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Mandats locaux : le Sénat s'inquiète d'un "malaise" et d'"une crise des vocations"

Lors d'une table-ronde, le 14 février, les sénateurs ont dévoilé les résultats d'une vaste consultation des édiles locaux traduisant selon eux "un véritable malaise" des titulaires de mandats locaux et "une crise des vocations". Présente, la ministre auprès du ministre de l'Intérieur a "lancé le débat" - selon ses termes - autour de l'idée selon laquelle les élus locaux pourraient être moins nombreux, moins cumulards, mais mieux indemnisés.

La ministre auprès du ministre de l'Intérieur s'est dite ouverte, jeudi 14 février, à "des ajustements de la loi" afin d'améliorer les "conditions d'exercice des mandats locaux". Cet objectif correspond à "l'un des chantiers identifiés par le président de la République dans le cadre de la conférence nationale des territoires", a indiqué Jacqueline Gourault lors d'une table-ronde organisée sur ce thème par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. "Les responsabilités des élus locaux se sont accrues", mais leur statut "ne s'est pas transformé de manière fondamentale", a-t-elle déclaré. En faisant remarquer qu'il existe quand même "déjà beaucoup de choses" favorisant l'exercice des mandats locaux et que les intéressés méconnaissent certains de leurs droits.
Abordant le sujet de la réduction du nombre des élus locaux, Jacqueline Gourault a affirmé qu'il faut "le mettre sur la table". En annonçant, le 17 juillet dernier, vouloir "engager" cette réforme, le président de la République "considérait que, naturellement, il y avait des choses mathématiques qui pouvaient se faire avec les communes nouvelles", a déclaré la ministre. Elle a confié avoir eu un entretien avec Emmanuel Macron sur cette question. Evoquant, par ailleurs, l'exemple de la Chaussée-Saint-Victor, commune de 4.500 habitants dans le Loir-et-Cher, dont elle a été le maire entre 1989 et 2014, elle s'est interrogée : serait-ce "un drame" si l'on passait du nombre actuel de 27 conseillers municipaux à 23 ?" Mais, "je ne dis pas qu'il faut le faire […] et que le gouvernement dit qu'il faut réduire [le nombre des élus locaux], je pose tous les sujets", a-t-elle ajouté. La ministre a redoublé de prudence sur le dossier, répétant, peu après, que le gouvernement "n'a aucune intention de légiférer sur ce point".

"Mieux reconnaître le travail des élus"

"Dans mon conseil municipal nous sommes 29, nous pourrions être un peu moins nombreux, ce serait aussi efficace", a réagi Edith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire, 5.000 habitants) et représentante de l'Association des maires de France (AMF). Un point de vue partagé par Loïc Cauret, président délégué de l'Assemblée des communautés de France (ADCF). "On a peut-être intérêt à resserrer les choses, mais à donner des moyens supplémentaires à ceux qui sont là", a-t-il déclaré. Après les fusions intervenues début 2016 entre plusieurs régions, "certaines" des assemblées régionales sont devenues "pléthoriques", a pointé pour sa part Michel Neugnot, premier vice-président de Régions de France.
"Si on veut des élus locaux, il faut les rémunérer au juste temps qu'ils passent", davantage encore depuis qu'a pris fin le cumul entre les mandats de parlementaire et d'élu local, a par ailleurs souligné la ministre. Le sujet est "très important", mais "très sensible", a-t-elle dit. Lorsqu'en début de mandat, l'assemblée locale fixe le montant de l'indemnité du maire, le sujet fait parfois "le lendemain, le premier titre de la presse locale", a témoigné Nicolas Soret, président de la communauté de communes du Jovinien (Yonne) et représentant de l'Association des petites villes de France (APVF). Succédant en 2008 à un député qui occupait aussi des fonctions de maire, président d'intercommunalité et conseiller départemental et ne percevait, du fait de l'écrêtement de ses indemnités, "que 100 euros" pour la présidence de la communauté de communes, le jeune élu socialiste a proposé que son indemnité soit fixée "à 800 euros par mois pour un temps plein quasiment". "Vous imaginez combien ça a été compliqué !", a-t-il lancé. En souhaitant donc que les assemblées locales ne se mêlent plus du sujet. De son côté, Loïc Cauret a appelé à une plus juste reconnaissance - via les indemnités - de l'important travail réalisé généralement par les adjoints au maire et vice-présidents de communautés. Cependant, pour l'AMF, l'indemnité des élus locaux "n'est pas le sujet principal", a relativisé François Zocchetto, maire de Laval. "Il y a probablement des ajustements à faire. Mais il n'y a pas besoin de chambouler", a dit le représentant de l'association.

