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Environnement - Projet de loi Biodiversité : les ambitions du texte revues à la baisse au Sénat

Alors que les sénateurs devaient achever le 12 mai l'examen en deuxième lecture en séance du projet de loi sur la biodiversité, la version du texte issue des travaux en commission a été amputée de plusieurs dipositions phares, notamment sur l'interdiction des néonicotinoïdes. L'inscription du préjudice écologique dans le code civil a aussi fait l'objet de nombreuses modifications.

Les sénateurs ont entamé le 10 mai l'examen en séance, en deuxième lecture, du projet de loi sur la biodiversité auquel ils ont déjà apporté de nombreuses retouches lors de l'examen au fond du texte par la commission du développement durable les 3 et 4 mai. Ils ont alors confirmé l'inscription du préjudice écologique dans le code civil (article 2 bis du texte), un régime que les députés ont voté en mars dernier par le biais d'amendements de gauche, dans le sillage de la jurisprudence née de la catastrophe due au naufrage du pétrolier Erika de Total en 1999 au large de la Bretagne.
Mais les sénateurs ont modifié l'article sur plusieurs points. Les députés avaient prévu que les actions en réparation seraient ouvertes notamment à l'Etat, à l'Agence française pour la biodiversité, aux collectivités territoriales ainsi qu'à "toute personne ayant qualité et intérêt à agir". Les sénateurs, sur initiative du rapporteur Jérôme Bignon (LR), ont supprimé cette dernière possibilité qui faisait peser "un risque d'éparpillement des actions en justice". Son amendement a toutefois allongé la liste des personnes habilitées à agir aux établissements publics, aux fondations reconnues d'utilité publique et aux associations qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement.
Dans un communiqué, l'ONG WWF France a déploré ce vote qui va "à la fois à l'encontre de l'article adopté à l'Assemblée nationale" mais aussi "de la Charte de l'environnement qui souligne que chacun 'a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement'", selon un communiqué. La restriction votée par les sénateurs "vise à prévenir des abus qui n'auront pas lieu car c'est le juge qui décidera du bien-fondé de l'action", a souligné le directeur général de WWF France Pascal Canfin, selon qui "les entreprises, les communautés indigènes ou encore les agriculteurs peuvent aussi être les gardiens de la nature".

 Dommages et intérêts

Une dizaine d'autres amendements ont été votés en commission à l'article 2 bis. A propos des grands principes du nouveau régime de réparation du préjudice écologique, ils ont remplacé la notion d'"atteinte" par celle de "dommage", par cohérence avec la terminologie utilisée en matière de responsabilité civile, et précisé que seuls les préjudices écologiques découlant d'atteintes anormales à l'environnement seraient réparables. Ils ont aussi voté deux amendements qui permettent de ne pas limiter le remboursement des mesures prises pour prévenir la réalisation d'un dommage à l'environnement aux dépenses engagées par le demandeur à l'action en réparation du préjudice écologique et précisé que ces dépenses doivent avoir été engagées "raisonnablement", pour éviter tout abus.
Ils ont en outre précisé le champ couvert par la réparation en nature, qui doit viser à supprimer, réduire ou compenser le dommage. Autres modifications, à l'initiative de la commission des lois et du rapporteur : les dispositions relatives au versement de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice écologique ont été précisées et simplifiées. Les hypothèses dans lesquelles le coût de la réparation serait "manifestement disproportionné au regard de l'intérêt qu'elle présente pour l'environnement" ont été ajoutées à la liste des cas dans lesquels la réparation en nature doit être écartée. Concernant les bénéficiaires de ces dommages et intérêts, la priorité donnée au demandeur a été conservée, conformément aux règles classiques de la responsabilité civile, sauf si le demandeur n'est pas en mesure d'affecter ces dommages et intérêts aux fins poursuivies. Dans un tel cas, ils seront alloués à l'Agence française pour la biodiversité et non pas à l'Etat ou à toute personne qu'il a désignée comme le prévoyait le texte de l'Assemblée nationale. Les sénateurs ont aussi proposé que le juge ait à tenir compte des mesures de réparation "intervenues" plutôt qu'"ordonnées". Ils ont aussi supprimé la précision selon laquelle "la réparation du préjudice écologique s'accompagne de mesures de suivi de l'efficacité des mesures de réparation sur une période déterminée", dans la mesure où le droit de l'exécution fournit d'ores et déjà selon eux "des outils performants permettant de suivre et de contrôler l'exécution des décisions de justice". Ils ont également prévu que l'astreinte ne pourrait être liquidée par le juge qu'au profit du demandeur ou de l'Agence française pour la biodiversité et ne pourrait être affectée qu'à des mesures de réparation de l'environnement. Ils ont également supprimé le dispositif d'articulation du nouveau régime de réparation des préjudices écologiques et du régime de police administrative, introduit à l'Assemblée nationale, en estimant que ces dispositions, qui relèvent de la compétence du pouvoir réglementaire, ne sont pas utiles "puisque le droit positif permet d'ores et déjà au juge de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge administratif s'il en va d'une bonne administration de la justice". D'autres amendements prévoient que, dans le cas où le demandeur s'abstiendrait, volontairement ou non, d'assurer la mise en oeuvre du jugement, l'Etat, l'Agence française pour la biodiversité ou les autres personnes morales compétentes peuvent agir à sa place. Ils ont également prévu une action en cessation de l'illicite pour la protection de l'environnement. Les sénateurs ont aussi réduit de trente à dix ans le délai de prescription applicable aux actions en réparation d'un préjudice écologique et supprimé le délai "butoir" prévu par le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale. Ils ont encore précisé que les nouvelles règles relatives à la réparation du préjudice écologique s'appliqueront aussi aux dommages nés de faits générateurs antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi, pour ne pas différer excessivement leur entrée en vigueur pratique. En revanche, afin de ne pas remettre en cause les actions déjà engagées et d'éviter, notamment, que certains demandeurs soient déclarés irrecevables à agir, ils excluent ces actions du bénéfice des nouvelles dispositions.

