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Elus / Culture - Pourriez-vous être maire ?

A quoi ressemble la vie d'un maire ou d'un adjoint ? Quels sont les moteurs de l'engagement municipal ? Les satisfactions liées à l'exercice du mandat l'emportent-elles sur les contraintes ? Une société de production a suivi pendant plusieurs mois un maire et cinq adjoints de six communes très différentes. Le film documentaire qui en résulte, diffusé à partir du 4 avril prochain sur Public Sénat, invite à porter un regard bienveillant sur les élus locaux. Outil pédagogique ou hommage, la démarche, qui comprend aussi un web-documentaire et une revue, a en tout cas convaincu l'association des maires Ville et Banlieue de France.

"Argent, pouvoir, vie publique et vie privée : mais qui sont nos 524.000 élus [municipaux] ? Qu'est-ce qui pousse en particulier Sandrine, Fatiha, Françoise, Nicolas, Bamadi et Noël, fraîchement élus en mars 2014, à s'engager ?" Le 4 avril prochain, la société de production PWP invite chacun à plonger dans la vraie vie des élus municipaux, par le biais d'un documentaire transmédia - télévision, internet et édition.
Présents le 12 mars à la projection en avant-première du film au palais d'Iéna à Paris, les six protagonistes - un maire et cinq adjoints – ont expliqué pourquoi ils ont ainsi accepté d'être suivis, interrogés, observés et même filmés pendant plusieurs mois.
Bamadi Sanokho, maire-adjoint de Gentilly (Val-de-Marne), a l'espoir que ce documentaire "donne envie aux gens de s'engager là où ils sont". Un vœu que partage Sandrine Vincent ; maire de Chevaigné (Ille-et-Vilaine), elle a "dit oui pour montrer les coulisses", pour témoigner en toute simplicité de la manière dont elle s'est appropriée cette nouvelle mission. Maire-adjointe de Nancy (Meurthe-et-Moselle) et ancienne inspecteur général des sites de Lorraine, Françoise Hervé espère que son combat "contre la destruction de la ville" sera bien représenté dans le film. Quant à Noël Meyssonnier, devenu aux dernières élections le premier adjoint au maire de la petite commune de Fiac (Tarn), il se dit "un peu intimidé" ; "engagé depuis longtemps dans le milieu associatif", il essaye aujourd'hui en tant qu'élu "de faire le mieux possible, avec de petits moyens". Nicolas Koukas, maire-adjoint d'Arles (Bouches-du-Rhône) aux multiples délégations, aimerait que le documentaire donne à ceux qui le verront "une image différente" des élus ; pour lui, assumer cette fonction n'est "pas simple à vivre", il y a "des sacrifices, une responsabilité au quotidien".
"Tous différents, mais tous pareils", conclut Fatiha El Masaoudi, maire-adjointe de Poissy (Yvelines) ; on a tous "le même but : rendre service à notre population". "Soyez bienveillants", ajoute la jeune femme à l'attention du public, juste avant de découvrir son portrait en images.

Le métier d'élu, "tu te le découvres toi-même"

A se fier à leurs sourires à l'issue de la projection, les édiles étaient plutôt soulagés. Le film ne les a pas déçus. C'est au moins une bonne raison, pour tous les élus locaux de France, de ne pas manquer l'une des diffusions programmées par Public Sénat, partenaire du projet, le samedi 4 avril à 22 heures et le dimanche 5 avril à 18 heures. Avant, pourquoi pas, de se servir de ces productions – le film, mais aussi le web-documentaire et la revue "Ediles" qui sont également lancés le 4 avril – comme d'outils pédagogiques à destination du grand public.
Le réalisateur du documentaire porte en effet un regard volontairement novice sur le monde des élus locaux. Avec une interrogation comme point de départ : est-ce que je pourrais moi-même exercer cette fonction ? Les témoignages très personnels de Sandrine, Fatiha, Françoise, Nicolas, Bamadi et Noël permettront à chacun de se faire son idée. Et de découvrir, notamment, que le métier d'élu, "tu te le découvres toi-même", selon les termes de Nicolas Koukas. "Le maire s'occupe de tout, et plus la commune est petite, plus il faut mettre les mains dans la mécanique", constate le narrateur du film. Entre les six protagonistes du documentaire, le point commun, c'est d'abord la conscience de la responsabilité. Les habitants de Chevaigné, pour son maire, ce sont "comme [ses] enfants".

Plus médiateur que "décideur tout puissant"

Le corollaire de cette responsabilité, c'est l'investissement personnel pour mener à bien le mandat. Chacun des élus interrogés est confronté au même défi : parvenir à concilier le travail municipal, l'activité professionnelle – que les élus conservent par choix, mais souvent aussi par nécessité – et la vie privée. "Le planning est chargé", confirme Bamadi Sanokho qui s'astreint à bloquer deux soirées par semaine pour les passer avec sa famille.
Pour Nicolas Koukas, l'investissement requis n'est pas qu'une question de temps, il y a "des moments très lourds". Le maire-adjoint d'Arles est ainsi filmé alors qu'il est en train de recevoir des riverains d'un camp de roms, dont il écoute attentivement les "doléances"; la scène suivante, auprès des habitants du camp en question, il est, là encore, dans l'écoute et l'empathie. "On est la personne qui est montrée du doigt", pour l'élu, quand bien-même la commune n'a pas la capacité légale d'agir. L'élu municipal est "plus souvent en position d'intermédiaire que de décideur tout puissant", commente la voix-off.

