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Malgré les surcoûts, la Cour des comptes appelle à conforter le rôle des régions

La Cour des comptes a livré, ce 24 septembre, la deuxième partie de son rapport sur les finances publiques locales. Un ouvrage de 269 pages qui dresse notamment un bilan des fusions de régions réalisées début 2016. Principale conclusion : contrairement aux promesses des élus, les économies ne sont pas au rendez-vous. Pour autant, la Cour estime que la prochaine étape de décentralisation devra renforcer les compétences des régions. Le rapport pointe par ailleurs les défauts des contrats dits de Cahors qui visent à limiter les dépenses de fonctionnement des grandes collectivités territoriales.

Une divine surprise pour les présidents de régions ? À la veille de leur congrès annuel – qui se tiendra lundi et mardi prochains à Bordeaux – ils obtiennent un soutien appuyé de la Cour des comptes. Dans le deuxième "fascicule" du rapport annuel sur les finances publiques locales que le premier président, Didier Migaud a présenté à la presse ce 24 septembre – le premier fascicule avait été publié en juin – les magistrats appellent à "un renforcement des régions". Ils ont à l'esprit le nouvel acte de décentralisation annoncé en avril par le président de la République, qui doit se concrétiser mi-2020 par le dépôt d'un projet de loi, que la ministre de la Cohésion des territoires est chargée de préparer. La bonne santé financière des régions – liée en particulier au dynamisme de leurs recettes de fiscalité économique – place celles-ci en position d'exercer de nouvelles compétences, estime la Cour. Pour laquelle il convient de consolider les compétences déjà exercées par les régions.

L'institution de la rue Cambon cite ainsi plusieurs responsabilités en matière de formation et de développement économique, dont le transfert aux régions pourrait être étudié : "Le rôle résiduel de l’État en matière de financement et d’animation du réseau des acteurs locaux du service public de l’emploi et de financement des actions de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences", ou encore "le financement et la tutelle des réseaux consulaires". La Cour évoque une autre piste, mais de manière assez floue. "La compétence régionale sur les transports, posée par la loi Notre [loi sur l'organisation territoriale de la République], invite à une réflexion sur la cohérence éventuelle qui découlerait d’une unification de la gestion des voiries nationale et départementale", écrit-t-elle.

De coûteuses primes pour les agents

Dans l'esprit des magistrats, l'affectation de nouvelles missions aux régions doit permettre de clarifier la répartition des compétences entre les collectivités territoriales. La loi sur l'organisation territoriale d'août 2015 a bien essayé de mettre de l'ordre. Mais elle n'y est parvenue que partiellement. Alors qu'ils étaient censés abandonner leurs compétences en matière de développement économique, les départements continuent d'intervenir dans des champs voisins, tels que le tourisme, la culture et l’économie sociale et solidaire. De même, plusieurs d'entre eux (Indre, Indre-et-Loire, Calvados) ont obtenu la délégation par les intercommunalités de la compétence en matière d'immobilier d'entreprise.

Toujours en vue d'une meilleure lisibilité de l'action publique, la Cour encourage les collectivités territoriales à utiliser les conférences territoriales de l'action publique. Instaurées par la loi de modernisation de l'action publique (Maptam) de janvier 2014, elles ont été peu réunies, du fait d'un "manque de volonté politique."

Les magistrats ne distribuent pas que des bons points aux régions. Ils observent d'un œil très critique la gestion des sept régions nées d'une fusion le 1er janvier 2016. Les économies que le secrétaire d'Etat à la réforme territoriale de l'époque, André Vallini, chiffrait "à long terme" à 10 milliards d'euros, ne sont pas au rendez-vous. Comme la Cour l'avait déjà constaté dans son rapport sur les finances publiques locales d'octobre 2017, les "coûts de transition" – tels que l'harmonisation des systèmes d'information, ou le relooking des trains express régionaux – sont importants.

