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Réforme territoriale - Manuel Valls remet les départements sur la sellette

"Réduire de moitié le nombre de régions" en 2017, par la loi s'il le faut. Instaurer "une nouvelle carte intercommunale" avant 2018. Supprimer la clause générale de compétence des régions et départements. Et... supprimer le département d'ici 2021. Le volet territorial de la déclaration de politique générale de Manuel Valls ce 8 avril devant les députés devrait faire des vagues. Jusqu'à faire oublier d'autres annonces, dont un assouplissement du décret rythmes scolaires.

Ce ne fut pas le cœur de son intervention, loin de là. Les trois quarts de son discours s'étaient d'ailleurs déjà écoulés lorsqu'il en a été question. Mais c'est forcément le point que retiendront les collectivités. Le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, a formulé ce 8 avril lors de sa déclaration de politique générale quatre propositions en matière de réforme territoriale - quatre "changements majeurs" face au "millefeuille", a-t-il prévenu.
"Je propose", "mon objectif"… ces propositions, il en revendique la paternité, même si elles ont un certain air de famille avec les déclarations de François Hollande puis de Jean-Marc Ayrault en janvier dernier, celles qui avaient réorienté le chantier de la décentralisation avant même que la loi Mapam fraîchement votée ne soit publiée.
En tant que ministre de l'Intérieur, avec sa loi électorale du 18 mai 2013, Manuel Valls s'est déjà beaucoup intéressé aux institutions locales et aux élus locaux… Nombreux sont ceux d'ailleurs qui continuent de vilipender, notamment, son redécoupage cantonal. Cette fois, c'est à une autre carte de France que le chef du gouvernement compte s'attaquer : celle des régions. L'idée est claire : "réduire de moitié le nombre de régions". Disant s'inspirer du rapport Krattinger-Raffarin d'octobre 2013, il a souligné la nécessité de doter les régions d'une "taille critique". Les choses pourront se faire en douceur… ou pas.
Dans un premier temps en effet, il s'agirait d'inviter les régions à "proposer de fusionner par délibérations concordantes". Fusionner sur la base du volontariat... jusque-là, rien de fondamentalement nouveau, en sachant que François Hollande avait parlé en janvier d'incitations financières. Mais attention à l'étape d'après : "En l'absence de propositions", c'est "par la loi" que la "nouvelle carte des régions" sera dessinée. Une loi qui "sera établie pour le 1er janvier 2017".
Qu'en disent les principaux intéressés ? Jean-Paul Huchon, en tant que président de la région Ile-de-France, n'a pas frémi. "La réduction du nombre de régions par deux ? Allons-y, dès lors que les régions disposent des moyens pour améliorer le quotidien de nos concitoyens et le développement économique de leur territoire", a-t-il fait valoir. Même son de cloche du côté d'Alain Rousset au nom de l'Association des régions de France : "Réduire le nombre de régions pour plus d'efficacité, je dis 'chiche Monsieur le Premier ministre'. Mais allons jusqu'au bout du raisonnement en s'inspirant des modèles d'autres grandes démocraties européennes qui réussissent en s'appuyant sur des régions fortes."
"Diviser par deux le nombre de régions va tout à fait dans le sens de la proposition que j'avais faite", s'est targué Eric Doligé, président UMP du Loiret, ajoutant : "Le problème est que l'on va élire 22 présidents en 2015 et que deux ans après la moitié d'entre eux va être supprimée. Ne faudrait-il pas réduire le nombre de régions avant les élections ?" Or non, il faudra laisser passer les régionales de 2015 avant de pouvoir y songer puisqu'en principe on ne modifie pas les règles du jeu d'un scrutin ou les périmètres du territoire concerné moins d'un an avant un scrutin.

