Ploeren (56) réconcilie les usagers de la voirie urbaine

Pour mettre tous les usagers sur un pied d'égalité, le maire de Ploeren (Morbihan), Corentin Hily, a conçu un projet original. Avec sa voie 2M, il divise l'espace urbain pour lui rendre sa fonction sociale. Une expérience conforme aux tendances actuelles en matière de voirie.

Conçue initialement comme un espace de rencontres et d'échanges, la rue a perdu sa vocation sociale avec l'avènement du tout-automobile. Des théories récentes relatives à l'urbanisme, et plus spécifiquement à la voirie, cherchent à redonner à la rue sa fonction originelle. Pour les nouveaux concepteurs urbains, il est essentiel de placer la notion de convivialité au coeur des débats. Le partage de la voirie entre tous ses utilisateurs doit être réalisé dans un contexte de courtoisie et de compréhension mutuelle. Dans ce but, la notion de rue elle-même doit être repensée comme un espace susceptible d'avoir deux vocations distinctes, une zone trafic et une zone sociale. Hans Monderman, urbaniste à Drachten aux Pays-Bas (voir ci-contre), a été le premier à conceptualiser cette approche. Pour lui, tous les usagers de la voirie doivent être également considérés. Et c'est grâce à la disparition des signalétiques routières, jugées contre-productives, que chacun agira de façon responsable. L'australien David Engwicht a pour sa part développé l'idée de "ralentisseurs mentaux". L'espace convivial a pour vocation de faire participer l'automobiliste plutôt que de le punir pour des comportements discourtois. En France, cette conception est apparue avec la publication du rapport d'Hubert Peigné intitulé "Une voirie pour tous"*. L'auteur estime qu'en réfléchissant et en agissant sur la voirie, il deviendra possible de répondre aux besoins de chacun.
Deux voies, deux fonctions
"Un seul type d'aménagement, en faveur de la seule voiture et de la seule vitesse, est inapproprié, souligne Hubert Peigné. La rue a des fonctions différentes dont il faut tenir compte." Déjà concrétisée dans le nord de l'Europe (Pays-Bas, Belgique, Royaume-Uni, Allemagne), cette approche ne connaissait jusqu'à récemment aucune application en France. Depuis décembre dernier, elle s'illustre pourtant à Ploeren, ville de 6.000 habitants dans le Morbihan. Corentin Hily, maire de la ville, a - sans le savoir vraiment - apporté sa pierre à l'édifice d'une conception encore en gestation. Avec l'inauguration d'une "voie 2M" au coeur de la ville, il concrétise l'idée d'une relation plus détendue entre les usagers des différentes artères urbaines. La solution 2M est simple : elle consiste à partager la voie en deux. D'un côté une voie Moteurs, de l'autre une voie Mollets, pour toutes les tractions musculaires. En substance : à chacun son espace. Les usagers de modes doux d'une part et les automobilistes d'une autre, tous étant traités de façon identique. Dans la pratique, ces derniers sont encore favorisés, puisqu'ils bénéficient de deux couloirs de circulation contre quatre mètres seulement pour les autres. "Tout ne peut pas se faire du jour au lendemain, précise le maire de Ploeren, confiant. Il faut préparer les esprits et on y arrivera."

Une signalétique spécifique

Contrairement à Hans Monderman, Corentin Hily ne s'est pas résigné à abandonner la signalétique routière. Original jusqu'au bout, il a préféré en créer une nouvelle, parfaitement adaptée à son projet. Déposée en propriété intellectuelle, l'initiative a donc fait naître de nouveaux panneaux, 100% ploerinois. Ils s'appliqueront à la voie 2M, mais aussi aux autres innovations du dispositif, conçues comme des compléments urbanistiques à ce projet spécifique. Il s'agit d'abord de la cour piétonne, un secteur piétons-voitures dans le centre de la cité où la vitesse sera limitée à 15 km/h et où la priorité sera donnée aux modes doux. Le lancement d'un trajet en voiture à cheval est la deuxième pierre angulaire de l'expérimentation. Ce mode de locomotion traditionnel sera destiné aux déplacements entre les quartiers et les écoles du bourg. "Si le projet séduit, la commune achètera deux chevaux postiers bretons et recrutera un palefrenier", assure Corentin Hily. Baptisé "A pied, à cheval ou en voiture", le projet global défend lui aussi la notion de convivialité. "Prenons le temps de vivre", aime à répéter le maire de Ploeren. Plutôt que d'opposer les modes, pratique aujourd'hui répandue, il a préféré les réconcilier. Et les premiers résultats sont encourageants. Largement diffusée dans la presse, l'initiative semble séduire les Ploerinois. "On commence à voir des vélos et des poussettes, confiait un habitant au quotidien La Croix. Je pense qu'au printemps, le trafic augmentera."
* Rapport final du groupe d'Hubert Peigné, membre du Conseil national des transports (CNT), juin 2005.