Questions de principes

Parmi les autres changements introduits dans le texte et intéressant les collectivités, on notera aussi à l'article 1er, qui définit la biodiversité, la suppression de la notion de paysages "diurnes et nocturnes" pour ne pas "alourdir les principes généraux du droit de l'environnement". Plusieurs amendements portés par des sénateurs LR ont aussi supprimé l'alinéa de l'article 2 consacrant le principe de non-régression du droit de l'environnement voulu par les députés. Plusieurs amendements LR ont aussi supprimé l'alinéa de l'article 2 selon lequel le principe de compensation "doit viser un objectif d'absence de perte nette, voire tendre vers un gain de biodiversité". Un amendement du rapporteur Jérôme Bignon a précisé en outre que le principe d'action préventive ne concerne que les "atteintes significatives" à la biodiversité et un autre amendement de Sophie Primas (LR, Yvelines) restreint le champ du principe de solidarité écologique. Il s'agit désormais de "prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l'environnement des territoires directement concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés", alors que la version de l'Assemblée nationale incluait les territoires "indirectement concernés".
A l'article 7, qui porte sur la transformation des comités régionaux "trames verte et bleue" en comités régionaux de la biodiversité, un amendement écologiste est venu préciser que le comité régional de la biodiversité est associé au suivi de la stratégie régionale pour la biodiversité et pas seulement à son élaboration. Les sénateurs ont aussi supprimé l'article 7 ter A qui prévoyait que le gouvernement remette au Parlement un rapport dans un délai de douze mois sur l'opportunité de transférer aux régions la compétence départementale "espaces naturels sensibles". Une option qui n'avait pas été retenue lors des débats sur la loi Notr.
A l'article 9, les sénateurs ont voulu conférer à la future Agence française pour la biodiversité (AFB) "l'évaluation des dommages agricoles et forestiers causés par les espèces animales protégées". Un autre amendement LR a précisé que les missions de police administrative et de police judiciaire relatives à l'eau et de l'environnement qu'exerce l'AFB en liaison avec les établissements publics compétents dans le cadre d'unités de travail communes sont "placées sous l'autorité d'un directeur de la police désigné conjointement par les directeurs des établissements concernés". Ces unités de travail communes concerneront l'AFB, qui récupérera les missions de police de l'eau de l'Onema, et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui conservera les missions de police de la faune sauvage.

Parcs, espaces, zones...