Débat sur le département : "Maintenant, il faudra le faire"

Des fusions, aussi, sont confirmées pour l'échelon intercommunal, même si Manuel Valls est resté peu précis sur ce point, assurant en tout cas qu'une "nouvelle carte intercommunale, fondée sur les bassins de vie, entrera en vigueur au 1er janvier 2018".
Quant à ce qu'il souhaite pour les départements... les choses sont claires : "Je vous propose leur suppression à l'horizon 2021", a-t-il lancé. Ou, plus précisément, la suppression des conseils départementaux, ces assemblées auxquelles la loi Valls de mai 2013 (élection de binômes paritaires, réduction de moitié du nombre de cantons) est censée apporter une nouvelle modernité à partir des élections de 2015...
Tout en se disant conscient que "ce changement donnera lieu à un profond débat dans notre pays" et que ce débat "sera long", le Premier ministre a considéré que "beaucoup de propositions" ont déjà été formulées… et que "maintenant, il faudra le faire".
Certes, 2021, ce n'est pas demain. Mais c'est semble-t-il la première fois qu'un responsable de gauche, en tout cas depuis l'élection de François Hollande, préconise officiellement la suppression pure et simple des départements, en dehors du cas spécifique des départements de la petite couronne francilienne (et de celui de métropoles auxquelles certains auraient envie d'appliquer le "modèle lyonnais" tel que prévu par la loi Mapam). Et l'on se souvient par exemple des propos de Marylise Lebranchu, aujourd'hui reconduite dans ses fonctions de ministre en charge de la décentralisation, qui appelait fin janvier à "arrêter les discours simplistes" qui ne tiendraient pas compte des subtilités de la "conjugaison des politiques publiques", à "arrêter de chiffonner le millefeuille", à arrêter de dire que "si on enlève une feuille tout ira bien".
Les premières réactions n'ont pas tardé et promettent des échanges musclés. Le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), notamment, s'est dit carrément "abasourdi" par la proposition de Manuel Valls et a dénoncé "la brutalité de la méthode employée par le gouvernement puisqu'aucun échange préalable n'a eu lieu avec l'ADF avant cette annonce". Prêt à réunir un bureau extraordinaire de son association, Claudy Lebreton "demande à être reçu, avec une délégation pluraliste, dans les meilleurs délais par le Premier ministre afin d'obtenir des explications" et prévient que les départements "mettront tout en œuvre dans les jours qui viennent pour démontrer la pertinence de leur existence pour nos concitoyens". De la même façon, Marie-Françoise Pérol-Dumont, en tant que présidente du groupe majoritaire de l'ADF, parle d'une "annonce inconsidérée et abrupte". Sous une autre bannière, celle de l'UDI, le président de la Mayenne, Jean Arthuis, s'interroge lui aussi : "Autrement dit, ceux qui seront élus en 2015 dans les conseils départementaux auront pour mission de liquider l'institution départementale ?"

10 milliards d'euros sur trois ans

Du coup, un autre point passe presque inaperçu : la suite des allers-retours sur la clause de compétence générale. Manuel Valls compte proposer la suppression de cette clause pour les départements en sursis et les régions, afin que ces deux échelons soient dotés de compétences "spécifiques et exclusives". Jean-Marc Ayrault n'avait guère dit autre chose fin janvier, quelques jours avant la publication de la loi Mapam qui venait rétablir cette même clause supprimée sous la présidence de Nicolas Sarkozy… mais l'ancien Premier ministre avait ensuite indiqué aux élus départementaux qu'il pourrait faire machine arrière.
Son successeur n'a pas précisé aujourd'hui s'il comptait revenir ou pas sur les exceptions inscrites dans la loi de décembre 2010 (culture, tourisme, sport). En tout cas, en entendant parler de compétences "spécifiques et exclusives" du département, on attendra forcément d'en savoir plus sur le devenir de ces compétences une fois le département supprimé. Avec des régions deux fois plus grandes, difficile d'imaginer un exercice des compétences sociales, par exemple, à l'échelle régionale. On lorgnerait donc plutôt vers l'intercommunalité.
D'aucuns ont coutume de dire que la façon la plus drastique d'obliger les collectivités à se recentrer sur leur "cœur de métier" et donc de limiter de fait un éventuel éparpillement des compétences, c'est de réduire leurs ressources.
On saura à ce titre que les chiffres qui circulaient depuis environ un mois quant à l'"effort" financier qui sera demandé aux collectivités dans le cadre de leur participation au redressement des comptes publics (lire par exemple notre article du 24 mars) a été confirmé ce 8 avril, sans plus de précisions : 10 milliards d'euros sur trois ans, de 2015 à 2017. 10 milliards, donc, sur un total de 50 milliards d'économies de la nation, l'Etat et ses agences devant pour leur part y contribuer à hauteur de 19 milliards et l'assurance maladie devant économiser 10 milliards. "Le reste viendra d'une plus grande justice, d'une mise en cohérence et d'une meilleure lisibilité de notre système de prestations", a ajouté Manuel Valls, là encore sans s'étendre davantage.
Le Premier ministre a également confirmé que ces "économies nouvelles" seront traduites dans un projet de loi de finances rectificatives "au début de l'été". Avant cela, fin avril, l'Assemblée examinera le programme de stabilité, à savoir le plan triennal de finances publiques de la France qui doit ensuite être validé par la Commission européenne.

