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Insertion - Pour l'Insee, le RSA a des "effets très nets" sur les gains du retour à l'emploi

Dans sa dernière livraison, la revue de l'Insee "Economie et statistique" publie une étude sur l'impact combiné du RMI/RSA et des aides sociales locales sur les gains de revenu provoqué par un retour à l'emploi. Si elle se conclut par un vibrant satisfecit pour le RSA, l'étude est beaucoup plus critique sur les effets désincitatifs de certains droits connexes locaux. Et place ainsi les élus devant des choix inévitables à trancher rapidement.

L'étude publiée par l'Insee dans le numéro 429-430 de sa revue "Economie et statistique" (août 2010) - entièrement consacré au thème "bas salaires et marché du travail" - est originale à la fois dans sa méthodologie et dans ses conclusions. Elle apporte en effet un éclairage nouveau et sensiblement différent de celui fourni par le comité d'évaluation des expérimentations du RSA, qui concluait à l'existence d'un impact positif du RSA sur le retour à l'emploi, mais avec une forte marge d'incertitude (voir notre article ci-contre du 25 mai 2009). Il est vrai que le comité d'évaluation a travaillé dans des conditions difficiles, avec des délais restreints et sur un champ plus large.

Une approche innovante

L'étude publiée par l'Insee - et conduite par deux chercheurs du Centre d'études de l'emploi - s'intitule "aides sociales locales, revenu de solidarité active et gains du retour à l'emploi". Elle se fonde sur l'inventaire des prestations sociales locales et/ou extralégales mises en oeuvre en 2007 sur un échantillon de treize villes françaises (dont Paris, Lyon et Marseille) : restauration scolaire, garde d'enfants, centres de loisirs, activités périscolaires, vacances, activités sportives et culturelles, transports, logement... L'objectif était de mesurer les gains du retour à l'emploi selon un double filtre : sous le régime du RMI et de l'API (allocation de parent isolé) puis du RSA, et en fonction de la nature et des conditions d'attribution des aides sociales locales. La démarche adoptée repose sur une approche par cas types. Autrement dit, à partir des éléments recueillis sur les villes témoins, les chercheurs ont reconstitué, pour sept configurations familiales types, les effets du RMI puis du RSA - combinés avec les aides sociales locales - en termes de gain du retour à l'emploi. Derrière cette étude se profilent deux questions majeures. La première est celle des "trappes à inactivité", autrement dit de l'effet désincitatif ou incitatif - réel ou supposé - des prestations d'entretien différentielles comme le RMI ou le RSA. La seconde concerne l'impact, en la matière, des droits connexes locaux, qui était déjà au coeur du rapport Desmarescaux et a débouché sur la signature de la déclaration commune sur les droits connexes (voir nos articles ci-contre du 15 mai et du 20 juillet 2009). Il est donc important de bien comprendre que l'étude de l'Insee ne répond pas à la question de savoir si le RMI et le RSA améliorent les chances de retour à l'emploi. Elle ne dit rien, par exemple, des politiques d'accompagnement, de mobilisation et d'insertion. En revanche - et c'est déjà beaucoup -, elle fournit des éléments très intéressants sur ce qu'apportent ou n'apportent pas ces prestations, combinées avec les aides sociales locales, en termes de gain net de revenu pour un individu lorsqu'il reprend un emploi.

"L'efficacité du RSA apparaît spectaculaire"

Sur ce point, la réponse apportée par l'étude est sans ambiguïté et conclut à un net avantage du RSA sur le RMI en termes de gain du retour à l'emploi. Les auteurs observent que le RMI - dans sa conception d'origine où prédominait la seule dimension de revenu différentiel - était clairement désincitatif à la reprise d'un emploi, avec les effets de seuils très prononcés. Le débat autour des "trappes à inactivité" ou "trappes à pauvreté" n'était donc pas complètement un mythe. Mais, si l'on fait abstraction des aides sociales locales, ce défaut initial a été progressivement compensé par le mécanisme de l'intéressement, amélioré à plusieurs reprises. Il reste que l'intéressement est un mécanisme temporaire. Sur le moyen et long terme - une fois l'intéressement disparu -, il existe bien des "zones où les emplois 'ne paient pas'". C'est le cas pour les personnes isolées, les couples sans enfant et les couples avec plus de deux enfants, du moins à certains niveaux de revenus. A court terme, en revanche, l'intéressement et la prime pour l'emploi - efficace combinée avec le RMI, mais pas isolément - ont constitué "des moyens suffisants pour empêcher [...] les effets désincitatifs d'un RMI différentiel".

Les choses changent avec le RSA. Conçu d'emblée pour que "le retour à l'emploi soit toujours plus rémunérateur que le maintien dans l'assistance", selon les termes de la lettre de mission du chef de l'Etat à Martin Hirsch, la nouvelle prestation semble avoir atteint cet objectif. Pour les auteurs - et en l'absence de réforme des aides sociales locales -, "l'efficacité du RSA en termes de gains du retour à l'emploi apparaît spectaculaire" : "En moyenne, sur notre échantillon de treize villes, le RSA fait disparaître pour toutes les configurations familiales les zones pour lesquelles le revenu disponible du ménage type pouvait être inférieur à celui obtenu sans revenu d'activité." Pour être plus précis, sur les 91 situations étudiées, seules deux connaissent une durée de réservation non nulle, autrement dit un nombre d'heures de travail qui ne rapporte aucun gain de niveau de revenu. Et encore ces durées de réservation sont-elles modestes, avec respectivement cinq heures et une heure hebdomadaires au Smic. Le RSA a en outre le grand mérite d'éviter la chute brutale des droits connexes que l'on observait lors de la sortie du RMI et qui est liée à l'effet des conditions de statut. Cet effet des conditions de statut n'a certes pas disparu avec le RSA - puisqu'il est lié aux modalités des aides connexes - mais, grâce à la baisse en pente douce du RSA, il est "reporté beaucoup plus haut dans la distribution des revenus, au point de sortie du RSA qui se situe à un niveau où le revenu d'activité est suffisamment élevé pour amortir la baisse des revenus de transferts".

