A Paris, les triporteurs reprennent du service

Casse-tête urbain par excellence, les livraisons sont, à Paris, particulièrement anarchiques. L'équipe municipale a récemment décidé de s'attaquer au problème. Une entreprise baptisée la Petite Reine lui a prouvé qu'avec de petits moyens mais de grandes idées, l'évolution n'est pas si inéluctable.

Bruit, pollutions, grands axes saturés? ces nuisances et bien d'autres encore sont le lot quotidien des Parisiens. Des initiatives visant à renverser la tendance sont en cours, d'autres restent à développer. Parmi celles-ci, la question des livraisons vient s'inscrire en tête de liste. Après la mise en place de couloirs de bus, la mairie s'attaque aujourd'hui à ce nouveau chantier. Et les chiffres lui donnent raison : 25 à 50% de la pollution et 20% des déplacements dans la capitale sont imputables aux camions de livraison. Dans ce contexte, un dossier original déposé à l'hôtel de ville ne pouvait pas passer inaperçu. Son auteur, Gilles Manuelle, dirige une entreprise, encore jeune, mais qui ne demande qu'à se développer. Son objectif ? Concurrencer les camions de livraison dans les arrondissements centraux de Paris grâce à des triporteurs à assistance électrique. "Je ne voulais pas concurrencer les deux-roues mais les camionnettes, en démontrant qu'il est possible de délivrer le même service avec des véhicules moins polluants, moins encombrants et plus économiques", explique le responsable de l'entreprise joliment nommée la Petite Reine.
Une mauvaise expérience professionnelle à l'étranger a d'abord convaincu Gilles Manuelle d'ouvrir sa propre société. L'organisation anarchique des livraisons dans la capitale et les désordres qu'elle provoque lui a ensuite donné l'idée. A la question "comment faire du neuf avec du vieux ?", il répond triporteurs.

La municipalité au diapason

La démarche originale trouve un écho favorable auprès des responsables transport de la capitale. Avec le soutien du Predit et de l'Ademe, la mairie propose de financer une étude de faisabilité qui s'avère concluante. De petite taille et non polluant, le triporteur présente un autre avantage : considéré comme un cycle, il peut non seulement emprunter les pistes cyclables, mais aussi les couloirs de bus sans gêner leur circulation. Les promesses de la mairie ne resteront pas lettre morte. En avril 2003, elle met à la disposition de la Petite Reine un local "à prix modique" situé dans le parking de Saint-Germain-l'Auxerrois. L'appui de la municipalité a également facilité l'obtention de nouveaux contrats auprès des géants de la messagerie. La société DHL sera la première à manifester son intérêt. Si 50% des colis sont livrés par ses propres véhicules, le reste est sous-traité. Les responsables de l'entreprise décident donc d'utiliser exclusivement les triporteurs de la Petite Reine dans le 2e arrondissement de la capitale. "Aujourd'hui trois véhicules leur sont réservés", indique Gille Manuelle. L'expérience fonctionne et la nouvelle se répand vite. Après DHL, Fedex décide, en juin dernier, de signer un contrat avec la Petite Reine. Chronopost a aussi testé le système pendant la Journée sans voiture, et prochainement les marchandises de bureau Gilbert devraient allonger la liste des colis acheminés par triporteurs.

L'idée fait son chemin

Le triporteur à assistance électrique est l'oeuvre d'un artisan. Depuis le début de l'expérimentation, le véhicule a évolué pour s'adapter aux conditions particulières de circulation dans les grands centres urbains. "Nous en sommes déjà au troisième modèle", précise Gilles Manuelle. Exemple d'amélioration : la largeur du véhicule. Initialement de 120 cm, elle a été ramenée à 99 cm pour permettre notamment au triporteur de circuler sur les couloirs réservés aux autobus sans gêner leur passage.
Le développement de l'expérience doit tout à la détermination de son concepteur. Avant de bénéficier du soutien de la mairie de Paris, Gilles Manuelle a testé seul, pendant six mois, l'efficacité de son triporteur. Les petits commerçants des quartiers centraux sont ses premiers clients. Tous se disent satisfaits du système proposé et, comme le souligne le responsable de la Petite Reine : "Les premiers clients sont encore avec nous aujourd'hui. Nous proposons des services moins chers, mais en contrepartie nous essayons d'assurer une collaboration sur la durée." Et la petite reine deviendra grande? A l'heure actuelle, l'entreprise compte onze véhicules. La flotte devrait encore s'agrandir en 2004. Malgré de nouveaux investissements, la société se développe de façon saine. Le taux d'endettement est quasi nul et le découvert presque inexistant. Gilles Manuelle est confiant : "Sans pouvoir rien affirmer aujourd'hui, je suis très optimiste quant à l'évolution de l'entreprise."

Kattalin Landaburu / Rail et Transports pour Localtis

"Une charte de bonnes pratiques devrait bientôt être élaborée"

Christophe Ripert est chargé de mission transports et marchandises en ville, au sein de l'Agence de la mobilité de la ville de Paris.