Claire Mallet
 

Rythmes scolaires : "le cadre réglementaire sera assoupli"
"L'aménagement des rythmes scolaires est une bonne réforme", a estimé Manuel Valls dans sa déclaration de politique générale, pour aussitôt ajouter : "Cependant, j'ai entendu les remarques de bonne foi venant des élus. Ainsi, le cadre réglementaire sera assoupli après les concertations nécessaires avec les enseignants, les parents et les élus."
Le Premier ministre a rappelé un peu vite que "93% des communes s'y sont déjà engagées". Il s'agit en fait de la part des communes qui n'ont pas mis en place la réforme à la rentrée 2013 et s'y préparent pour 2014 comme la loi les y oblige (ce qui laisse 7% de communes récalcitrantes, soit par position politique, soit parce qu'elles rentrent de réelles difficultés). Pour mémoire, seulement 17% des communes ont organisé la réforme dès la rentrée 2013.
"Le cadre général du décret sur les rythmes reste inchangé", a précisé le ministère de l'Education nationale à l'AFP. "Il n'y a ni retrait, ni libre-choix, la réforme s'appliquera bien à toutes les communes" à la rentrée. Il s'agit en fait, indique le ministère, d'apporter aux communes rencontrant des difficultés "un vrai accompagnement", de travailler "en concertation avec les acteurs de terrain" et de tenir compte de projets pédagogiques réellement innovants".

Zéro charges pour un Smic
Le crédit d'impôt compétitivité emploi (Cice) "doit atteindre 12 milliards cette année et 20 milliards l'année prochaine. Nous porterons les allégements du coût du travail à 30 milliards d'ici 2016", a fait savoir le Premier ministre avant de détailler les tranches de ces allégements : "au niveau du Smic", les cotisations patronales à l'Urssaf seront "entièrement supprimées" au 1er janvier 2015 ; le barème des allégements existants entre le Smic et 1,6 fois le Smic sera modifié en conséquence ; pour les salaires "jusqu'à 3 fois et demie le Smic", les cotisations famille abaissées de 1,8 point au 1er janvier 2016.
Du côté des salariés (c'est, après le pacte de responsabilité, le volet pacte de solidarité), une réduction des cotisations sociales salariales au niveau du Smic est prévue à compter du 1er janvier 2015 pour "procurer 500 euros par an de salaire net supplémentaire", soit "presque la moitié d'un 13e mois". Manuel Valls prévoir par ailleurs d'alléger la fiscalité "sur les ménages modestes", "en particulier ceux qui sont entrés dans le champ de l'impôt sur le revenu ces dernières années alors même que leur situation ne s'était pas améliorée".

Logement : simplifier pour construire
Manuel Valls a fait valoir que "50 mesures de simplification de règles et de normes existantes seront prises" et feront l'objet d'arrêtés publiés avant l'été, l'objectif étant évidemment la "relance de la construction". "Le logement pour tous est une mission qu'il nous faut mener ensemble, Etat, collectivités territoriales, de droite comme de gauche, entreprises, bailleurs sociaux et privés", a-t-il souligné.

Energie et écologie
Le nouveau chef du gouvernement a évoqué la "stratégie bas carbone qui sera présentée au Parlement", stratégie dont "l'objectif est de réduire de 30% notre consommation d'énergie fossile d'ici 2030 et de 40% nos émissions de gaz à effet de serre à la même échéance". "L'engagement du président de la République de passer à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici 2025, sera tenu. Il sera inscrit dans la loi sur la transition énergétique soumise au Conseil des ministres avant l'été", a-t-il également assuré.

 

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