Murielle Fabre : "Face aux incivilités, beaucoup de maires n’ont pas les moyens d’agir"

Alors que le Sénat vient de voter, le 15 novembre, une proposition de loi permettant aux associations d'élus de se porter partie civile en cas d'agression d'un édile, Murielle Fabre, secrétaire générale de l’AMF, maire de Lampertheim (Bas-Rhin) et vice-présidente de l’eurométropole de Strasbourg, revient sur la recrudescence de ce phénomène depuis quelques années. Elle alerte en particulier sur le manque de moyens des maires de petites villes face aux incivilités. Souvent obligés d’intervenir eux-mêmes (déchets sauvages, troubles du voisinage...), ils s’exposent à des agressions de plus en plus fréquentes. Selon elle, au-delà de la réponse pénale, la question du "continuum de sécurité" reste en suspens. Nous l'avons interrogée dans le cadre d'une série d'interviews réalisées à l'approche du congrès des maires.

Localtis - Les maires sont les élus préférés des Français mais ils sont aussi "à portée d’engueulade", voire "de baffe", selon une expression qui a fait florès pendant la crise sanitaire. Ce qui a conduit l’AMF à créer un "observatoire des agressions envers les élus". Quelle est la situation aujourd’hui ?

Murielle Fabre - Pendant la crise sanitaire, sur les dix premiers mois de l’année 2021, on avait constaté plus de 1.100 agressions d’élus, ce qui avait marqué le fait que c’était en évolution (soit 47% de hausse par rapport à 2020). Cela traduit le contexte de violence sous-jacente que vivent les élus et les maires, au quotidien, dans leur relation avec la population. Cela revient régulièrement dans nos discussions avec les élus.

Le gouvernement avait réagi avec une circulaire du garde des Sceaux du 7 septembre 2020 appelant à plus de fermeté, plus de célérité. A-t-elle produit des effets sur le terrain ?

Il est difficile d’en juger les effets immédiats parce qu’elle est récente. Plus généralement, ce que déplorent les maires, c’est l’absence de poursuite par rapport aux faits de délinquance ; on n’a pas de données exactes sur le fait que les plaintes déposées par les maires sont suivies d’effets. Sur le territoire, c’est une directive connue des préfets, ils le rappellent régulièrement dans le cadre des CLSPD ou des CISPD.

On est surtout sur des affaires liées à l’exercice du pouvoir de police du maire : troubles du voisinage, déchets sauvages… Qu’est-ce que cela dit de l’évolution de la société ?

Effectivement, c’est un constat partagé sur l’ensemble du territoire. La gestion des incivilités fait partie du quotidien du maire sur laquelle il se sent parfois démuni. Il n’a pas forcément la possibilité d’agir. Il a une qualité d’OPJ mais derrière ce titre, il y a peu de moyens d’actions.  Lorsque vous n’avez pas de police municipale qui puisse intervenir directement – même si beaucoup de maires le font eux-mêmes, avec les risques que cela peut engendrer – on peut déplorer les difficultés à faire intervenir les forces de l’ordre, en cas de dépôts sauvages par exemple. Ce qui revient, c’est le manque de moyens. On est finalement sur une demande de continuum de sécurité, mais avec la difficulté de coordonner l’ensemble des forces de l’ordre qui ont autorité sur le territoire. On a à la fois une population exposée à ces incivilités-là et des élus qui, finalement, n’ont pas les moyens d’agir.

Est-ce que les petites communes comme Lampertheim sont plus exposées que d’autres à ces difficultés ?

On pourrait prendre en compte le fait qu’on ait des délinquances différenciées selon qu’on est en milieu rural ou en milieu urbain. Par exemple, sur ma commune – qui appartient à la deuxième couronne de la métropole de Strasbourg –, des dépôts sauvages, on en a quasiment toutes les semaines. Et vous n’avez aucune possibilité d’agir si ce n’est d’aller ramasser les détritus. C’est ce qui m’a conduite à recruter un garde-champêtre. Mais c’est du flagrant délit qu’il faut pour appréhender les auteurs de ces infractions et ce n’est pas simple. Certes, il y a le développement de la vidéoprotection, mais tout cela est parfois compliqué à mettre en place quand ce n’est pas une compétence communale, parce qu’il y a tout un process réglementaire, cela se fait en lien avec les forces de l’ordre et la préfecture. Il y a des possibilités mais elles ne se développent pas sur le territoire de la même manière.

Avec les "rodéos urbains", on voit l’incapacité du législateur à répondre à un phénomène qui touche tout le monde. Comment l’expliquez-vous ?

