Maîtrise des finances locales : Bercy veut engager une nouvelle méthode

Le ministère de l'Economie et des Finances assure avoir tourné la page des contrats de Cahors, qui ont imposé aux collectivités une limitation de leurs dépenses de fonctionnement et des pénalités en cas de dépassement. Devant les représentants des élus locaux qu'il a réunis le 13 juin, Bruno Le Maire a souhaité mettre en place "une charte d'engagement entre l'Etat et les collectivités" en matière de finances, négociée avec ces dernières. Il a également mis sur la table la création d'un Haut conseil des finances publiques locales, voué à approfondir la concertation avec les élus.

Après les déconvenues au Parlement sur le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027, la Première ministre avait annoncé lors du congrès des maires, en novembre, que son gouvernement renonçait à mettre en œuvre des sanctions pour les collectivités locales ne respectant pas les objectifs en matière de dépenses de fonctionnement. L'exécutif a, semble-t-il, pris acte qu'il lui fallait aborder autrement le sujet des relations financières avec les collectivités. Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des Finances, qui animait, ce 13 juin, une réunion avec les représentants des associations d'élus locaux sur les finances locales - en présence de Dominique Faure, ministre déléguée aux Collectivités territoriales - a en tout cas témoigné de la volonté d'engager une nouvelle méthode.

Au cours de cette rencontre, qui clôturait un cycle de réunions techniques entre les services de Bercy et les associations d'élus locaux (sur chacune de ces réunions, voir nos articles ci-dessous), le ministre n'a pas ménagé ses efforts pour assurer les élus locaux que Bercy est à leur écoute. Ces derniers ont d'ailleurs été nombreux à reconnaître, à l'issue de la réunion, que le dialogue avec le ministre avait été franc et direct. Surtout, Bruno Le Maire a dévoilé des pistes afin de concrétiser cette nouvelle page des relations avec les collectivités qu'il appelle de ses vœux. La principale étant la préparation d'une "charte d'engagement Etat-collectivités locales", document non contraignant, dans lequel chaque partenaire prendrait un certain nombre d'engagements financiers, comme l'a appris Localtis de sources concordantes.

Suppressions d'impôts locaux : Bercy dit stop

Pour tenter de s'assurer du succès de ce projet encore flou, Bercy a déjà donné un gage : il s'engagerait à garantir "la stabilité du panier de recettes des collectivités locales jusqu'en 2026". Autrement dit, après la suppression de la taxe d'habitation, la réduction des bases des locaux industriels et la disparition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), les collectivités seraient assurées pendant trois ans que le périmètre des impôts et taxes qu'elles perçoivent ne sera pas modifié. Ce qui leur assurerait une certaine visibilité, une condition que les élus locaux estiment indispensable aux décisions en matière d'investissement. 

De leur côté, les collectivités devraient s'engager "sur un certain niveau de désendettement, afin de participer à l'effort collectif", indique-t-on du côté d'une association d'élus locaux. En parallèle, un mécanisme d'"auto-assurance" – ou de "mise en réserve" – serait activé, lorsque les recettes des collectivités sont plus dynamiques que l'inflation. L'objectif fixé par le dernier programme de stabilité concernant les dépenses de fonctionnement locales – à savoir une évolution inférieure de 0,5% à l'inflation – serait aussi affirmé. En sachant qu'un rendez-vous serait organisé annuellement pour évaluer si les évolutions financières du secteur public local sont dans les clous.

Haut conseil des finances publiques locales

Par ailleurs, Bercy propose l'instauration d'un Haut conseil des finances publiques locales, pour approfondir et pérenniser le dialogue avec les élus locaux. L'instance de concertation, où le gouvernement et les associations d'élus locaux discuteraient "de manière paritaire", ne serait "pas un second Comité des finances locales", aurait indiqué Bruno Le Maire.

A l'issue de la réunion, les élus locaux étaient dans l'expectative. "On est loin du compte sur la définition et la compréhension de ce que l'Etat souhaite mettre dans le pacte", pointait Jean-François Debat, président délégué de Villes de France. Celui-ci s'interroge sur la nature des dépenses qui seront prises en compte dans la norme d'évolution des dépenses publiques locales. La revalorisation de la rémunération des agents publics annoncée, le 12 juin, par le ministre en charge de la Fonction publique, doit-elle être intégrée ? "Pour nous, c'est non", indique le maire de Bourg-en-Bresse. Au passage, l'élu dénonce le "mauvais signal" que l'exécutif a envoyé avec des mesures destinées aux agents les plus faiblement rémunérés, qui "présentent une utilité" pour les intéressés, mais qui sont prises "sans concertation", alors qu'elles vont peser bien davantage sur les budgets locaux que sur celui de l'Etat. Il ne décolère pas : "tout ce qui a été annoncé consomme plus que notre marge de manœuvre sur 2023 et 2024".

"Financer le mur d'investissements en matière écologique"

Les "injonctions contradictoires" du gouvernement doivent "cesser", poursuit le président délégué de Villes de France. Les collectivités ne peuvent pas "continuer à investir autant", et dans le même temps "voir leurs recettes de fonctionnement stagner" et "réduire leur endettement", pointe-t-il.

Le panier de recettes des collectivités, dont le ministre de l'Economie veut garantir la stabilité au cours des trois prochaines années, doit comprendre des "compensations de suppression d'impôts évolutives" et une dotation globale de fonctionnement indexée sur "l'inflation", souligne encore Jean-François Debat.

De même, les interrogations ne manquent pas du côté de l'Association des petites villes de France (APVF), qui était représentée lors de la rencontre par son vice-président, Romain Colas, maire de Boussy-Saint-Antoine. Elles portent notamment sur le mécanisme d'auto-assurance : "Qui sera chargé de la régulation ? Sera-t-il dans les mains de l'Etat ?". L'association pointe aussi "la contradiction entre le mur d'investissements à réaliser pour mener la transition écologique et les engagements que les collectivités sont censées prendre pour encadrer la dépense locale".

Assises des finances publiques

Un autre point d'interrogation porte sur la nouvelle instance de concertation sur les finances locales. Sur le principe, l'APVF n'y est pas hostile. Mais "l'ordre du jour sera-t-il partagé, ou à l'inverse imposé par l'Etat ?". L'association n'a pas obtenu de réponse à ce stade.

Le dialogue entre Bercy et les élus locaux devra se poursuivre pour dessiner plus finement les nouveaux outils et la méthode de concertation qui pourraient faire consensus. D'ici là – de nouvelles réunions sur le sujet –, se tiendront, dès ce lundi 19 juin, les Assises des finances publiques, auxquelles la Première ministre prendra part. A la clé : de probables annonces sur les pistes d'économies que Bercy entend déployer dans le cadre de la revue des dépenses. Certains des élus locaux ont fait, mardi, des suggestions au ministre. Il faut par exemple "diminuer les normes" et simplifier les dossiers de demandes de subventions, qui exigent beaucoup de temps de la part des secrétaires de mairie, a ainsi pointé Bertrand Hauchecorne, maire de Mareau-aux-Prés, qui représentait l'Association des maires ruraux de France (AMRF).