"On découvre des émotions, on représente la République" 

En dépit des difficultés, l'exercice de la fonction d'élu municipal apporte de vraies satisfactions. C'est ce que montre aussi le film, à travers notamment l'enthousiasme de Fatiha El Masaoudi qui s'est donné pour défi de "faire de Poissy la ville la plus sportive des Yvelines". Quant à Sandrine Vincent, elle célèbre des mariages ou des cérémonies de commémoration avec plaisir, elle qui imaginait d'abord que ce serait une corvée ; "on découvre des émotions, on représente la République".
Le documentaire aborde ainsi de façon subtile la question des motivations, des gratifications diverses, de l'ambition et du rapport au pouvoir. Le montant des indemnités des élus de l'échantillon – entre 300 et 1.600 euros bruts par mois – n'est certainement pas une source de motivation. Plusieurs élus soulignent par ailleurs qu'on les considère un peu différemment depuis leur élection ; si Fatiha El Masaoudi admet que "ça [lui] rend la vie plus facile", Sandrine Vincent regrette parfois de ne pas pouvoir être aussi "spontanée" qu'avant. Quant à Françoise Hervé, sa motivation est claire : œuvrer pour "la beauté et le sens des choses" ; son mandat municipal est indissociable de sa passion pour la préservation du patrimoine culturel et naturel local.

"Moi ça me frustrerait énormément d'être une vraie politicienne"

Et la suite ? Leur mandat local a-t-il donné à ses élus l'envie de s'engager en politique d'une autre manière, au niveau national par exemple ? Fatiha El Masaoudi répond indirectement à cette question, alors que la ville de Poissy reçoit la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Cette dernière sourit, serre des mains, avance aisément au milieu d'un dispositif élaboré de sécurité… "Qu'est-ce qu'elle retire de ça? Moi ça me frustrerait énormément d'être une vraie politicienne", tranche l'élue locale.
C'est d'ailleurs la principale vertu de ce documentaire, celle de malmener les idées reçues. La majorité des élus municipaux n'appartiennent pas à un monde à part. Ils ne sont pas "tous pourris" – plus exactement, moins de deux élus locaux pour 1.000 ont été mis en cause entre 2008 et 2014 selon l'Observatoire Smacl des risques de la vie territoriale. Ils se reconnaissent davantage dans le territoire sur lequel ils ont été élus que dans une éventuelle étiquette politique. "La politique, ça reste dans le discours", pour Pascal Carcanade, réalisateur du film, "dès qu'on est dans le concret, ce sont [les] rapports de personnes [qui comptent]".

Donner une "image réelle" des élus locaux

Alors qu'une abstention massive risque de caractériser les élections départementales dont le deuxième tour aura lieu le 29 mars, on peut presque regretter qu'un tel documentaire ne soit diffusé qu'à partir du 4 avril. Difficile cependant de prévoir quelle audience sera réservée au film et quel impact ce dernier pourrait éventuellement avoir sur le taux de participations aux prochaines élections locales. Face au "désamour des Français vis-à-vis des institutions", il est en tout cas important de "donner cette image réelle" des maires et des élus locaux en général, pour Renaud Gauquelin, président d'honneur de l'association Ville et Banlieue de France, partenaire de la démarche. A l'issue de la projection, Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), espère "que l'optimisme local permettra de combattre le pessimisme national". Sauf à penser, comme Pascal Carcanade à l'issue de son projet, que le local et le national ne s'opposent pas : "un pays, une nation, un Etat… en mettant tout ça bout à bout, j'ai vu que ça existait". 

Caroline Megglé

Quand les maires parlent de leurs multiples métiers

Sous cette forme, la démarche "Vie de maire" est inédite. Mais, déjà en 2002, Mairie-conseils s'était prêté à l'exercice de décryptage de la vie quotidienne des maires et des ressorts de leur engagement dans un livre au titre évocateur - "Et devinez sur qui ça retombe ?". A partir d'entretiens réalisés avec des maires ou présidents d'intercommunalité et de l'analyse du contenu de près de 90.000 questions posées par des élus au service de renseignements téléphoniques de Mairie-conseils, cet ouvrage proposait en outre une analyse prospective du rôle des élus locaux, notamment dans le monde rural. Mairie-conseils citait ainsi les multiples casquettes du maire : "représentant", "officier", "assistante sociale", "patron", "décideur", "médiateur", "animateur", "organisateur", "gestionnaire", "développeur", "candidat"... Pierre Dagras, alors maire du Fréchou (Lot-et-Garonne), témoignait en ces termes de l'ampleur de la tâche : "Les élections ont lieu le dimanche ; le vendredi suivant vous êtes élu par le conseil municipal, et dans la nuit de vendredi à samedi, le Saint-Esprit est venu nous visiter, et vous savez tout. Le maire doit alors trancher sur des problèmes sur lesquels il n'a aucune idée ! (…) Mais avec le métier, on apprend à dédramatiser !"
C. Megglé

 

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