"Sécuriser" la fin du mandat

Estimant à titre personnel que certains élus cumulent à l'excès le nombre de mandats locaux différents, la ministre a rappelé, surtout, que l'exécutif a annoncé vouloir limiter le cumul d'un même mandat local dans la durée. Ce "sujet qui fâche", selon son expression, a pourtant suscité peu de réactions de la part des représentants des associations d'élus locaux. Seul Loïc Cauret a souligné la nécessité, si la réforme voit le jour, de faciliter encore plus qu'aujourd'hui le retour des élus en fin de mandat dans la vie professionnelle. Si l'on n'améliore pas le droit à la "retraite", si l'on ne met pas en place des dispositifs de "sécurisation" et des "formations qualifiantes", les "gens ne prendront pas le risque de s'engager" et l'on donnera "une prime aux retraités, aux [fonctionnaires] détachés, aux responsables de cabinet [des exécutifs locaux] …", s'est alarmé le président de la communauté de communes de Lamballe Terre et Mer.
Malgré les avancées introduites par la loi Gourault-Sueur du 31 mars 2015, la fin d'un mandat serait parfois déjà, dans le contexte actuel, un parcours du combattant pour les personnes en âge de travailler. La conciliation entre l'exercice d'un mandat et celui d'une activité professionnelle serait tout aussi compliquée. Nicolas Soret a témoigné qu'à 27 ans, en tant que cadre dirigeant d'une PME, il s'est retrouvé à devoir s'absenter "deux ou trois jours par semaine." La situation était intenable : "J'ai fini par démissionner [de mon emploi]", a confié le président de la communauté de communes du Jovinien.
Si de nouvelles mesures étaient votées, elles devraient favoriser l'engagement des salariés du secteur privé et notamment des jeunes, a souhaité l'élu. De surcroît, il faudrait que les "ouvriers et les employés" soient plus présents dans les assemblées locales, des lieux dont, aujourd'hui, "ils ont disparu", selon Eric Kerrouche, sénateur des Landes. Cet ancien politologue a souhaité par conséquent que "le statut permette à chacun de penser qu'il puisse se présenter et exercer [un mandat]". Une idée à laquelle Edith Gueugneau pourrait souscrire. L'élue a souligné la difficulté pour les femmes de s'engager en politique, lorsque celles-ci "travaillent et ont une vie familiale." Le groupe de travail de l'AMF sur "la promotion des femmes dans les exécutifs locaux", qu'elle copréside avec Cécile Gallien, maire de Vorey (Haute-Loire), fera des propositions sur le sujet.

"Beaucoup d'élus sont découragés"

Il existe "un véritable malaise" chez les élus locaux, s'est inquiété Christian Manable, sénateur de la Somme. Les situations de "zizanie" au sein des conseils municipaux et les démissions de la part des élus sont croissantes, a-t-il constaté. Son collègue du Cantal, Bernard Delcros a confirmé : "Dans les petites communes, beaucoup d'élus sont découragés." Les raisons sont multiples. "L'avalanche des normes", la responsabilité pénale, "la perte du sens du collectif", la difficile conciliation entre la vie familiale et professionnelle, d'une part, et l'exercice du mandat, d'autre part, ont été pointées par certains participants. D'autres ont évoqué la "quantité des réunions", les "exigences croissantes" des citoyens et leur "moindre gratitude."
Ces difficultés sont, peu ou prou, celles que les 17.500 élus locaux, principalement des élus des communes et intercommunalités, ont identifiées dans leurs réponses à une vaste consultation organisée récemment par la délégation sénatoriale et dont le président, Jean-Marie Bockel, a présenté les premiers résultats à l'ouverture de la table-ronde. De tels obstacles à l'accès aux fonctions politiques, puis à leur bon déroulement, conduisent 45% des répondants à "envisager de quitter la politique à l'issue de leur mandat." Un chiffre qui traduit, selon la délégation, l'existence d'une "crise des vocations". Autre enseignement de cette consultation : l'annonce d'une baisse du nombre des élus locaux recueille l'opposition de plus de 54% des participants. Voici l'exécutif prévenu.
La table-ronde qui s'est tenue jeudi marquait le début des travaux du groupe de travail de la délégation sénatoriale dédié au "statut des élus locaux", récemment mis en place. Ce dernier élaborera des propositions "d'ici l'été 2018", sans doute donc peu avant la prochaine réunion de la conférence nationale des territoires prévue en juin ou juillet prochain. Un rendez-vous qui sera l'occasion de "voir éventuellement les points sur lesquels il faudrait légiférer", a estimé Jacqueline Gourault.

 

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