Comment s'est présentée l'étude de faisabilité financée par la mairie de Paris avec le soutien de l'Ademe ? Quelles ont été ses principales conclusions ?

Le dossier a été confié à un cabinet d'études extérieur qui a commencé son travail en septembre 2002 et remis ses conclusions deux mois plus tard. L'étude elle-même était divisée en deux phases. La première étape comprenait une analyse à la fois technique, économique, juridique et de faisabilité du projet présenté. La seconde phase visait à la préparation de l'expérimentation. Elle consistait notamment à cibler les commerçants intéressés, ainsi que les différents types de services qui pouvaient être prodigués. La préparation du protocole de suivi et d'évaluation était également inclus dans cette partie. Les conclusions de l'étude se sont avérées positives. Il existait un marché avec des clients potentiels. De plus, les prix proposés étaient compétitifs.

Quand aura lieu la première évaluation de l'expérimentation ? Quels critères seront pris en compte pour juger de la réussite du projet ?

La première phase a débuté en juin, l'évaluation a donc été fixée à janvier 2004. Une autre est prévue en juin de l'année prochaine, et ceci tous les six mois pendant deux ans. L'évaluation proprement dite sera basée sur un certain nombre d'indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Ils devront mesurer l'activité et son fonctionnement. Par exemple le nombre de mouvements, de clients, de vélos ou de kilomètres effectués. D'autres indicateurs devraient permettre d'évaluer la rentabilité du système et son impact sur l'environnement. Les critères qualitatifs, quant à eux, sont relatifs au niveau de satisfaction de la clientèle. Ils devraient aussi permettre de savoir qui utilise le système, et quelles actions seraient susceptibles de développer l'opération en cours.

Quels autres projets sont actuellement à l'étude pour améliorer les livraisons de marchandises dans la ville de Paris ?

Plusieurs projets sont à l'étude ou en cours de réalisation. D'abord un projet de distribution de fret express, avec Chronopost, à l'aide de porte-conteneurs électriques téléguidés et baptisés Chronocity. Nous travaillons aussi avec le port autonome de Paris. Des études de faisabilité ont été lancées avec plusieurs filières afin d'utiliser la Seine pour entrer et sortir de la capitale. Les filières verre, fret express et grande distribution sont en cours d'analyse. Nous prévoyons d'effectuer des démarches similaires avec les filières automobile et ciment. L'étude concernant la mise en place de points relais dans Paris a été lancée, nous attendons ses conclusions début 2004. Enfin, une charte de bonnes pratiques devrait bientôt être élaborée.

Logistique urbaine : la mairie de Paris change de braquet

Après les déplacements des personnes, la ville de Paris a décidé de prendre l'épineux dossier des livraisons urbaines à bras-le-corps. "Nous partons de zéro, expliquent ses responsable. Au niveau de la conception, rien de global n'a été pensé."

Comment offrir aux livraisons une plus vaste place sur l'échiquier municipal, dans un contexte où l'on se bat pour restreindre les déplacements motorisés ? Pour les élus, pas de paradoxe, juste une nouvelle organisation à trouver, en concertation avec les parties impliquées, qui aboutira à une charte de bonnes pratiques. "Dans le domaine des livraisons urbaines, nous souhaitons avoir un rôle d'impulsion", indique un responsable Transport de la capitale. Après une étude sur le fonctionnement des filières commerciales irriguant Paris, la mairie s'intéresse aux quartiers de monoactivités (Sentier, Gravilliers, Daumesnil?). Pour y définir, à terme, des solutions logistiques sur mesure (points relais de livraison par quartier, ou bureaux de ville pour les stocks). La mairie a par ailleurs annoncé l'élaboration d'un plan stratégique de développement du fret ferroviaire dans Paris avec la SNCF, et de la logistique fluviale avec le port autonome de Paris. Les responsables insistent sur la nécessité d'un rééquilibrage modal. Chaque année, 31,5 millions de tonnes sont transportées, dont 3 millions de tonnes en "interne", de Paris à Paris : 1 million par le rail, 2,5 millions par la voie d'eau, et le reste par la route. "L'objectif est de doubler le fret ferroviaire d'ici à dix ans", indique-t-on à la mairie.
L'initiative lancée par Gilles Manuelle s'inscrit donc dans cette nouvelle politique. Menée avec l'Ademe, et évaluée tous les 6 mois, l'expérimentation est bien plus un clin d'œil qu'une solution de masse. Une goutte d'eau de vélo dans un océan de camionnettes?

La fiche technique du triporteur à assistance électrique

Dimensions : 2,25 cm par 99 cm
Coût : 2500 euros hors taxes
Charge utile : 100 kg
Volume maximal : 450 litres
Vitesse : moyenne de 12 à 13 km/h. Le véhicule peut atteindre 20 km/h sans efforts

Autonomie : 80 km. Suffisante pour 7 heures de livraison
Temps de recharge : 1 heure 30
Accès autorisé : réseau routier classique, voies cyclables, couloirs de bus.

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