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Pollutions industrielles et minières des sols : des sénateurs préconisent la création d'un "fonds de réhabilitation"

La lutte contre la dégradation des sols et la gestion de ses effets sur la santé et l'environnement peinent à s'imposer comme une priorité des pouvoirs publics et beaucoup reste à faire pour disposer d'un arsenal juridique à la hauteur des enjeux, pointe la commission d'enquête sénatoriale sur la pollution des sols qui a présenté son rapport ce 10 septembre. Parmi ses nombreuses recommandations, elle propose la création d'un "fonds de réhabilitation" géré par l'Ademe et doté d'un montant "minimum" de 75 millions d'euros par an. Ce fonds dédié permettrait notamment de prendre en charge la dépollution de sites "orphelins" et d'aider les collectivités qui ont hérité de friches polluées à les remettre en état.

Déchets toxiques charriés par des inondations dans l’Aude, collèges bâtis sur des sols pollués dans le Val-de-Marne, terres agricoles contaminées par du plomb et du cadmium à Saint-Félix-de-Pallières (Gard) ou dans le Pas-de-Calais… : les quelque 320.000 anciens sites industriels et 3.000 anciens sites miniers présents un peu partout en France sont pour la plupart à l'origine de pollutions des sols que l'on a encore du mal à appréhender aujourd'hui. C'est le constat que dresse dans son rapport  présenté ce 10 septembre la commission d’enquête du Sénat sur la pollution des sols, qui a été créée en février dernier à l’initiative du groupe socialiste et républicain.

"Parent pauvre de la législation"

Si aucun territoire n'est épargné, la lutte contre la dégradation des sols et la gestion de ses effets sur la santé et l’environnement peinent pourtant à s’imposer comme une priorité des pouvoirs publics, déplore la commission. "A la différence de l’air ou de l’eau, des biens naturels communs dont la protection a donné lieu à un arsenal juridique très sophistiqué, les sols sont restés le parent pauvre de la législation aux niveaux européen et national", rappelle le président de la commission d’enquête Laurent Lafon (Union Centriste – Val-de-Marne). "Or, s’ils sont trop souvent envisagés comme un bien exploitable soumis au droit de la propriété, les sols n’en restent pas moins une ressource naturelle qui n’est pas indéfiniment renouvelable et qu’il nous faut protéger."

Besoin d'une "mobilisation nationale"

Pour Gisèle Jourda, sénatrice PS de l'Aude et rapporteure de la commission, "il y a un laisser-aller sur ces questions" de pollutions industrielles. Très mobilisée dans son département contre la pollution à l'arsenic léguée par l'ancienne mine d'or de Salsigne, elle estime que "la pollution des sols ne peut pas être réduite à des problèmes territoriaux circonscrits. Elle exige une mobilisation nationale pour deux raisons majeures : d’une part, l’information du public sur l’existence des pollutions des sols et sur leurs effets sur la santé et l’environnement doit devenir un droit fondamental et sortir d’une vision trop technique et peu lisible ; d’autre part, les collectivités locales doivent être plus intégrées dans le processus de décision et de gestion des territoires pollués en proposant le classement en secteur d’information des sols de certains sites et en se regroupant en association pour faire entendre leur voix".

Un "fonds dédié" de 75 millions d'euros par an

Au terme de 34 auditions et tables rondes et deux déplacements, la commission d'enquête a élaboré une cinquantaine de propositions dont un grand nombre doivent "déboucher sur des propositions de loi", a souligné la sénatrice.
La commission préconise notamment la création d'un Fonds national pour la réhabilitation des sols pollués par les activités industrielles ou minières qui serait géré par l'Ademe. Alors que le gouvernement a prévu dans le plan de relance présenté la semaine dernière un fonds de 300 millions pour le "recyclage des friches urbaines et industrielles et du foncier artificialisé", Gisèle Jourda a estimé qu'il fallait au contraire "un fonds dédié" spécifiquement à cette problématique. D'un montant "minimum" de 75 millions d'euros par an "sur 15-20 ans", il serait financé par une dotation budgétaire de l'Etat, complétée par l'affectation du produit des sommes acquittées par les pollueurs au titre des sanctions administratives, civiles ou pénales, et d'une fraction additionnelle de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).
Le fonds serait appelé à prendre en charge la réhabilitation des sites "orphelins", dont l'exploitant a disparu ou est défaillant mais aussi à venir en aide aux collectivités territoriales qui n’ont pas la capacité financière suffisante pour prendre en charge l’intégralité des coûts de la dépollution des terrains dont elles sont propriétaires. Il permettrait ainsi de compenser les "clivages entre les sites où les opérations de réhabilitation sont économiquement faisables et les autres," a estimé Laurent Lafon.

