Archives

Petite enfance - Modes de garde : la Cour des comptes plaide pour un rééquilibrage territorial et social

Dans un volumineux rapport, la Cour des comptes balaie tous les aspects de la politique d'accueil des enfants de moins de trois ans. Un dispositif qui affiche des résultats incontestables en termes de progression du nombre des solutions d'accueil, mais qui pêche encore par ses inégalités territoriales et sociales et par les lacunes de sa gouvernance. Parmi les solutions évoquées par la Cour : un rééquilibrage géographique des aides et un renforcement du partenariat entre les CAF et les départements.

Quelques jours après avoir dressé le bilan de dix années de CNSA (voir notre article ci-contre du 18 novembre 2013), la Cour des comptes se penche sur un autre aspect des politiques sociales : l'accueil de la petite enfance. Ce volumineux rapport thématique de 363 pages est intitulé "L'accueil des enfants de moins de trois ans : une politique ambitieuse, des priorités à mieux cibler". La Cour y passe au crible, selon les termes de Didier Migaud, son premier président, lors de la présentation du rapport le 28 novembre 2013, "le développement et la diversification des solutions d'accueil de la petite enfance [qui] constituent des enjeux substantiels pour répondre à des besoins importants de nos concitoyens que cette politique publique laisse aujourd'hui en partie insatisfaits". Cette dernière assertion n'est d'ailleurs pas vraiment confirmée par les sondages sur la question, qui montrent plutôt une assez large satisfaction des parents, du moins des parents utilisateurs des modes de garde (voir notre article ci-contre du 30 janvier 2012).
Même si le rôle et les prestations de la Cnaf et des CAF sont bien sûr très présentes tout a long du rapport, les investigations de terrain ont visé exclusivement les collectivités. Outre trois chambres de la Cour des comptes, pas moins de 15 chambres régionales et 71 magistrats et rapporteurs ont contrôlé l'action de 138 organismes locaux : 5 régions, 16 départements, 21 intercommunalités, 75 communes et 10 associations gestionnaires de crèches... Il est vrai toutefois que la Cour se rend régulièrement dans des CAF lors de la certification des comptes. Sous cette réserve de périmètre, le travail des juridictions financières se révèle riche d'enseignements.

Le modèle français : des résultats incontestables

Côté positif, les mérites du système français d'accueil de la petite enfance sont déjà largement connus, mais valent néanmoins d'être rappelés. Le rapport crédite ainsi le dispositif d'un rôle important dans le taux de fécondité français, qui classe notre pays au premier rang européen avec l'Irlande. Il en est de même pour le taux d'emploi féminin (chez les femmes de 25 à 49 ans), qui a progressé de 7,8 points depuis 1990, pour atteindre 76,4% aujourd'hui (ce qui reste toutefois inférieur à la moyenne de l'UE à 27, soit 78,6%, mais avec des taux de fécondité souvent beaucoup plus bas). Au cours de cette période, l'écart entre les femmes et les hommes a été plus que divisé par deux, passant de 22,9% à 10,6%.
La réussite de la politique d'accueil de la petite enfance se lit aussi dans l'offre de modes de garde. Entre 2006 et 2011, le nombre total de solutions de garde est passé de 1,128 million de places (établissements d'accueil, assistantes maternelles et salariées à domicile) à 1,260 million (+11,7%), permettant d'obtenir ainsi un taux de couverture de 53,3% en métropole (53,3 solutions d'accueil pour 100 enfants de moins de trois ans). Ce chiffre serait d'ailleurs très supérieur sans la suppression de 87.400 places pour l'accueil des enfants de moins de trois ans en école maternelle (sur les chiffres, voir aussi notre article ci-contre du 18 novembre 2013).
L'impact financier de cet effort est loin d'être négligeable, puisque le coût global, pour les finances publiques, de l'accueil des enfants de moins de trois ans a progressé de 2,25 milliards d'euros (+19,2%) entre 2006 et 2011, pour atteindre 13,95 milliards d'euros. Cette somme se répartit entre la branche Famille (73%), les collectivités (17%) et l'Etat (10%). La convention d'objectifs et de gestion (COG) 2013-2017 entre l'Etat et la Cnaf prévoit de reconduire cet effort, avec une progression de 7,5% par an du budget du fonds national d'action social et un objectif de 275.000 solutions d'accueil supplémentaires (voir notre article ci-contre du 7 juin 2013). Un tel effort dans le contexte actuel des finances publiques incite la Cour à souligner qu'"un rythme de croissance de la dépense aussi élevé ne saurait être seulement justifié par la reconduction du taux de progression des crédits observé au cours de la période 2009-2012". En d'autres termes, l'effort quantitatif doit se doubler d'un effort qualitatif et d'une amélioration du dispositif.