À cela s'ajoute le coût de l'alignement des régimes indemnitaires versés aux agents sur le plus favorable. "En 2021 les dépenses annuelles supplémentaires en matière de régime indemnitaire des régions fusionnées représenteront entre 49,35 millions d'euros et 53,35 millions d'euros par rapport à la situation de 2016", évalue la Cour. La facture est particulièrement lourde pour les régions Grand Est et Nouvelle-Aquitaine (sur la période, 16 millions d'euros pour la première et 14 à 17 millions d'euros pour la seconde). La Cour pointe aussi une augmentation globale des indemnités versées aux élus "de l’ordre de 8% en moyenne" sur l’ensemble des régions fusionnées entre 2015 et 2018 - contre 0,6 % pour les régions non fusionnées. Il en résulte, selon la Cour, "un surcoût pérenne annuel de 3,8 millions d'euros pour les sept régions concernées".

Un mot d'ordre : réorganiser

Les surcoûts sont aussi à mettre à l'actif d'un manque de "réorganisations structurelles", pour les magistrats. Ceux-ci estiment que le maintien des effectifs territoriaux dans les sièges des anciennes régions "était sans doute inévitable dans la phase de mise en œuvre de la réforme", mais qu'elle "ne paraît pas devoir être pérennisée". De même, pour l'exercice des nouvelles compétences (en matière de transports notamment) que la loi leur a confiées, les régions ont conservé les organisations en place. Ce qui n'a pas permis d'entraîner des économies.
Pour l'association Régions de France, "c’est seulement à l’issue de la mandature régionale qu’un bilan précis [de la fusion des régions] pourra être effectué".

Limitation des dépenses des grandes collectivités : un mécanisme perfectible

Dans leur rapport, les magistrats confirment le constat qu'ils avaient dressé en juin : les finances locales sont en meilleure santé. En 2019, la revalorisation forfaitaire des valeurs locatives cadastrales de 2,2% et la forte croissance (+6,8%) du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) expliquent ce regain de forme.

Emettant l'hypothèse que la réforme de la fiscalité locale sera "neutre" pour les collectivités territoriales, la Cour estime que l'embellie va s'installer durablement. Elle table ainsi sur "une progression globale de l’épargne brute des collectivités du bloc communal, des départements et des régions de 8,1 milliards d'euros entre 2018 et 2022". De quoi leur permettre de financer une nouvelle hausse des investissements en 2019. Mais aussi de réduire leur endettement à l'horizon de 2022. Ainsi, l'objectif de réduction du besoin de financement fixé par la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 (-13 milliards d'euros en valeur) pourrait être atteint en partie au moins.

Toutefois, la Cour ne croit pas beaucoup à ce scénario. "Le risque est surtout que la hausse des recettes de fonctionnement des collectivités ne les incite pas à maintenir leur effort de maîtrise de leurs charges, en particulier pour celles exclues du champ de la contractualisation", écrit-elle. Le gendarme des comptes publics appelle donc les collectivités à ne pas relâcher leurs efforts. En outre, elle avance l'idée d'engager "une réflexion plus large sur le partage des ressources et des charges entre l’État et les collectivités territoriales."

Contenir l'évolution des dépenses courantes du secteur public local : tel était bien la vocation des contrats que l'État a signés au premier semestre 2018 avec les grandes collectivités territoriales et intercommunalités. Le dispositif s'est révélé efficace l'an dernier, puisque les dépenses courantes des collectivités concernées ont baissé de 0,3%. Mais le mécanisme comporte néanmoins de nombreuses "limites" qui, selon la Cour, appellent des "ajustements".

Reprenant l'une des principales critiques des associations d'élus locaux (en particulier France urbaine et l'Assemblée des communautés de France), elle pointe le problème posé par la double comptabilisation des actions cofinancées (en tant que subventions des collectivités intervenantes et en tant que dépenses de la collectivité porteuse). Elle redoute que les démarches partenariales entre collectivités en fassent les frais. "Le risque est (aussi), pour des collectivités proches de leur plafond de dépense, que la recherche d’optimisation prenne le pas sur les démarches de bonne gestion", affirment les magistrats. Ceux-ci redoutent ainsi que les communes ne soient pas incitées à faire progresser la mutualisation de leurs services.

La Cour défend la possibilité pour les collectivités de négocier des avenants afin que soient prises en compte "les conséquences des évolutions législatives ou réglementaires affectant le niveau des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités contractantes". Elle préconise encore d'intégrer les budgets annexes dans le dispositif de contractualisation, ceux-ci présentant une évolution plus dynamique que les budgets principaux.