Politique de la ville : la CNDP appelle à "réinvestir l’ambition politique des conseils citoyens"

"Forte démobilisation", "manque d’indépendance", "défaut d’association réelle des conseils citoyens aux enjeux stratégiques de la politique de la ville dans les quartiers prioritaires" : le diagnostic est sévère et étayé par une analyse approfondie. La Commission nationale du débat public (CNDP) appelle à donner aux conseils citoyens des moyens et une reconnaissance à la hauteur de l'ambition de "coconstruction" définie par la loi Lamy de 2014.      

Dans un récent rapport intitulé "Démocratie participative et quartiers prioritaires : réinvestir l’ambition politique des conseils citoyens", la Commission nationale du débat public (CNDP) "constate un essoufflement des conseils citoyens".
Suite à une saisine de mars 2018 du ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, la CNDP a réalisé "six mois d’enquête approfondie", la conduisant notamment à rencontrer 258 acteurs dont 119 conseillers citoyens et à analyser les réponses de 760 conseils citoyens à un questionnaire de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV).

Des moyens et de la légitimité pour "relancer les conseils citoyens"

Dans un communiqué du 28 janvier 2019, la CNDP observe "la forte démobilisation, le manque d’indépendance et un défaut d’association réelle des conseils citoyens aux enjeux stratégiques de la politique de la ville dans les quartiers prioritaires". Elle formule dix préconisations pour "relancer les conseils citoyens".
Il s'agirait en premier lieu de leur donner les "moyens (logistiques et financiers)" suffisants – budget dédié et clairement défini, accès systématique à un local, homogénéisation de la formation… -, pour leur permettre d'exercer "la mission qui leur est théoriquement confiée par la loi". Par ailleurs, la CNDP appelle à "pleinement reconnaître le rôle et la place des conseils citoyens dans la co-construction des contrats de ville (statut juridique à part entière, co-signature du document cadre de la politique de la ville)".

Mobilisation : ne pas s'en tenir à "des enjeux micro-locaux du cadre de vie"

Avant d'aborder ces propositions, le rapport dresse un riche état des lieux, développant chacune des trois dimensions d'un diagnostic sans concession. "La mobilisation des citoyens n’est pas seulement une question de technique", rappellent ainsi les auteurs du rapport. Selon eux, l'enjeu est avant tout d'identifier les bonnes questions, celles qui "mobilisent" de fait les citoyens. "Dans le cas des conseils citoyens, contrairement à ce que nous avons souvent entendu en entretien, rien ne permet d’affirmer que ces questions qui les intéressent soient celles du cadre de vie ou de la proximité : pouvoir réfléchir aux enjeux globaux d’un quartier n’est pas que 'complexe' ou 'abstrait'."
La question de la portée de l'implication citoyenne, autrement dit sa dimension politique, apparaît ainsi décisive : "confiner les conseils citoyens à l’animation de leur seul quartier ou à des enjeux micro-locaux du cadre de vie leur donne la nette sensation d’être limités dans leur droit à s’exprimer". Ce qui rejoint un autre facteur de démotivation : le manque de clarté sur le rôle de ces instances de participation, puisque "la quasi-totalité (…) ne parviennent pas à définir où commence et où s’arrête leur pouvoir".
La CNDP soulève par ailleurs la nécessité d'un réel accompagnement des citoyens tirés au sort. Et suggère d'améliorer le processus du tirage au sort, notamment via "un accord national, entre l’État et les grands bailleurs, EDF et les opérateurs téléphoniques, pour automatiser la mise à disposition des listes". "Proscription doit être faite de tirer au sort sur des listes de volontaires", ajoute la Commission. Elle estime que les volontaires peuvent être associés différemment, que refuser leur contribution alors qu'ils se sont portés volontaires peut accroître la défiance et que le tirage au sort doit conserver son objectif de toucher les populations éloignées.  

Au-delà de l'autonomie des conseils citoyens, viser l'indépendance

Deuxième enjeu : l'indépendance des conseils citoyens, actuellement "tributaire des collectivités locales". Les auteurs du rapport identifient trois cas : "les conseils citoyens ni autonomes, ni indépendants", dont le fonctionnement est généralement pris en charge par la collectivité locale ; "les conseils citoyens autonomes mais non indépendants", c'est-à-dire "en situation d’auto-organisation" mais "soumis à des influences morales (ex : accompagnement partisan de la part des agents de la politique de la ville) et pratiques (ex : pas de local) qui ne dépendent pas d’eux" ; "les conseils citoyens autonomes et indépendants", bénéficiant "de moyens et d’une liberté suffisante pour déterminer eux-mêmes leur positionnement et mener leurs actions".
L'indépendance "est un long processus, alors que les deux tiers des conseils citoyens ont moins de deux ans (ONPV, 2018)". La CNDP met toutefois en avant les "freins" à cette indépendance et, souvent aussi, à l'autonomie : "une vision étriquée de la participation, voire une méfiance, et sa conséquence, une absence de volonté, et donc de portage politique" ; "des réflexes cognitifs des élus" ; "des réflexes professionnels des agents" – épinglant notamment les "difficultés des urbanistes à écouter des profanes".
Enfin, est pointé "le manque de cohérence dans le marché de la participation qui regorge d’acteurs aux formations, motivations et méthodes très différentes les unes des autres". Pour la CNDP, cette diversité de positionnements des élus, des agents ou encore des prestataires suscite des "inégalités territoriales en matière démocratique".

Contrats de ville : clarifier le rôle des conseils citoyens et homogénéiser les formations

"Les conseils citoyens : acteurs ou spectateurs du contrat de ville ?", s'interroge enfin la Commission. "L’ouverture des instances au public est une première étape à saluer et à améliorer, mais elle ne règle à elle seule aucun problème : elle se contente de les révéler", tranche-t-elle en guise de réponse. La CNDP souligne en particulier une "confusion entre formation, information et accompagnement". La formation des conseillers citoyens, à la demande de ces derniers, consisterait bien souvent à les informer "sur leurs missions et sur l’environnement politique et technique dans lequel ils sont plongés", avec parfois une absence de neutralité de la part du formateur.
La CNDP relève de la confusion sur les missions confiées aux prestataires – souvent chargés à la fois "d’accompagner, de soutenir, d’émanciper, de former, d’outiller"… et souligne "de vraies questions de cohérence des formations proposées et d’indépendance des conseils citoyens", en fonction des cahiers des charges établis par les collectivités et des prestataires choisis.
L'état des lieux s'achève sur un chapitre consacré à l'articulation entre les conseils citoyens et les autres instances participatives, la CNDP observant là encore "des confusions et des concurrences face auxquelles conseillers citoyens, pouvoirs publics et militants associatifs développent des stratégies".