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Logement - Politiques locales de l'habitat : quoi de neuf depuis l'an 2000 ?

Dix ans après les lois Chevènement et SRU, six ans après l'acte II de la décentralisation, qu'est-ce qu'une politique locale de l'habitat aujourd'hui ? Un rapport publié par le réseau des Acteurs de l'habitat répond à cette question à partir de l'étude approfondie d'une dizaine de territoires.

Si tout le monde s'accorde à dire "qu'on ne pourrait rien faire aujourd'hui en matière d'habitat sans les collectivités territoriales", il est cependant difficile de mesurer ce phénomène et d'en rendre compte au-delà de quelques cas particuliers. Le rapport du réseau des Acteurs de l'habitat relève le défi à partir de l'étude de dix territoires (sept établissements publics de coopération intercommunale et trois conseils généraux). Si les territoires étudiés ne constituent pas un échantillon représentatif de la situation sur l'ensemble de la France, le grand nombre de personnes interrogées (responsables de l'habitat en collectivité, élus, agents des services déconcentrés de l'Etat, organismes HLM…) permet cependant de bénéficier d'un éclairage tout à fait solide.

Des collectivités "matures"

En premier lieu, l'étude constate qu'un "vrai palier" a été franchi dans la territorialisation des politiques de l'habitat depuis dix ans. Les collectivités sont jugées plus "matures" qu'il y a deux ou trois ans dans la formulation et la conduite de ces politiques. Il faut dire que les premières intercommunalités à approuver leurs "programmes locaux de l'habitat [PLH], en 2004-2005, disposent désormais de recul". Et globalement, même si la mise en pratique reste problématique, la plupart des responsables politiques se disent désormais convaincus de la nécessaire articulation de la planification de l'urbanisme et du logement. Ces dernières années, certains sujets ont retenu beaucoup plus l'attention des collectivités : c'est le cas de l'accession sociale à la propriété, du traitement du parc privé ancien, du logement des populations aux besoins spécifiques (étudiants, seniors), de la question de l'hébergement et du développement d'opérations mixtes public-privé. Avec le souci constant, probablement plus qu'il y a dix ans, de la recherche "d'effets de levier" pour rendre plus efficace la dépense publique. Cependant, cette "territorialisation" rencontre des limites : de nombreux responsables critiquent l'empilement des lois et des dispositifs et le manque de visibilité sur les politiques nationales (évolutions des exigences en matière de PLAI, changement des périmètres Scellier, règles complexes et évolutives des surloyers, etc.).
Par ailleurs, les intercommunalités et les bailleurs sociaux interrogés déplorent souvent que "l'Etat ne joue pas pleinement son rôle de garant, de gendarme, afin de dépasser les résistances communales". Sans surprise, les exemples cités sont le respect aléatoire de l'article 55 de la loi SRU et le manque de solidarité intercommunale dans la rénovation urbaine.

La délégation des aides à la pierre en panne

Deuxième constat : celui du désenchantement face à la délégation des aides à la pierre. Pour bon nombre d'acteurs locaux, la suite logique de la délégation des crédits était la décentralisation. Au lieu de cela, les interventions de l'Etat semblent "plus nombreuses et plus tatillonnes". "Au fil des avenants, le système s'est rigidifié en devenant de plus en plus directif ("l'Etat impose sa programmation") et de moins en moins souple (suppressions des marges d'adaptation entre parc public et parc privé, entre construction neuve et réhabilitation)". La délégation semble donc "en panne" : d'un point de vue quantitatif (55% des crédits ont été délégués à ce jour et 28% des conseils généraux sont couverts), mais aussi politique (les acteurs concernés demandant une claire décentralisation). L'ovni administratif qu'est cette "déconcentralisation" [sic] semble donc ne pas avoir convaincu. Dans les services ministériels, certains techniciens évoquent la prochaine étape : la "décentralisation à la carte", qui permettrait à certaines agglomérations d'avoir 100% de fongibilité entre parc public et parc privé, des compétences de police pour l'insalubrité et des leviers fiscaux. Mais une telle réforme ne serait envisageable, en raison des échéances électorales, qu'après 2014, soit dix ans tout juste après la loi Liberté et responsabilités locales qui a créé la délégation des aides à la pierre.
En dépit des critiques, l'exercice de la délégation semble désormais dans la pratique "bien rodée". Mais seuls quinze délégataires ont choisi de prendre en charge l'instruction des dossiers. Or, à l'Assemblée des communautés de France (ADCF) on estime que "le seul moyen pour être véritablement chef de file de l'habitat est bien de prendre l'instruction des dossiers du logement social et de l'Anah".

Des moyens en forte croissance

Sur le plan des moyens, de nombreux services de l'habitat ont été créés ou étoffés ces dernières années. Les moyens financiers consacrés par les collectivités à l'habitat sont également en forte croissance. Par exemple, le budget des aides à la pierre du département du Bas-Rhin est passé de 15 à 20 millions d'euros entre 2006 et 2009, celui de l'Ain de 5,6 à 8,7 millions d'euros sur la même période. Naturellement, les personnes interrogées ont fait part de leur inquiétude sur la baisse des crédits d'Etat ou l'avenir des financements du 1%, et ont souligné les risques  que fait peser la suppression de la clause générale de compétence sur le secteur. "Quand on interroge les services locaux de l'Etat sur la réforme en cours, la tonalité dominante du propos est rarement positive" : les rapporteurs ont eu le sentiment que les directeurs faisaient "contre mauvaise fortune bon coeur". La réduction d'effectifs et le choix de scinder le logement entre les directions départementales des territoires (DDT) et celles de la cohésion sociale (DDCS) sont "particulièrement mal vécus". Les agents des services déconcentrés expriment également leur inquiétude sur l'affectation de toutes les "tâches nobles" au niveau régional. D'où un fréquent "hiatus" entre les services déconcentrés, souvent en phase avec leurs interlocuteurs des collectivités locales, et les politiques nationales.
Côté collectivités, élus et agents territoriaux affirment entretenir des relations de confiance, souvent anciennes, avec les services locaux de l'Etat. Mais de nombreux acteurs déplorent la "perte de professionnalisme" liée au départ de certains agents spécialistes de l'habitat. D'où, conclut le rapport, "une demande d'Etat" - parfois non dépourvue d'une certaine ambiguïté - qui "est aujourd'hui déçue".