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Mobilité dans les zones peu denses en 2040 : il faudra encore compter avec la voiture

La délégation sénatoriale à la prospective du Sénat vient de publier un rapport consacré aux "mobilités dans les espaces peu denses en 2040". Son auteur, Olivier Jacquin, souligne que le défi ne pourra être relevé qu'à l'échelle locale, compte tenu de la diversité des besoins de ces territoires fort disparates, mais aussi parce que "tout dépend de la volonté des collectivités territoriales". Innovation, expérimentation, péréquation sont autant de facteurs clés de succès, le sénateur plaidant en outre non pour lutter contre la voiture – elle reste incontournable –, mais pour en diversifier les usages.

"En matière de mobilités du quotidien, la mise en place de solutions nouvelles ne peut pas s’inscrire dans une planification verticale", plaide Olivier Jacquin, auteur du rapport d'information consacré au "défi, à relever dès aujourd’hui, des mobilités dans les espaces peu denses en 2040" que vient de publier la délégation sénatoriale à la prospective du Sénat. "Du point de vue des mobilités et de l'accessibilité, c'est du sur-mesure qu'il convient de produire", estime le sénateur de Meurthe-et-Moselle.

Des territoires disparates, un point commun : leur dépendance à la voiture

Du "sur-mesure" qui s’explique "par la grande diversité des territoires peu denses, de leur configuration, des besoins des populations". L'auteur souligne en effet combien ces territoires – qui constituent l'immense majorité des communes françaises (30.000) et accueillent un tiers des habitants – diffèrent les uns des autres. Et combien leur seule appréhension par la notion de densité "manque de finesse", ignorant le relief, le climat, les dynamiques économiques et résidentielles, etc. Quoi de commun en effet entre "les campagnes des villes, du littoral et des vallées urbanisées", en fort essor démographique, "les campagnes agricoles industrielles sous faible influence urbaine", "les campagnes vieillies à très faible densité et revenus" ou encore "les territoires de montagne connaissant de fortes variations saisonnières de population" ? Une chose, en fait : leur dépendance à la voiture individuelle, "couteau suisse des mobilités", prééminente y compris pour les petites distances. 

Une dépendance qui "se réduit peu"

Une dépendance qui "se réduit peu", indique le rapport, y compris dans les grandes agglomérations d'ailleurs (hors Île-de-France), l'un des rares points communs partagé entre zones rurales et urbaines, et ce en raison de plusieurs facteurs, parmi lesquels : 
- une "reconfiguration périurbaine" (installation de plus en plus lointaine des grandes villes en raison d'un foncier moins cher et permise par des moyens de transports plus rapides), qui se traduit par l'allongement des distances parcourues quotidiennement par les actifs, toujours plus nombreux à travailler en dehors de leur commune de résidence (64% en 2013) et dont près d'un quart parcourent plus de 60 km par jour en moyenne ; 
- un déséquipement préoccupant des zones peu denses, à l'œuvre depuis plusieurs décennies, non seulement en moyens de mobilité collectifs (est pointée une "forte concentration du réseau ferré"), mais aussi en services publics, commerciaux, médicaux…, auto-alimentant un processus renforcé en parallèle par un équipement plus lent en nouvelles technologiques de communication (les zones blanches) ; 
- ou encore, à titre plus anecdotique, une transformation des "solidarités villageoises" qui ont "longtemps structuré la vie des campagnes" – comprendre des espaces où l’on se connaît moins, où l’on ne fait que résider, sans partager grand-chose avec ses voisins – l'étude relevant toutefois que "dès lors que des services publics sont absents, les habitants ont tendance à s’auto-organiser".

Des solutions alternatives limitées

À la lecture du rapport, les solutions alternatives à la voiture semblent bien minces pour ces territoires.
Il y a peu d'espoir à attendre du côté des transports ferrés, leur maintien ou régénération passant par la "consommation massive de crédits publics", les attentes des usagers rendant en outre le modèle "pas tenable économiquement lorsque le public potentiel est trop peu nombreux".
Si les bus ou cars express apparaissent comme une "véritable solution alternative", c'est principalement en zone périurbaine, et à la condition d'être "rapides, fiables et confortables", le rapport préconisant en conséquence un faible nombre d'arrêts et le développement de voies réservées, ce qui implique en parallèle le développement du covoiturage ou de l'autopartage, et donc des pôles multimodaux.
Le récent développement du vélo reste cantonné dans les grandes villes ; si le vélo à assistance électrique ouvre de nouvelles perspectives, l'essor du cycle passe dans tous les cas par la mise en place d'aménagements de qualité et sécurisés de voirie, et ce d'autant plus en zone non dense, où le différentiel de vitesse entre voiture et vélo est plus élevé ; il nécessite également des possibilités de stationnement et de pouvoir l'embarquer dans les trains ou bus.
La marche, faiblement développée (et qui pour autant parvient quand même à s'effondrer dans les trajets vers les établissements scolaires), reste entravée par l’absence de cheminements adaptés, qui la rendent impossible hors zones urbaines.

La solution : la voiture, mais autrement

In fine, la seule solution qui apparaît viable reste la voiture. "Plutôt que de lutter contre la voiture, dans les espaces peu denses, il paraît plutôt pertinent de travailler à des incitations à la diversification des modes de déplacement, qui peuvent aussi passer par la diversification des usages de l’automobile" souligne le rapport, qui plaide pour la "socialisation" de ce moyen de transport, selon trois canaux différents :
- en l’organisant à l’échelle la plus décentralisée, au niveau des utilisateurs de véhicules : covoiturage pour les transports du quotidien (mais un flux minimal est ici aussi nécessaire, excluant de fait les territoires les moins denses, et à condition de jouer sur le facteur psychologique, seule l'expérience semblant de nature à changer les pratiques) ou développement du transport solidaire (ce qui pose la question de la responsabilité en cas d'accident) ;
- en l’organisant autour des collectivités territoriales, à travers des véhicules en libre-service détenus par les collectivités ou le transport à la demande, qui peut être une solution en dépit de son coût globalement élevé et de sa faible mutualisation ; pourrait également s'y inscrire les véhicules autonomes, qui nécessitent toutefois parfois de revoir le dimensionnement des voies et le marquage au sol ;
- en l’organisant autour des constructeurs automobiles et des loueurs de véhicules, à travers le free-floating. Le rapport relève néanmoins que l'auto-partage, plutôt adapté aux grandes villes, nécessite la mise en place d'une organisation forte.

Innovation et expérimentation

Le rapport insiste également sur la nécessité d'innovation, qui, en outre, "ne doit pas être seulement numérique" (ne serait-ce que parce que les zones concernées ne sont pas les mieux équipées et compte tenu de la "fracture numérique" qui frappe un certain nombre de ses habitants), même si celle-ci est porteuse d'espoir. Et d'évoquer un exemple néerlandais de mise à disposition des habitants d'un minibus "autogéré".
Autre préconisation, la nécessité de "passer par l'expérimentation", dont les "les mobilités constituent l'un des terrains privilégiés", compte tenu des "nombreux paramètres" à prendre en compte. Le rapport insiste toutefois sur le défi de leur pérennisation – elles ne doivent l'être "qu'au cas par cas" et sans réutilisation sur d'autres territoires sans une véritable étude préalable – et de leur diffusion la plus large, en pointant en outre le risque qu'elles ne soient vues que comme palliatif au manque de moyens pour davantage mailler le territoire.

Volonté indispensable des collectivités, péréquation et solidarité

Dans tous les cas, il souligne que la mise en œuvre de ces solutions repose "largement sur l'initiative des collectivités territoriales" (l'échelon intercommunal, voire le bassin de mobilité, étant jugé le plus pertinent). Dit autrement, "tout dépend de la volonté ou non de ces collectivités de se lancer dans des plans de mobilité ambitieux et diversifiés". 

Reste qu'au-delà de la volonté, se pose la question des moyens. Or, ces zones peu denses ne sont évidemment pas les plus fortunées, ni les plus aidées. Ainsi, si "en étendant le périmètre des AOM [autorités organisatrices de la mobilité, ndlr] à l’ensemble du territoire, la LOM [loi d'orientation des mobilités, ndlr] permet d’instituer une source de financement des politiques publiques de mobilité dans les zones peu denses en étendant du même coup […] le versement mobilité (VM) à des espaces qui auparavant n’y étaient pas assujettis", "la possibilité de mettre en place un VM est subordonnée à l’existence de services réguliers de transports. Beaucoup de petites collectivités pourraient ainsi ne jamais pouvoir se doter de cet outil fiscal". Et au cas où elles le pourraient, les recettes risqueraient d'être modestes du fait d'une assiette réduite (peu d'entreprises assujetties) et d'un taux faible (pour ne pas pénaliser l’attractivité économique du territoire). Or, on l'a vu, la recherche d'alternatives à la voiture nécessite souvent des aménagements de voirie, coûteux (le délégué de Routes de France souligne ainsi n'avoir "pas le sentiment que la priorité des collectivités était de développer les petites véloroutes, compte tenu du coût des investissements à réaliser"). Sans compter que dans les AOM existantes, "la répartition des moyens financiers se [fait] de manière très déséquilibrée, au profit essentiellement d’une zone dense centrale ayant de lourds besoins (tramways)".

En conséquence, Olivier Jacquin plaide "pour une meilleure allocation du VM par un système de péréquation", "pour une dotation complémentaire destinée aux espaces peu denses les moins bien pourvus en base de VM par un fléchage, par exemple de la TICPE", pour l’application du principe pollueur/payeur et le développement du paiement à l’usage. S'agissant des moyens humains et de l’ingénierie, il appelle de ses vœux des partenariats entre les petites intercommunalités et les régions et des partenariats entre les intercommunalités et les autres acteurs, comme les pôles d’équilibre territoriaux et ruraux (PETR).
De manière générale, il insiste sur le "grand besoin de coopérations entre acteurs", "l’articulation des différents périmètres géographiques concernés", un "changement culturel de la part des acteurs institutionnels, qui ont tendance à raisonner par mode de transport" ou encore la nécessité d'un "rapprochement avec la compétence de planification urbaine des schémas de cohérence territoriale (SCOT) […] dans la logique nouvelle des plans locaux d’urbanisme intercommunaux – habitat déplacements (PLUI-HD)." "Ces politiques d’urbanisme doivent s’enrichir de la gestion des temps et des rythmes", souligne-t-il. 

Un "retour à la campagne" sans "démobilité'

In fine, le rapport présente 8 scenarii, en fonction de l'évolution de trois variables : la reconfiguration résidentielle ("l’heure de la revanche des campagnes est peut-être venue"), le volontarisme politique et l’appropriation et l’acceptabilité de mobilités partagées par les habitants des espaces peu denses.
S'agissant plus particulièrement du phénomène de "retour à la campagne", que devrait favoriser le télétravail ("pour une part réduite de la population" toutefois), le rapport relève qu'il pourrait fort bien prendre la forme de la bi-résidence" : la question n'est "pas de savoir si l’on habite à la ville ou à la campagne, mais combien de jours par an l’on passe dans chacun de ces espaces et quels services nous utilisons", explique le professeur Desjardins, cité dans le rapport. Il insiste également sur le fait qu'il ouvre "moins une perspective de démobilité" qu'une "transformation de ces mobilités", en passant "d’un modèle pendulaire strict et principalement à travers la voiture individuelle vers un modèle en étoile, faisant davantage de place aux modes actifs". La voiture est loin d'avoir rendu les armes.