Pourquoi la baisse du chômage n’a pas entraîné le recul de la pauvreté entre 2015 et 2022 : l’analyse du CNLE
Pour répondre à cette question, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) s’est intéressé au type d’emplois créés et à la situation des personnes ayant retravaillé, mais aussi à celle des inactifs – dont les retraités – et des ménages les plus modestes. Et met l’accent sur la progression très forte du "sentiment de pauvreté" pendant cette période.

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"Pour quelles raisons la baisse importante du taux de chômage à partir de 2015 et jusqu’en 2022 n’a pas fait reculer la pauvreté ?" C’est la question que s’est posée le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) dans son "Panorama de l’évolution de la pauvreté et l’exclusion sociale" publié le 7 mai 2025.
"Alors que le taux de chômage a perdu 3 points entre 2015 et 2022, le taux de pauvreté monétaire (au seuil de 60% de la médiane des niveaux de vie) et le taux de privation matérielle et sociale sont restés à un niveau élevé", constate en effet le CNLE. Le taux de privation (voir notre encadré ci-dessous) est passé sur cette période de 12,1% à 13,1%, tandis que le taux de pauvreté monétaire a stagné (14,2% à 14,4%).
Retrouver un emploi : certaines personnes restent pauvres, d’autres ne l’étaient pas avant
Le CNLE identifie trois explications à ce décrochage. Tout d’abord, "de nombreux emplois créés n’ont pas entraîné une sortie de la pauvreté". Des actifs recrutés sur certains contrats (temporaires, à temps partiel notamment) ou exerçant sous le régime de la micro-entreprise "sont restés pauvres monétairement dans l’emploi", tandis que les apprentis de l’enseignement supérieur vivaient déjà souvent au-dessus du seuil de pauvreté avant d’être en emploi, analyse le Conseil national.
Deuxième explication mise en avant : la dégradation de la situation des inactifs, en particulier celle des retraités et des personnes inactives pour cause d’invalidité. Enfin, "le niveau de vie des ménages les plus modestes a moins progressé que le seuil de pauvreté monétaire" (à 60%), ce qui explique que des personnes soient passées en-dessous de ce seuil "sans que leur niveau de vie n’ait diminué".
À noter que le taux de pauvreté monétaire peut également être fixé à 50% du revenu médian, ce que privilégie en particulier l’Observatoire des inégalités (voir notre article). Au regard de ce seuil de 50%, 8% de la population étaient en situation de pauvreté en 2022.
Une forte hausse du "sentiment de pauvreté"
Sur la même période 2015-2022, "la part des personnes se considérant comme pauvres est passé de 12,4% à 18,7%", expose le CNLE. "Le sentiment de pauvreté s’étend à des couches de population bien au-delà de la pauvreté monétaire. Les remontées des acteurs de terrain convergent sur un diagnostic de montée des tensions et de l’agressivité du corps social en lien notamment avec la dématérialisation de l’accès aux droits et l’inadéquation des barèmes des aides aux besoins, y compris pour des personnes en emploi", commente Muriel Pucci, présidente du comité scientifique du CNLE.
Cette "pauvreté ressentie" a surtout gagné du terrain parmi les personnes seules et les familles monoparentales, les locataires (surtout du parc social), les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), les ouvriers, mais aussi, à partir de 2018, "parmi les agriculteurs, les personnes âgées, les jeunes de 18 à 24 ans et les familles nombreuses". Ces personnes ont, "plus que la moyenne, une perception dégradée de leur situation personnelle dans l’absolu et par comparaison à celle de leurs parents au même âge, mais aussi de leurs perspectives futures", analyse le CNLE. Cet indicateur renseigne donc également sur le niveau d’inquiétude pour l’avenir (crainte de perdre un emploi ou des revenus, de ne pas bénéficier d’aides suffisantes de proches ou des pouvoirs publics, etc.)
› Un taux de privation matérielle et sociale en légère baisse début 2024Une personne sur huit était en situation de privation matérielle et sociale début 2024, selon une étude de l’Insee publiée le 6 mai 2025. Dans l’enquête conduite par l’Institut, 13 éléments sont "considérés comme souhaitables, voire nécessaires, pour avoir un niveau de vie acceptable", parmi lesquels le fait de posséder deux paires de chaussures en bon état, pouvoir faire face à des dépenses imprévues à hauteur de 1.000 euros ou encore passer une semaine de vacances dans l’année hors de son domicile. Une personne est considérée comme "en situation de privation matérielle et sociale" si elle est contrainte de renoncer, pour raison financière, à au moins cinq de ces éléments. S’élevant à 12,7% début 2024, le taux de personnes en situation de privation a légèrement diminué en un an (13,1% en 2023) mais il demeure plus élevé que la moyenne des années 2013-2020 (12,1%). "Les privations de protéines et de chauffage sont bien plus fréquentes qu’il y a dix ans" (passage de 6 à 12% pour le chauffage notamment), selon l’Insee qui indique a contrario que "les privations de vacances sont en recul" (21% en 2024, contre 25% en 2014). Les 8,6 millions de personnes dites "en situation de privation matérielle et sociale" sont concernées par cinq ou six éléments de la liste (7% de la population française vivant en logement ordinaire, hors Mayotte) ou par au moins sept éléments (6%). La majorité de la population (55%) ne connaît aucune privation et un tiers (32%) est concerné par une à quatre privations. Les chômeurs, les familles monoparentales et les familles nombreuses, les personnes qui ne sont pas propriétaires de leur logement sont les plus susceptibles de devoir renoncer à ces éléments jugés "souhaitables, voire nécessaires". |