Métavers : un rapport incite l'État à se doter d'une vraie stratégie

Si le terme de métavers reste flou, les technologies 3D immersives ont un réel potentiel d’usage, estime un rapport au gouvernement. Pour ne pas se laisser imposer un modèle venu de l’extérieur, ses auteurs invitent l’État à se saisir d’un dossier qui impacte le secteur du divertissement et de la culture mais aussi la formation, le travail ou encore les jumeaux numériques.

C’est en février dernier que trois ministères – Économie, Culture et Transition numérique – ont confié à deux chercheurs (Camille François, université de Columbia ; Rémi Ronfard, Inria) et un juriste (Adrien Basdevant, avocat membre du CNNum) une mission exploratoire sur le "métavers". Le rapport remis fin octobre s’attache d’abord à tenter de définir le concept de métavers.

Un concept nébuleux 

Car, constatent les auteurs à l’issue de quelque 80 auditions, "il existe une grande confusion des acteurs du secteur face au terme de métavers". Aboutissement de l’évolution d’internet vers le "Web 3" ? Terrain d’excellence des cryptoactifs et autres NFT ? Simple assemblage de technologies existantes? Pur concept marketing, comme le suggère la transformation de Facebook en Meta pour porter son projet Horizon World ? Les avis sont très partagés.

Appelant à "résister à des visions réductrices (im)portées par des campagnes de marketing", que celles-ci viennent de la Silicon Valley ou de l’Asie du Sud-Est, les auteurs suggèrent de parler de métavers au pluriel. "Le concept de métavers contient en lui une multitude de possibilités, de services, d’espaces, plus ou moins ouverts", insistent-ils. Autant de métavers que quelques caractéristiques communes définissent comme : "l’existence de mondes virtuels, en 3D, en temps réel, immersifs, persistants et partagés". Des espaces auxquels l’utilisateur peut accéder avec ou sans visiocasque, sous son identité réelle ou via un avatar, en utilisant, ou pas, des technologies décentralisées de blockchain.

Privilégier une approche par les usages

Cette définition posée, le rapport insiste sur la nécessité d’une approche des métavers par les usages, qui feront que ces espaces seront fréquentés. Parmi les exemples intéressant les collectivités, on citera les jumeaux numériques, ces modélisation 3D ou 4D destinés à comprendre, piloter ou simuler des politiques territoriales. Préfiguration du concept de métavers, ces jumeaux numériques (BIM, SIM…) devront a minima pouvoir s’interfacer avec les technologies "métaversiques".

Les métavers peuvent aussi contribuer à la découvrabilité du patrimoine en proposant une "machine à remonter le temps" et une expérience de visite enrichie, notamment dans les sites touristiques victimes de surtourisme. En matière d’éducation, ils peuvent proposer des dispositifs de formation immersifs, au plus proche des réalités du terrain, particulièrement adaptés à des secteurs comme la médecine ou les métiers à risque. Dans le monde du travail, le métavers peut aussi favoriser des interactions "phygitales", autorisant une expérience relationnelle spatialisée, plus riche que la visioconférence, à même de limiter l’isolement des télétravailleurs.

Le rapport souligne enfin que "l’écosystème français est riche d’acteurs sur la majorité de la chaîne de valeur". Parmi la cinquantaine citée, on mentionnera Dassault Systèmes pour les jumeaux numériques, Ubisoft pour le jeu ou encore les studios de création 3D de réputation internationale. Des sociétés qui n’ont pas attendu Facebook/Meta pour proposer des expériences immersives abouties dans le domaine du divertissement, de l’industrie ou de la culture.

Créer les conditions de la pluralité des métavers

Autant de motifs qui justifient selon le rapport une politique du métaverse. En Corée du Sud, le métavers fait ainsi l’objet d’un "plan stratégique" (lire encadré ci-dessous). Pas question pour autant de faire du copier-coller et de "développer des applications permettant aux usagers d’effectuer leurs démarches administratives dans des mondes immersifs" comme le propose Séoul. L’idée est plutôt d’intervenir sur les briques essentielles au métavers. La modélisation 3D du territoire en fait partie et le rapport salue la maquette Lidar - relevé laser du territoire publié en open data - réalisée par l’IGN ou encore les efforts de numérisation du patrimoine du Mobilier national.

Au-delà des contenus, le rapport invite la France à s’investir dans la bataille des standards où s’opposent aujourd’hui des acteurs privés comme Meta et des tenants des solutions ouvertes basées sur la blockchain. "L’avenir des technologies de l’immersion n’est pas encore décidé et beaucoup se jouera (comme cela a pu être le cas pour Internet et pour le web) sur les standards technologiques qui s’imposeront dans les années à venir", souligne le rapport. Le but doit être de "faire émerger les services communs et essentiels permettant l’avènement d’une pluralité de métavers interopérables".

Ils suggèrent aussi de "lancer dès maintenant le travail d’adaptation [du droit] et notamment du RGPD, du DSA et du DMA [nouvelles réglementations européennes sur les données] aux enjeux "métaversiques", afin d’éviter une régulation après coup, comme cela s’est produit pour les réseaux sociaux. Ils préconisent enfin "d’explorer des solutions écoresponsables et de développer un système de mesure de l’impact environnemental des infrastructures du métavers".

Un impératif d’autant plus essentiel que, pour le moment, les métavers existants – The sandbox, Horizon world, Decentraland… – se caractérisent par l’indigence de leur fréquentation et la mobilisation d’immenses puissances de calcul.

  • La Corée du Sud se pose en leader du métavers

En Corée du Sud, le métavers fait l’objet d’un "plan stratégique pour les nouvelles industries du métavers", doté d’un financement public de 400 millions d’euros pour l’année 2022. Dix secteurs, dont le tourisme, la culture, la médecine, l’éducation, la production ou l’administration sont visés. Le projet prévoit pour 2024 le déploiement d’un "jumeau virtuel" du territoire qui doit contribuer, notamment, à l’amélioration des services administratifs, le métavers faisant office de guichet virtuel. Un "centre d’innovation sociale du métavers" doit par ailleurs contribuer à développer, entre autres, l’engagement citoyen, l’adaptation au réchauffement climatique, la sécurisation des environnements de travail ou encore la lutte contre la fracture numérique (!). Ce projet s’accompagne d’un effort de formation, incarné par la création d’une "metaverse academy", et d’un programme de soutien à la création d’entreprises spécialisées via un metaverse lab.

 

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