" pour les Britanniques ayant une résidence secondaire en France.

Les articles censurés sur le fond

  • La mesure prévoyant que des "quotas" migratoires soient fixés par le Parlement pour plafonner le nombre d'étrangers admis sur le territoire est ainsi rejetée, au titre du principe de séparation des pouvoirs.
  • Un article autorisant le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie d'un étranger sans son consentement, prévu dans le texte initial du gouvernement, est lui considéré comme bafouant les garanties légales prévues dans la Constitution.

Ce qui reste dans la loi

  • Parmi les articles déclarés conformes à la Constitution, a notamment été validée la nécessité de s'engager à respecter "les principes de la République", comme la liberté d'expression et de conscience ou l'égalité entre les femmes et les hommes, pour pouvoir obtenir un titre de séjour.
  • Le Conseil valide aussi des dispositions au coeur du projet de loi initial du gouvernement, pour faciliter les expulsions et les décisions d'obligation de quitter le territoire français (OQTF). Il s'agit notamment de faire sauter les protections dont bénéficient certaines catégories d'étrangers, comme ceux arrivés en France avant l'âge de 13 ans.
  • L'article sur les régularisations de travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension, qui avait cristallisé les débats de l'automne, perdure dans le texte.
  • Demeure aussi l'article concernant les anciens mineurs non accompagnés (MNA). Il prévoit "une exception à l’obligation de prise en charge par les services départementaux, dans le cadre d’un contrat jeune majeur, des majeurs de vingt et un ans précédemment confiés à l’aide sociale à l’enfance, lorsqu’ils ont fait l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français". Le maintien de cet article a été très vite critiqué par des acteurs de la protection de l'enfance.
 

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