Marché européen de l'électricité : des promesses non tenues

L'inachèvement du marché européen de l'électricité - toujours régi par 27 cadres nationaux - est la porte ouverte aux abus, alerte la Cour des comptes européenne, dans un audit rendu public le 31 janvier. La crise énergétique actuelle rend son intégration "urgente" afin que "les prix reflètent l’offre et la demande, et qu’ils ne soient pas faussés par des opérations d’initiés", plaide-t-elle, à quelques semaines de la proposition de réforme de la Commission.

Bénéficier d’une énergie bon marché et sécuriser les sources d’approvisionnement : la promesse du marché européen de l’électricité a volé en éclat ces derniers mois. Au moment où la Commission européenne travaille à une proposition de réforme annoncée pour le mois de mars (voir notre article du 23 janvier 2023), la Cour des comptes européenne dénonce les retards pris dans l’intégration de ce marché qui aurait dû être achevée en 2014. "Producteurs d'électricité, fournisseurs et courtiers pourraient tous exploiter les lacunes ou, pis encore, les États membres pourraient se faire concurrence pour proposer l'environnement le plus permissif du point de vue des sanctions et de la mise en application des règles", alerte l’institution dans un communiqué accompagnant un rapport spécial rendu public mardi 31 janvier, sur "L’intégration du marché intérieur de l’électricité".

Des écarts de prix de 1 à 10

Lancée en 1996 avec la fin des monopoles nationaux puis l’ouverture à la concurrence, l’intégration du marché européen s’est faite de manière graduelle à travers une série de "paquets" Énergie. "L’un de ses principaux objectifs consistait à accélérer l’intégration des marchés de l’électricité en harmonisant les pratiques commerciales sur les marchés de gros organisés et, ainsi, à promouvoir la concurrence transfrontalière", rappelle l’institution. En 2015, un an après la date butoir, elle s’était déjà livrée à un constat d’échec. Le but de ce nouveau rapport était d’évaluer les progrès accomplis depuis lors. Et le compte n’y est toujours pas. "Le marché est toujours régi en pratique par 27 cadres réglementaires nationaux. Comme le montre la crise énergétique actuelle, les prix de gros varient considérablement d’un État à l’autre" et "les prix de détail (ceux que payent les consommateurs, NDLR) restent déterminés par les taxes nationales et redevances de réseau plutôt que par la concurrence." Les failles sont apparues au grand jour il y a deux ans. En octobre 2021, le prix de l’électricité variait de 25,5 euros le MWh en Suède à 229 en Irlande, soit un rapport de 1 à 10 !

Pour expliquer ces écarts, la Cour pointe les faiblesses de la gouvernance de l’Union européenne. Et tout particulièrement les insuffisances du mécanisme de surveillance confié à l’Acer (Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie). Celle-ci est chargée depuis 2009 de contrôler les États et de s’assurer qu’ils appliquent bien les règles. Mais, avec ses cinq agents, elle "ne dispose pas de moyens de contrainte et, si la Commission ne soutient pas ses efforts de convergence de manière appropriée, elle ne pourra peut-être pas atteindre les objectifs qui lui ont été assignés". Autre grief, formulé à l’encontre de la Commission cette fois-ci : l’exécutif européen a privilégié une "approche réglementaire", c’est-à-dire le recours aux lignes directrices et à des "codes de réseau" visant à harmoniser les règles en matière d’échanges transfrontaliers. Résultat : une "architecture juridique complexe en matière de règles commerciales transfrontalières" qui a entravé la constitution du marché. Fin 2021, c’est-à-dire sept ans après la date initialement prévue, "aucune des lignes directrices n’avait été intégralement mise en œuvre", assène la Cour.

Manque de préparation

Pis encore, il semble que ni la Commission ni le REGRT-E (réseau européen des gestionnaires de réseau de transport pour l’électricité) n’aient été capables d’anticiper les difficultés actuelles. La crise énergétique "a fait ressortir un manque de préparation pour ce qui est des règles en matière de méthodes de fixation des prix dans les situations de crise où ces méthodes pourraient conduire à des profits excessifs".

"
L'achèvement du marché intérieur de l'électricité est devenu encore plus urgent avec la crise de l'énergie et du coût de la vie qui frappe actuellement les citoyens de l'UE", affirme Mihails Kozlovs, auteur de cet audit. D’autant que de nombreuses voix s’élèvent pour demander à sortir du marché européen. C’est en particulier le cas en France où le consommateur ne peut pas bénéficier du faible coût de production lié au parc nucléaire (voir notre article du 16 janvier 2023). "Pour une concurrence ouverte et loyale sur les marchés de gros de l’énergie dans l’UE, il est primordial que les prix reflètent l’offre et la demande, et qu’ils ne soient pas faussés par des opérations d’initiés ni par d’autres formes de manipulation du marché", insiste le rapport. Réponse dans quelques semaines avec la proposition de Bruxelles.

 

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