Trop d'écarts géographiques et sociaux

Le rapport de la Cour des comptes ne manque pas, en effet, de pointer un certain nombre de faiblesses. L'une des principales - et la plus documentée - réside dans les écarts entre territoires. Le taux de couverture va ainsi de 30,2% en Seine-Saint-Denis, où les besoins ne manquent pourtant pas, à 85,6% en Haute-Loire. Malgré des efforts incontestables - entre 2006 et 2010, la progression du taux de couverture dans les vingt départements les moins pourvus est trois fois supérieure à celle observée dans les départements les mieux pourvus -, le rattrapage reste encore trop timide. En outre, la focalisation sur le niveau départemental ne doit pas faire oublier qu'il existe des écarts parfois conséquents au sein d'un même département, dont le rapport cite plusieurs exemples significatifs. La Cour en conclut que "le ciblage des dépenses du fonds national d'action sociale [est] insuffisamment corrélé aux enjeux de réduction des disparités territoriales". Une faiblesse à laquelle devrait toutefois remédier pour partie la nouvelle COG 2013-2017 (voir notre article ci-contre du 17 juillet 2013).
Moins connu est le manque d'équité sociale du dispositif. Un chiffre suffit à monter le chemin à parcourir : malgré un financement assez largement socialisé, seuls 8% des ménages les plus modestes font garder leur enfant, contre 64% des ménages les plus aisés. Ces disparités s'accroissent encore si l'on considère les familles monoparentales, pour lesquelles le fait de disposer d'une solution d'accueil conditionne pourtant l'insertion professionnelle. La Cour des comptes considère notamment que "les dispositifs fiscaux, ainsi que le plafonnement du barème national des participations apparaissent globalement favorables aux ménages les plus aisés". Le rapport vise notamment le complément de libre choix du mode de garde (CMG), insuffisamment modulé. Or le développement rapide du nombre de places chez les assistantes maternelles ne peut répondre, malgré les aides de la CAF, aux besoins des familles les plus modestes : le reste à charge pour les familles est en effet deux fois supérieur à celui d'une place en crèche...

Y a-t-il un pilote dans l'avion ?

Au-delà de ces aspects sociogéographiques, la Cour des comptes soulève aussi un autre point faible du dispositif : la manque de coordination des acteurs. Le rapport reconnaît que "des outils de pilotage ont certes été créés, mais ils s'appuient sur une connaissance fragmentaire de l'offre d'accueil et de son adéquation aux besoins des familles". Il pointe notamment le pilotage partagé de la politique nationale entre la direction de la sécurité sociale (tutelle de la Cnaf et qui assure le suivi financier du Fnas) et la direction générale de la cohésion sociale, qui ne dispose que de "moyens limités".
Cette insuffisance des outils de pilotage se retrouve aussi au sein de la branche Famille. La Cour en veut pour preuve la COG 2009-2013, "sans réelles priorités" à force de multiplier les objectifs. De même, le système d'information de la branche Famille apparaît comme "un ensemble foisonnant présentant des lacunes", avec sa cinquantaine d'applications nationales souvent anciennes. Ces lacunes nuisent à la qualité du suivi des indicateurs de la COG et font que certaines annonces d'objectifs de création de places "ne reposent sur aucune évaluation préalable et formalisée".
Au niveau local, le rapport juge également nécessaire de "consolider les partenariats". Il reconnaît certes que les communes et leurs établissements publics sont "au cœur de l'organisation de l'offre d'accueil", mais reprend une observation de la Cnaf estimant que "les collectivités sont généralement organisées par services thématiques sans forcément de transversalité et de cohérence d'ensemble". De même, la concertation doit être renforcée avec les services de l'Education nationale. En termes d'organisation, le rapport considère que l'intercommunalité est le niveau à privilégier, dans la mesure où il coïncide mieux avec les bassins d'emploi et l'organisation du travail (trajets domicile-travail).
A l'échelon territorial supérieur, le rapport estime indispensable de consolider le partenariat entre les CAF et les départements, qui "constituent l'échelon pertinent pour analyser les besoins en matière d'accueil de la petite enfance". A ce titre, il déplore que "peu de commissions départementales d'accueil du jeune enfant (CDAJE) fonctionnent aujourd'hui de façon permanente et pertinente". Il en est de même pour le faible développement des schémas d'organisation de l'accueil de la petite enfance. A la date de l'étude, seuls 35% des départements avaient élaboré et adopté ce document (voir notre article ci-contre du 22 novembre 2013). A ces faiblesses intrinsèques s'ajoutent - comme au niveau national - les insuffisances des outils de connaissance et d'analyse de l'offre et des besoins des familles.

