Politique du logement : navigation à vue faute de données publiques performantes

Les données publiques nécessaires aux politiques du logement sont "trop fragiles pour permettre un pilotage satisfaisant", estime la Cour des comptes dans un référé rendu public le 18 juillet.

"En matière de politique du logement, [il est nécessaire d'avoir] une connaissance raisonnable des parcs de logement social et privé afin d’établir, à partir des réalités territoriales, de l’expression du besoin des demandeurs et des caractéristiques humaines et sociales de ces derniers, les stratégies les plus appropriées en matière d’offre de logement neuf, de lutte contre l’habitat indigne, de rénovation énergétique." Certes. L'affirmation semble relever du truisme. C'est la Cour des comptes qui la formule. Car selon elle, on est en réalité loin d'avoir cette connaissance. Ceci, faute d'une politique de la donnée efficiente.

En soi, les données ne manquent pas. La Cour a identifié douze bases de données essentielles, qui "portent sur le suivi de l’offre et de la demande ainsi que sur la situation des bénéficiaires des politiques sociales dans ce domaine" : Sit@del2, bases Insee/notaires, demande des valeurs foncières (DV3F), registre du parc locatif social (RPLS), enquête nationale logement (ENL), recensement national, statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV), système national d’enregistrement (SNE), l’outil territorialisé pour la production de logement (Otelo), base de la Cnaf, fichiers démographiques sur les logements et les individus (Fideli) et fichier des logements à la commune (Filocom). Et on peut y ajouter des bases plus spécifiques (sur la vacance, l'habitat indigne, le Dalo…). En revanche, rappelle le référé, "la perte des données liées à la perception de la taxe d’habitation prive l’État de données essentielles puisqu’elle permettait d’associer des informations géolocalisées sur les logements avec la situation sociale de leurs occupants".

En tout cas, estime la Cour, l'État ne dispose pas suffisamment de "données fiables, exhaustives, récentes et accessibles aux responsables et aux acteurs du logement" : "De manière générale, les bases de données mobilisables sont difficiles d’accès et faiblement interopérables. L’absence d’une architecture globale de ces applications, leur actualisation à des rythmes trop peu fréquents et non coordonnés ainsi que la maille territoriale souvent trop large des données collectées réduit leur intérêt pratique", écrit Pierre Moscovici dans un référé adressé au gouvernement. Fâcheux, lorsqu'on parle d'"une politique publique qui représente un coût annuel proche de 40 milliards d'euros". Risque de navigation à vue ? La Cour n'est pas loin de le penser, faisant par exemple valoir que "le besoin de construire 500.000 nouveaux logements par an, régulièrement mis en avant publiquement, ne repose pas sur les travaux récemment conduits par la DHUP et le Cerema, qui évaluent depuis 2014 ces besoins annuels à 370.000 nouveaux logements".

Données privées... et données des collectivités

Autre risque, celui d'une dépendance aux données privées, souvent plus performantes, à tel point que celles-ci pourraient, "sans réaction, supplanter la prééminence publique en matière d’information sur la politique du logement" : "De nombreux sites internet privés facilitent désormais une connaissance géolocalisée des loyers comme des transactions foncières ou immobilières. Ces informations gagnent en précision et en fiabilité à tel point qu’elles viennent parfois nourrir ou étayer les bases publiques. À l’inverse, et malgré un travail rigoureux des associations départementales d’information sur le logement (Adil), financées par les partenaires publics, les 34 observatoires des loyers qui ont été installés ne permettent pas de couvrir tout le territoire national en temps réel." En tête des données privées, évidemment, celles issues des actes notariés, mais dont "le degré de précision géographique reste restreint à l’échelle communale" et dont l'"accès à titre gracieux est limité dans les faits".

Dans ce contexte, la Cour juge "déterminant que le projet initié depuis mai 2021 par plusieurs acteurs publics [Insee, DHUP, DGFiP, CGEDD et DGALN] pour tenter de pallier cette carence en créant un répertoire inter-administratif des locaux adossé aux bases de la DGFiP soit mené à bien sans retard". Mais aussi, au-delà de la sphère de l'État, estime nécessaire de renforcer le partenariat avec les collectivités locales, d'autant plus que "plusieurs de ces dernières, au premier rang desquelles certaines métropoles, ont d’ores et déjà développé des outils pour évaluer les besoins de leur territoire ou assurer le suivi de leurs politiques relatives à l’habitat". "Une coordination renforcée avec ces collectivités permettrait de mutualiser ces outils d’observation et de pilotage mutualisés" avec, en ligne de mire, "la mise en place d’un lac de données [data lake] publiques".

 

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