Le rapporteur a réécrit une partie de l'article 17 quinquies consacré à la gouvernance de l'eau. "Afin de prévenir les conflits d'intérêts, l'exercice de la fonction de membre du conseil d'administration d'une agence de l'eau est soumis à des règles de déontologie. Les membres du conseil d'administration de l'agence de l'eau souscrivent une déclaration publique d'intérêts", dispose désormais l'article L213-8-4 du code de l'environnement.
Les sénateurs ont par ailleurs supprimé l'article 29 qui visait à renforcer l'encadrement des règlements locaux de publicité dans le périmètre des parcs naturels régionaux. Un amendement de Jérôme Bignon a aussi prévu d'élargir le champ des compétences possibles des établissements publics de coopération environnementale (EPCE), une nouvelle catégorie d'établissements publics dont la création est prévue à l'article 32. Ils pourront non seulement mettre en place des actions de "restauration des milieux naturels" mais aussi des actions "visant à préserver la biodiversité". L'amendement vise par ailleurs à autoriser les établissements publics locaux à constituer un EPCE et à participer à son conseil d'administration. Ces dispositions permettront aux offices de l'eau des départements d'outre-mer d'être membres d'EPCE.
Un autre amendement du rapporteur a rétabli l'article 32 bis BA prévoyant une incorporation au domaine public des terrains acquis au titre des espaces naturels sensibles, qui avait été inséré en première lecture en séance au Sénat mais supprimé par l'Assemblée. Toutefois, dans la nouvelle version du texte, l'incorporation au domaine public n'est pas systématique mais décidée au cas par cas par l'organe délibérant de la personne publique propriétaire. Elle peut porter sur tout ou partie des terrains acquis et elle est exclue pour les terrains relevant du régime forestier, afin de ne pas remettre en cause l'application de ce régime.
Comme en première lecture, la commission a supprimé l'article 34 créant des zones prioritaires pour la biodiversité, qui avaient notamment pour but de préserver le grand hamster d'Alsace.
Les sénateurs ont par contre rétabli l'article 51 undecies visant à privilégier des mesures d'aménagement des obstacles (par exemple les moulins) à la continuité écologique plutôt que leur effacement. L'Assemblée nationale l'avait supprimé, la rapporteure Geneviève Gaillard jugeant que "son application enverrait un signal négatif qui conduirait à freiner le travail difficile de restauration des continuités écologiques".

Défrichement

A la demande de plusieurs sénateurs LR la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a refusé l'interdiction des néonicotinoïdes au 1er septembre 2018 votée par l'Assemblée nationale. Elle préfère qu'un arrêté du ministre chargé de l'agriculture soit pris dans les trois mois après la promulgation de la loi sur la biodiversité déterminant "les conditions d'utilisation des produits contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes afin de tenir compte de l'avis du 7 janvier 2016 de l'Anses et des conséquences sur la production agricole au regard des alternatives de protection des cultures disponibles".
A l'article 59 bis AB qui prévoit des mesures destinées à prévenir l'introduction et la propagation d'espèces exotiques envahissantes, les sénateurs ont supprimé l'interdiction de poser de nouveaux poteaux téléphoniques et poteaux de filets paravalanches et anti-éboulement creux et non bouchés à compter du 1er janvier 2017 et l'obligation de boucher, avant le 31 décembre 2018, les poteaux creux non bouchés installés avant cette date. "Le Sénat a en effet écarté cette mesure en première lecture dans la mesure où elle relève clairement du domaine réglementaire. En outre, le coût de cette nouvelle norme, qui n'a fait l'objet d'aucune évaluation, pourrait être très élevé pour les collectivités", a justifié le rapporteur.
Enfin, à l'article 68 sexies, qui avait été inséré en séance publique en première lecture à l'Assemblée nationale pour faciliter les opérations de déboisement favorables au patrimoine naturel et moduler les obligations de compensation en cas de défrichement, les sénateurs ont adopté deux modifications. "À compter du 1er janvier 2017, l'Etat compense intégralement les pertes de recettes résultant pour les communes et les établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties accordée en application de l'article 1395 E du code général des impôts, lorsque le montant de l'exonération est supérieur à 10 % du budget annuel de fonctionnement de la collectivité", ont-ils prévu. Un autre amendement introduit un régime dérogatoire pour les jeunes agriculteurs, installés depuis moins de cinq ans, en leur permettant de ne pas s'acquitter de l'indemnité de défrichement qui peut atteindre plusieurs milliers d'euros et de "leur permettre de se constituer une assise foncière suffisante".
Localtis reviendra dans sa prochaine édition sur les amendements votés en séance les 10, 11 et 12 mai.

 

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