Pour Jérôme Fourquet, le film "En fanfare" illustre les écarts grandissants entre métropole et périphérie
À partir du film français "En fanfare" mettant en scène deux personnages, l'un issu de Paris, l'autre du bassin minier du Nord, le politologue Jérôme Fourquet analyse de manière originale la fracture qui se creuse depuis des décennies entre les deux mondes, les grandes métropoles et la France périphérique. Parmi les causes de cette fracture détaillées dans cette note de l'Institut Terram du 30 janvier 2025 : la désindustrialisation et les délocalisations, sources d'un environnement social et économique dégradé dans les anciens territoires industriels.

© Institut Terram et Adobe stock
"(Re)mettre Walincourt sur la carte." C'est ce que propose Jérôme Fourquet, dans une note de l'Institut Terram, publiée le 30 janvier 2025. Le politologue analyse en effet les ressorts du film "En fanfare", réalisé par Emmanuel Courcol (7 nominations aux Césars, près de 2,5 millions d'entrées) et met en avant ce que dit le film de la France d'aujourd'hui, et particulièrement de la fracture entre la France périphérique et les grandes métropoles, parisienne et régionales. "Ces dernières années s'est opérée une prise de conscience d'une hyperfocaliation sur Paris et sur quelques grandes métropoles régionales dans le débat public, phénomène qui s'est mécaniquement accompagné d'une relégation au second plan de pans entiers du territoire", indique-t-il.
Dans ce film, Thibault, un chef d'orchestre de renommée internationale qui parcourt le monde, apprend qu'il a été adopté. Il découvre l'existence de son frère, employé de cantine scolaire, qui joue du trombone dans une fanfare du nord de la France. Jérôme Fourquet compare ce film avec un autre grand succès, "La vie est un long fleuve tranquille", qui date de 1988. Mais pour ce dernier, les deux familles qui incarnaient les milieux populaires et la bourgeoisie, vivaient dans la même ville du Nord-Pas-de-Calais. "Trente-six ans plus tard, dans 'En fanfare', l'histoire se déroule de nouveau dans cette région mais les deux personnages principaux ne vivent plus dans la même ville. La distance sociale sur laquelle reposait 'La vie est un long fleuve tranquille' se double désormais d'une distance géographique", détaille Jérôme Fourquet. D'un côté, le représentant de la classe populaire habite à Walincourt, dans le bassin minier, alors que le représentant de la bourgeoisie vit en région parisienne et voyage dans le monde entier. Un nouveau clivage socioculturel et identitaire (le "somewhere" opposé au "anywhere") qui s'est exprimé électoralement lors du référendum de Maastricht en 1992 et de celui de 2005, et qui s'est à nouveau fait ressentir lors de la crise des gilets jaunes.
Une désindustrialisation aux conséquences lourdes
Au-delà de cet aspect, la note de Jérôme Fourquet analyse l'impact de la désindustrialisation dans cette fracture grandissante. Si le personnage issu du bassin minier du Nord n'a pas connu le déclin de l'industrie et la fermeture des mines dans son territoire, face notamment à la globalisation des marchés, il en subit toutefois les conséquences, vivant dans un environnement économique et social dégradé. Des délocalisations et un processus de déménagement des activités productives vers d'autres territoires ayant eu lieu, le chômage s'est multiplié chez les ouvriers restés sur place, avec un impact particulièrement fort sur les hommes (perte d'estime de soi et du statut social), analyse Jérôme Fourquet, lesquels composaient la majorité des ouvriers dans l'industrie métallurgique ou les mines. Le politologue constate aussi la fragilisation des structures familiales, avec une prévalence des familles monoparentales, dans la plupart des vieilles zones industrielles comme le bassin minier en question, la vallée de la Somme, les Ardennes, la Lorraine sidérurgique et minière ou encore la basse vallée de la Seine. Un phénomène qui s'observe aussi à l'étranger.
Américanisation
Enfin, Jérôme Fourquet met en avant le phénomène d'américanisation du pays au cours des dernières décennies (thème déjà abordé dans son ouvrage "La France sous nos yeux", coécrit avec Jean-Laurent Cassély), et particulièrement dans les milieux populaires (prénoms, adoption de codes culturels anglosaxons, développement d'un référentiel culturel issu des Anglosaxons, comme l'agriculture "hydroponique", qui se fait en dehors des champs...).
Dans le film, le fossé entre les classes des deux frères se résorbe, notamment lors de l'interprétation par la fanfare de Walincourt du "Boléro de Ravel" avec un grand orchestre parisien, mais "résorber la fracture béante entre 'Somewhere' et 'Anywhere' nécessitera plus qu'un concert et qu'un film, aussi réussit soit-il", affirme Jérôme Fourquet, qui met en avant les résultats à l'élection présidentielle de 2022 (au second tour), dans les deux territoires d'où viennent les deux protagonistes : 79% pour Emmanuel Macron pour Meudon et 70% pour Marine Le Pen pour Lallaing (alias Walincourt) !