Haro sur les droits connexes locaux ?

Avec ce satisfecit général délivré au RSA en termes de gains du retour à l'emploi, on voit bien - comme l'avait d'ailleurs pressenti Martin Hirsch, mais sans oser s'y attaquer véritablement - que la question des "trappes à inactivité" se déplace du côté des droits connexes et, plus précisément, des aides sociales locales.

Sur ce point, les résultats de l'étude sont très différents de ceux obtenus pour le RSA. Ils s'appuient sur la mise en oeuvre d'un modèle développé par les deux chercheurs et baptisé Equinoxe (évaluateur quantitatif intégré des droits connexes). Tout en soulignant la complexité des travaux en ce domaine, les auteurs débouchent sur des conclusions plutôt sévères. Celles-ci sont d'autant plus à prendre en compte que l'enjeu n'est pas mince. L'étude montre en effet que les droits connexes locaux augmentent en moyenne d'un cinquième les montants issus des transferts légaux et nationaux. Ceci résulte de la combinaison de prestations ou avantages d'un montant unitaire le plus souvent faible, mais qui se révèlent à la fois nombreux et cumulatifs.

Sous le régime du RMI, l'étude démontre que "les aides locales creusent fortement les trappes à pauvreté". Leur impact est suffisamment fort pour expliquer que les différentes mesures adoptées depuis 2000 pour lutter contre ces "trappes" - réforme de la taxe d'habitation et des allocations logement, instauration de la prime pour l'emploi et de la prime de retour à l'emploi... - n'ont pas suffi à compenser la dégressivité des transferts sociaux pour les ménages à bas revenus. Ceci vaut d'autant plus que d'autres prestations sous conditions de statut sont venues s'ajouter, comme la gratuité des transports pour les bénéficiaires du RMI en Ile-de-France et dans d'autres régions.

Pour le RSA, les choses sont plus complexes et le manque de recul ne permet pas encore de discerner tous les effets. Mais l'étude soulève deux difficultés majeures, si les barèmes des aides sociales locales restent inchangés après la mise en place du RSA. D'une part, en augmentant les ressources du ménage (par rapport au RMI et à l'intéressement), le RSA peut éventuellement se traduire par une baisse des aides sous conditions de ressources. Or cette baisse des aides sociales locales touche en premier lieu les revenus d'activité les plus faibles. Selon les auteurs, "il y a donc des perdants dans la partie la plus pauvre de la population, ce qui est en contradiction avec l'objectif de lutte contre la pauvreté poursuivi par la réforme du RSA". D'autre part, il existe une seconde difficulté, d'ordre budgétaire. En effet, le point de sortie du RSA étant largement supérieur à celui du RMI (1,04 Smic pour une personne isolée), le nombre des aides versées sous condition de statut (attribuées automatiquement parce que l'on est bénéficiaire du RMI, puis du RSA) va augmenter de façon mécanique. L'étude estime que le nombre de ménages bénéficiaires de ces aides sociales locales sous condition de statut pourrait être multiplié par deux à quatre par rapport à la situation qui prévalait avec le RMI. Une telle hypothèse paraît difficilement tenable au regard de la situation budgétaire des collectivités, à commencer par les départements. Conclusion : une réforme des aides sociales locales s'impose.

Quatre scénarios pour une réforme

L'article passe en revue quatre scénarios possibles. Le premier est celui d'un maintien du montant individuel des aides sociales locales versées. Il suffirait pour cela de modifier les barèmes pour retrouver des montants identiques à ceux du RMI. Une telle hypothèse résoudrait le problème des situations individuelles (pas d'appauvrissement) mais ne réglerait évidemment pas la question budgétaire.

Le second scénario consiste à recentrer les barèmes sur des publics prioritaires, autrement dit à donner davantage à moins de bénéficiaires. Il s'agirait alors de tirer parti de l'amélioration apportée, en termes de gains du retour à l'emploi, par le RSA pour rationaliser les aides et les affecter aux personnes les plus en difficulté (mais tout en veillant qu'elles ne revêtent pas un aspect désincitatif, ce qui suppose - comme le préconise le rapport Desmarescaux - de remplacer la condition de statut par une condition de ressources, avec une pente dégressive suffisamment douce).

Le troisième scénario est exactement l'inverse, puisqu'il consiste au contraire à "étaler" les aides sociales locales en donnant moins, mais à un plus grand nombre de bénéficiaires (par exemple tous les allocataires du RSA). Cette hypothèse repose donc sur un maintien de la condition de statut.

Enfin, le quatrième scénario consiste à transformer les aides sous condition de statut en aides sous condition de ressources, tout en réformant leurs barèmes.

Si les auteurs ne se prononcent pas ouvertement sur ces choix sociaux et politiques, il ne cachent pas leur préférence pour la quatrième solution. La raison en est qu'elle est la plus cohérente avec les effets du RSA. Le modèle Equinoxe et les schémas accompagnant l'article montrent en effet que, dans une telle hypothèse, "il n'existe pas de zones de revenus d'activité pour lesquelles les revenus nets sont inférieurs au revenu disponible d'un ménage qui ne dispose d'aucun revenu d'activité". Il reste néanmoins - et les auteurs en sont bien conscients - qu'une telle réforme fera des gagnants et des perdants et que les élus devront donc accepter d'en assumer le coût politique.

 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

 

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