C’est un problème urbain et périurbain en fait. Les grandes villes et les villes moyennes sont concernées au premier chef mais on a aussi des rodéos dans des communes de petite taille. Encore une fois, quand vous n’avez pas de police dans votre ville, c’est une véritable difficulté. Et cela renvoie à la question : qui doit intervenir pour quelles infractions ? Les maires recrutent des policiers municipaux – quand ils y arrivent parce que c’est un métier en tension – et en même temps, c’est à l’État de devoir agir face à ces infractions-là. On se trouve dans une équation insoluble, une situation un peu paradoxale.

Justement, il a beaucoup été question lors du précédent quinquennat du "partenariat". À Nice, en début d’année, Emmanuel Macron avait même interpellé l’AMF en demandant jusqu’où les maires étaient prêts à aller. Finalement, la Lopmi s’apparente à un rendez-vous manqué…

Au niveau de l’AMF, nous sommes en attente de beaucoup de réponses. Lors du Beauvau de la Sécurité, nous avions fait de nombreuses propositions et quasi aucune d’entre elles n’ont été retenues. La question du continuum de sécurité, elle reste en suspens. Aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’il y a un véritable partenariat. Il y a bien un partenariat qui peut se faire de manière contractuelle, je pense aux conventions de coordination avec les polices municipales de plus de trois agents, qui peuvent se faire avec la gendarmerie. Pour autant, on sait que ces conventions sont souvent des copier-coller d’un territoire à un autre. Et ensuite, on a toute la question des contrats de sécurité intégrée : on est sur des effectifs, des moyens financiers mais pas du tout sur de l’opérationnel. Aujourd’hui, lorsque des infractions sont commises sur notre territoire, on se doit d’apporter une réponse immédiate ou en tout cas de savoir qui doit y répondre. Or, pour le moment, cette répartition précise des compétences, elle n’existe pas. La police municipale, à la base, c’est une police de proximité, d’accompagnement des habitants, de prévention plus que de répression. Elle n’est pas là pour effectuer le travail de la police nationale ou de la gendarmerie, pourtant c’est l’impression que nous pouvons avoir. C’est clairement une carence à ce niveau-là. Il faut, à un moment donné, qu’on se mette autour de la table pour clairement définir les rôles, au minimum localement, afin que chaque maire sache ce qu’il doit acter, s’il peut intervenir et à quel moment. Les maires se sentent vraiment démunis face à ces augmentations d’incivilités, à ces délinquances qui se vivent au quotidien et sur lesquelles ils n’ont pas les moyens d’agir.

Les CLSPD et les CISPD ont été faits justement pour améliorer le partenariat local de sécurité. Ce n’est pas le cas ?

Ma commune est au sein du contrat intercommunal de l’eurométropole de Strasbourg, un territoire qui couvre 33 communes : certaines sont très urbaines et d’autres plutôt rurales et elles n’ont pas les mêmes problématiques. Cette réunion, qui a lieu une fois par an, permet des remontées de terrain essentielles mais pas de faire le point sur la situation quotidienne. Les réponses, on a besoin de les avoir à un instant T, et souvent immédiat.

Sur la réponse pénale, que pensez-vous des orientations actuelles : recours accru aux amendes forfaitaires délictuelles, volonté de généraliser les travaux d’intérêt général, avec la création d’une agence nationale... Cela vous semble-t-il être une bonne solution ?

Il ne m’appartient pas de dire quelle est la réponse pénale la plus adaptée. Concernant les TIG, beaucoup de conventions sont passées avec les collectivités. Pour les primo-délinquants, c’est quelque-chose d’assez pertinent ; l’idée que l’auteur revienne sur la commune où il a commis son infraction pour être au service de l’intérêt général est une bonne chose, dans un esprit de réparation et d’utilité. Ensuite, se pose la question de l’accompagnement quand on est une collectivité de petite taille. Il y a des grandes collectivités qui le font, c’est le cas de l’eurométropole de Strasbourg, en partenariat avec les services de l’État. Mais est-ce applicable partout ? Je n’en suis pas certaine.

La région Île-de-France vient de se doter d’une agence régionale des TIG. Que pensez-vous de cette initiative et, plus généralement, de la volonté de certaines régions d’investir de plus en plus ce champ de la sécurité ?

On est dans une adaptation locale de problématiques qui devraient être nationales. Mais à un moment donné, quand on n’a pas de réponses suffisantes, il est évident que les collectivités se saisissent de la question pour mettre en place des actions. Ce qui peut être pertinent pour l’Île-de-France peut l’être pour d’autres mais pas pour toutes. C’est surtout une réponse à un constat de carence

 

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