Ressources humaines : le grand flou

L'une ces conséquences de ces carences nationales et locales se lit dans une politique des ressources humaines du secteur de la petite enfance à la fois "éclatée et peu prévisionnelle". La Cour des comptes ne cache pas son inquiétude sur l'absence de gestion prévisionnelle des emplois et sur le recrutement des 204.000 postes qui seront à pourvoir dans les dix prochaines années pour remplacer les nombreux départs en retraite et accompagner les créations de solutions d'accueil supplémentaires.
Selon le rapport - et sur le seul créneau des établissements d'accueil -, "la pénurie de personnel qualifié, conjuguée à un absentéisme important des agents, peut conduire à limiter temporairement la capacité des structures d'accueil". Cette absence d'outils de pilotage se traduit aussi par l'absence de tout bilan du plan du plan "Métiers de la petite enfance" 2008-2012. Le problème ne se pose pas en ces termes pour les assistantes maternelles, mais, là aussi, le manque de visibilité risque de peser sur la gestion du dispositif.

Quinze "pistes d'amélioration"

De ce constat mitigé, la Cour des comptes tire une quinzaine de préconisations ou, plus précisément, de "pistes d'amélioration". Plusieurs d'entre elles visent à accélérer le rééquilibrage territorial et social. Le rapport recommande ainsi de cibler les dépenses sur les territoires les moins favorisés, dans le cadre d'un "zonage prioritaire construit à l'échelle des bassins de vie et des zones urbaines sensibles". Il préconise aussi de déplafonner le barème national des participations familiales et de subordonner le versement des subventions d'investissement et l'attribution du complément de libre choix du mode de garde "structure" à la mise en place d'une tarification plafonnée ou modulée en fonction des ressources des familles. Ce point vise uniquement les établissements d'accueil du jeune enfant qui ne sont pas financés par la prestation de service unique. Dans le même esprit, la Cour préconise de faire évoluer, de façon concertée et à budget constant, le niveau des aides accordées aux familles "afin qu'elles tiennent mieux compte des coûts respectifs des modes de garde".
Toujours en termes d'investissement et de fonctionnement des structures, la Cour recommande d'encourager l'exercice de la compétence "petite enfance" à l'échelon intercommunal, à travers l'introduction d'un mécanisme incitatif dans les aides à l'investissement versées par les CAF et les départements.
Sur le registre de la gouvernance, les principales recommandations portent sur l'amélioration des outils d'évaluation de l'offre et des besoins, ainsi que sur le renforcement du pilotage national, notamment par la rénovation du système d'information de la branche. Par ailleurs, la Cour demande aux départements de mettre en place une gestion prévisionnelle des effectifs d'assistantes maternelles (ce que nombre de départements font déjà pour leurs assistantes familiales) et préconise d'associer davantage les régions et le ministère de l'Education à l'élaboration du nouveau plan "Métiers".
Le rapport recommande aussi de renforcer l'information des familles, à travers le développement des services du site caf.fr (le portail de la branche Famille) et la mise en ligne systématique, sur le site mon-enfant.fr, des agréments d'assistantes maternelles délivrés par les présidents de conseils généraux.
Enfin, en termes de maîtrise des coûts - une notion toute relative avec la progression programmée du Fnas de 7,5% sur la durée de la COG -, la Cour des comptes suggère de développer des lieux d'accueil spécifiques (et moins coûteux) pour les enfants de deux à trois ans, ainsi que des crèches familiales, et de renforcer les contrôles, grâce à une coordination améliorée entre les départements et les CAF et à l'autorisation donnée à ces dernières de vérifier l'utilisation des financements publics accordés aux structures d'accueil non financées par la prestation de service unique.

 

Téléchargements

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis