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Numérique éducatif à l’école élémentaire : pas de cadrage national, des inégalités territoriales

La transition numérique à l'école élémentaire n'est pas pour demain, d'après une étude de l'université de Poitiers. En plus des carences de l'Etat en termes de stratégie, les inégalités de financement handicapent les plus petites communes.

"Quatre décennies de décentralisation ont produit un paysage très hétérogène pour ce qui concerne le numérique éducatif à l’école primaire, avec un foisonnement d’initiatives locales sans régulation nationale." Tel est le constat global d'une étude intitulée "Le numérique éducatif à l’école élémentaire en tension entre politiques nationales, politiques locales et logiques d’appropriation par les enseignants", réalisée par un collectif de chercheurs du laboratoire Techné de l’université de Poitiers.

Effectuée entre 2018 et 2019 dans le cadre d’une contribution aux travaux de la Cour des comptes, cette étude visait à rendre compte de la réalité des politiques conduites par les collectivités, à observer les usages qu’elles incitent ou permettent sur le terrain, à comprendre les articulations entre l’action de l’Etat, celle des collectivités et celle des écoles élémentaires.

Déploiement réel mais limité

Le premier point mis en avant est celui d'un "déploiement réel mais limité". Si 59,4% des enseignants trouvent les techniques numériques à l’école importantes pour les apprentissages, ils ne sont que 36% à en organiser un usage pédagogique important ou très important quand 59,2% disent en faire un usage modéré et 4% aucun usage.

De nombreux obstacles se dressent devant un déploiement plus large du numérique éducatif à l'école élémentaire. La carence en équipements d'abord. Même si, selon les auteurs, l’effort financier des collectivités est important et s’est accru tout au long de la période de référence de l’étude, le nombre moyen d’élèves par terminal de travail individuel se monte à 8,6 et "reste élevé". Par ailleurs, selon un enseignant sur deux, "les équipements disponibles sont obsolètes ou en nombre insuffisant, la connectivité faible et instable avec une couverture wifi de l’école partielle, la maintenance des matériels inopérante". Et l'étude d'enfoncer le clou d'une belle lapalissade : "Si rien ne démontre que la disponibilité d’un environnement technique favorable induise en elle-même des usages pertinents du numérique, tout indique que son absence ou son indigence les rendent difficiles ou impossibles."

Formation : les trois quarts des enseignants insatisfaits

Autre point noir : la formation. Seul un quart des enseignants se déclarent satisfaits de la formation initiale au numérique éducatif. Tandis qu'un sur cinq n’a bénéficié d’aucune formation. Quant à la formation continue en la matière, elle ne satisfait qu'un tiers des enseignants. Là encore, un sur cinq n'a pas reçu ce type de formation.

Enfin, le cadrage institutionnel fait largement défaut. Beaucoup d'enseignants se disent dans l’ignorance des attentes précises de l’Etat quant aux enjeux et finalités du numérique à l’école. Et selon les auteurs, "aucune politique cohérente suffisamment lisible ne vient articuler efficacement attentes de l’institution, formation des enseignants et moyens de mise en œuvre". Un constat qui avait permis à la Cour des comptes de parler, en juillet 2019, à propos du numérique éducatif de "concept sans stratégie". Cette absence de cadrage de la part de l'institution fait par ailleurs dire aux chercheurs que "les usages du numérique sont d’abord ceux de l’enseignant avant d’être ceux des élèves".

L'absence de pilotage du numérique éducatif a une conséquence immédiate : les enseignants se tournent avant tout vers des ressources accessibles gratuitement en ligne (91,6%), puis vers des ressources payantes auprès d'éditeurs privés (58,5%) avant d’utiliser des ressources produites et/ou diffusées par des services et opérateurs de l’Etat. Parmi ces dernières, seul le réseau Canopé est très utilisé (par 47,3% des enseignants), ce qui, pour les auteurs, s’explique "peut-être par le maillage territorial de cet opérateur et par sa politique continue d’accompagnement de proximité". En outre, le financement directement dévolu par les collectivités à l’acquisition de ressources est jugé "faible", avec 2,10 euros par élève.

Un "argument" pour les petites communes

Et les collectivités dans tout ça ? Le tableau n'est pas beaucoup plus réjouissant : à peine plus d’un tiers des communes déclarent avoir une politique en matière de numérique éducatif. Et ce sont les communes les plus petites qui mettent le plus cette matière en avant. L'usage du numérique éducatif constitue en effet pour elles un "argument pour le maintien de classes ou d’écoles face aux services de l’Etat".

Pourtant, ce sont bien les communes les plus grandes qui mettent le plus de moyens dans le numérique éducatif. Si la dépense moyenne annuelle par élève est passée de 8,24 euros en 2012 à 30,03 euros en 2017, le financement des petites communes est trois fois moins élevé que celui des plus grandes. Une analyse qui traduit "de véritables inégalités territoriales", lesquelles sont encore accentuées du fait qu'une commune sur dix seulement inscrive sa politique dans un cadre intercommunal.

Enfin, l'étude nous apprend que seules 14% des communes financent un ENT (espace numérique de travail, un ensemble de services numériques mis à disposition des acteurs de la communauté éducative). On retrouve ici un fossé entre les communes de moins de 2.000 habitants (6,79% d'entre elles ont recours à un ENT) et celles de plus de 50.000 habitants (36,36%).

Les auteurs estiment ainsi que "les collectivités déploient leurs politiques d’équipement avec des budgets et des orientations très diverses qui répondent souvent à des déterminants locaux et induisent de ce fait une grande inéquité [sic] territoriale". Et concluent qu'"en l’état actuel des mécanismes d’équipement des écoles et de formation des enseignants, il semble difficile d’attendre une évolution systémique de l’école qui assurerait sa transition numérique".

 

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