Kattalin Landaburu / Victoires-Editions pour Localtis

"La voie 2M devrait être étendue à la ceinture de contournement de l'agglomération"

Corentin Hily, le maire de Ploeren, est également le concepteur de la voie 2M.

La voie 2M ressemble aux expérimentations menées par les théoriciens de l'espace partagé ou "Shared Space". Est-ce une coïncidence ?

C'est moi qui ai imaginé la voie 2M au cours d'une séance de discussion avec mon équipe municipale. Je ne savais pas que l'initiative pouvait s'inscrire dans un carcan théorique. Avant tout, je souhaitais répondre aux requêtes de mes administrés. Lorsque j'ai été élu, on m'a demandé de beaux trottoirs pour pouvoir se promener, des pistes cyclables pour encourager l'usage du vélo, mais aussi des nouvelles places de stationnement dans les rues du bourg. Satisfaire toutes les demandes était hélas impossible. C'est pour cette raison que j'ai baptisé notre projet la voie 2M, le premier M pour Mollets, le second pour Moteurs.
Preuve que l'initiative est originale et novatrice, vous avez été amené à concevoir vos propres panneaux de signalisation. A quoi ressemblent-ils ?
Ils ont été conçus de la façon la plus explicite possible. Sur chaque panneau, on trouve une inscription en français et une en breton qui est ma langue maternelle. Pour la voie Mollet, deux piétons, un chariot municipal et une poussette sont représentés. Pour la voie Moteurs, nous avons choisi les symboles de véhicules motorisés, à savoir une voiture, un camion et un cyclomoteur. En ce qui concerne la cour urbaine, nous avons insisté sur la limitation de vitesse imposée aux automobiles, qui est fixée à 15 km/h maximum.

Comptez-vous étendre l'expérimentation ?

Ces initiatives sont toutes inscrites dans un plan d'urbanisme global programmé sur une période de quinze ans. La voie 2M devrait être étendue à la ceinture de contournement de l'agglomération. Le deuxième volet, la cour urbaine, vient d'être mis en oeuvre. Le troisième volet, enfin, est à l'étude. Il vise à mettre en place une desserte hippomobile régulière pour relier un lotissement en construction au bourg. Un premier trajet vise les déplacements domicile-école. Un autre pourrait être destiné aux personnes âgées. Nous imaginons, par exemple, une desserte entre les habitations et le centre commercial avec un retour avant midi. Rien n'a encore été définitivement arrêté, le projet doit encore être discuté.

Chambéry (73) : priorité aux piétons

Bien avant le développement des récentes théories sur l'espace partagé, la ville de Chambéry (Savoie) a voulu placer le piéton au centre même de la construction de l'espace public. Le principe de base : éviter toute ségrégation entre les usagers de la voirie.

"A Chambéry, c'est le piéton qui fait la ville et on s'attache, depuis une bonne vingtaine d'années, à lui rendre la vie et la ville plus faciles", explique Michel Déronzier, directeur des services techniques de la ville. L'idée est d'intégrer tous les usagers dans le même espace sans ségrégation, "mot que l'on déteste à Chambéry", insiste cet expert d'un urbanisme de type nouveau, voire révolutionnaire. Quand la majorité des villes françaises aménageaient l'espace public en fonction de l'automobile, Chambéry plaçait déjà le piéton au coeur de sa politique. Ici, les premiers aménagements cyclables datent des années 70. Ailleurs, à la même époque, la petite reine était déjà largement détrônée par la voiture. Résultat d'une telle politique : aujourd'hui, plus de 50% des déplacements - ville intra-muros - s'effectuent au moyen de modes doux, marche ou vélo combiné. Pour atteindre cet objectif, les experts transports de la cité ont, de façon continue, mêlé différents instruments ou mesures : zones 30, giratoires, surélévation des plateaux piétonniers... Et si le soutien à la pratique piétonne a été cohérent, c'est parce qu'il s'est accompagné, simultanément, d'une amélioration de l'offre des transports publics. "Le concept développé à Chambéry est un concept de mixité qui s'est développé à partir de la priorité donnée aux piétons en tant qu'usagers vulnérables", résume Michel Grunberger, maire adjoint chargé des travaux, de la circulation et du stationnement. Mais, si à la base le piéton est prioritaire, les autres usagers ne doivent pas pour autant se sentir lésés. Dans ce sens, la conception de la voirie appliquée à Chambéry se distingue peu de celle développée plus récemment par Hans Monderman ou Hubert Peigné. L'espace est à tout le monde et il doit être exploité en fonction de ce principe. Pas de couloirs de bus ou de pistes cyclables dans le centre-ville, la mixité des usages devant être assurée et la vigilance de tous les utilisateurs maintenue.

Aller plus loin sur le web :
 
Le site de la mairie de Ploeren.
http://www.mairie-ploeren.com
 
Le site du projet européen Shared Space.
http://www.shared-space.org
 

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