Incitations fiscales aux travaux de dépollution

Parallèlement, la commission fait plusieurs propositions visant à encourager l'aménagement durable des friches industrielles et minières, notamment des incitations fiscales aux travaux de dépollution. "Des exonérations temporaires, déductions partielles ou réductions de taux de certains impôts, notamment des droits de mutation à titre onéreux, de la taxe d’aménagement ou de la taxe foncière, pourront être envisagées, sous réserve d’une compensation par l’État de la perte de ressources fiscales encourue par les collectivités", suggère-t-elle ainsi.
La commission propose aussi d'améliorer la qualité de l'information sur les sites pollués, les "données étant souvent peu intelligibles", estime Gisèle Jourda. Elles sont également "très incomplètes" au niveau national, souligne la commission, avec "un peu plus de 7.200 sites pour lesquels une pollution serait avérée" recensés dans la base de données BASOL du ministère de la Transition écologique, pour "un peu moins de 320.000 anciens sites d'activités industrielles" au total recensés dans la base BASIAS.

Besoin d'information "claire, pédagogique et accessible à tous"

Pour les sénateurs, "le développement d’une information claire, pédagogique et accessible à tous constitue un exercice prioritaire, dans une logique de transparence à l’égard des particuliers et des élus locaux mais également des opérateurs en matière d’aménagement, tant publics, comme les collectivités territoriales et les établissements publics fonciers, que privés." Sur ce volet, plusieurs propositions intéressent directement les collectivités. Les sénateurs voudraient ainsi instaurer pour les maîtres d'ouvrage de projets de construction d'établissements accueillant des enfants et adolescents une obligation transversale de conduite d'un diagnostic des sols préventif, qui devrait s'accompagner d'un soutien financier de l'Etat. Ils plaident pour la mobilisation d’une enveloppe de 50 millions d’euros afin de mener à terme l’inventaire et le diagnostic des sols des établissements recevant des enfants situés sur des sites pollués, en traitant prioritairement les départements jusqu’ici exclus du programme. Ils veulent aussi donner aux communes et aux EPCI compétents en matière d'urbanisme un droit d'initiative pour délimiter des secteurs d'information sur les sols (SIS) sur leur territoire lorsqu'ils ont connaissance de pollution de sites et de sols. En contrepartie, seraient prévues des possibilités accrues de financement et d'aménagement pour les sites inscrits en SIS.

Améliorer la "transparence" de la gestion des risques sanitaires

La commission suggère également d'introduire dans la législation "un véritable droit de protection des sols" et d'améliorer les dispositifs de surveillance ainsi que la "réactivité" et la "transparence" de la gestion des risques sanitaires. Sur ce dernier point, elle propose de charger Santé Publique France de mettre en ligne sur son site Internet "une liste régulièrement actualisée de l'ensemble des sites dont la pollution des sols présente un risque avéré pour la santé et rappelant les mesures de gestion du risque sanitaire mises en œuvre ou envisagées".
Elle préconise aussi "l’introduction systématique dans le plan communal de sauvegarde de toute commune comportant sur son territoire un site recensé dans la base BASOL un volet spécifique consacré à l’alerte, l’information, la protection et le soutien de la population en cas de risque de pollution industrielle ou minière des sols". "En complément, poursuit-elle, il appartiendra à chaque préfet d’élaborer un plan d’action détaillant les mesures de gestion des risques sanitaires pour chaque site pollué présentant un danger avéré pour la santé, soumis à l’avis des membres de la commission de suivi de site et faisant l’objet d’un bilan annuel de sa mise en oeuvre, dans une logique de transparence et une démarche participative."
Pour un traitement "indépendant et transparent des alertes sanitaires", les sénateurs réclament la création des centres régionaux de santé environnementale chargés d’examiner les demandes d’évaluation de l’impact sanitaire d’expositions environnementales sur saisine du préfet, du directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) ou d’un directeur de délégation départementale de l’ARS, d’élus locaux ou d’associations de riverains, conformément à un référentiel national de traitement des alertes sanitaires liées à des expositions environnementales.

Financement des études épidémiologiques

La commission préconise également d’inscrire dans la loi la participation au financement des études d’imprégnation et des études épidémiologiques des exploitants dont l’activité est identifiée comme responsable, en tout ou partie, des expositions environnementales présentant un danger avéré pour la santé, le cas échéant via une assurance obligatoire pour dommages causés à des tiers. Ils jugent aussi nécessaire de prévoir la création, dans les départements où une présence importante de polluants toxiques a été détectée, de registres de morbidité, portant notamment sur les cancers et les malformations congénitales, afin de collecter des données sur l’impact sanitaire des expositions environnementales, en particulier des effets cocktail en cas d’exposition à plusieurs substances polluantes.
 

 

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