Projets environnementaux des collectivités : un financement "à repenser", alertent des sénateurs

Dans un rapport présenté ce 4 juillet, des sénateurs de la commission des finances ont passé au peigne fin les dotations de l'État aux collectivités territoriales, y voyant "un verdissement en demi-teinte". Ils appellent donc à "repenser" le financement de leur transition écologique. Essentiellement orienté vers la rénovation thermique, celui-ci doit aussi se diversifier pour répondre à l’ensemble des enjeux environnementaux.

"Si les dotations budgétaires sont un outil indispensable à la transition écologique des collectivités, elles ne peuvent être un outil unique pour répondre à l’ensemble des besoins d’investissement et des enjeux environnementaux", estiment les sénateurs Charles Guené (LR-Haute-Marne) et Claude Raynal (SER-Haute-Garonne) qui ont remis ce 4 juillet les conclusions de leur contrôle budgétaire relatif au verdissement des dotations d’investissement aux collectivités territoriales.

Comme leurs collègues Hervé Maurey et Stéphane Sautarel qui ont alerté sur les besoins de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), confrontées dans les prochaines années à un "mur de dépenses" (voir notre article), ils font eux aussi état d'un "mur d'investissement" qui attend les collectivités territoriales. Il y a fort à parier selon eux que les montants d'investissements s'établissent bien au-delà des 12 milliards d’euros annuels estimés par l’Institut I4CE, dont l'analyse portait sur les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone (voir notre article). "Même si de nombreuses actions ont déjà été entreprises, les investissements à venir devront (…) porter sur le bâti scolaire, les bâtiments administratifs, les locaux à usage de service public (gymnases, bibliothèques, piscines…), l’éclairage public et les systèmes de réseaux (eaux, chauffages, traitements des déchets…), les transports publics (développement des voies de mobilités douces, électrification des transports en commun…) ou encore sur la renaturalisation des zones urbaines", détaillent les sénateurs.

Mieux connaître les montants des dotations d'investissement alloués à des projets "verts"

Pour accompagner les collectivités dans leur transition écologique, le gouvernement a jusqu'à présent renforcé les dotations d’investissement qui leur sont allouées, en encourageant l’emploi des dotations classiques d’investissements pour des projets environnementaux et en créant de nouvelles dotations spécifiquement dédiées aux à ce type de projets, constatent les rapporteurs. Concernant les premières, en 2021, la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) a permis de financer 3.524 projets environnementaux pour un montant total de 156 millions d’euros tandis que la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) a permis de financer 918 projets environnementaux pour un montant total de 89 millions d’euros. "Cependant, en l’état actuel de présentation et de classification des données et des priorités des dotations, ce chiffrage est peu fiable et il est impossible de connaitre la part de la DSIL (y compris DSIL exceptionnelle) et de la DETR concourant réellement au financement de projets 'environnementaux'", mettent en garde les rapporteurs qui recommandent d'abord de se doter d’"outils de suivi plus précis permettant une meilleure analyse et connaissance des montants des dotations classiques d’investissement alloués à des projets totalement ou partiellement dédiés à la transition écologique".

À partir de 2020, d’autres dotations ont été créées, avec des objectifs uniquement axés sur les enjeux environnementaux, rappellent-ils : la dotation de rénovation thermique (DRT) d’un milliard d’euros, la dotation régionale d’investissement (DRI) de 600 millions d’euros, orientée sur les projets en faveur de la rénovation thermique des bâtiments publics et des mobilités du quotidien, et enfin, le fonds vert de deux milliards d’euros. Mais ni la DRT ni la DRI n’ont vocation à être pérennisées, soulignent-ils. Quant au fonds vert, en dépit des annonces faites récemment sur sa prolongation, "la durée et les montants au-delà de 2023 n’ont pas encore été arbitrés", insistent les sénateurs. La seule dotation pérenne est la dotation de biodiversité, rappellent-ils. Créée en 2019 pour soutenir la production d’aménités rurales par les collectivités territoriales, elle a été plusieurs fois étendue depuis.

"Maquis complexe" de financements

En sus des dotations d’investissement en provenance de l’État, les collectivités peuvent percevoir d’autres aides nationales en provenance de plusieurs opérateurs de l’État - agence nationale de rénovation urbaine (Anru), Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), Ademe … - mais également des aides européennes. "Ce maquis contribue largement à la complexité du système de financement de la transition écologique auquel se heurtent les collectivités, notamment les plus petites", pointent les sénateurs qui regrettent que l’accès même à ces dotations "demeure également trop complexe à plusieurs titres". Calendriers de demande de subventions non concordants, fiches techniques à remplir parfois jugées "ésotériques" par les élus locaux, critères d’éligibilité trop nombreux et peu transparents, faible consultation des élus sur les modalités d’attribution, ont pu représenter selon eux des "obstacles" aux investissements en faveur de la transition écologique. Les sénateurs proposent donc d'"établir une liste unique des pièces justificatives à l’appui des demandes de dotations d’investissement afin de faciliter la constitution des dossiers par les collectivités et leur transfert vers d’autres dotations".

Besoin d'une visibilité pluriannuelle

"Si les dotations budgétaires sont un outil indispensable à la transition écologique des collectivités, elles ne peuvent être un outil unique pour répondre à l’ensemble des besoins d’investissement et aux enjeux environnementaux, estiment les rapporteurs. Dès lors, c’est l’ensemble du financement de la transition écologique des collectivités qui doit être repensé avec pour priorité une visibilité pluriannuelle, puisque ces investissements lourds ne peuvent s’inscrire que dans une temporalité longue allant souvent au-delà de la durée d’un mandat local." Or, jusqu'à présent, les niveaux des dotations d’investissement sont fixés annuellement en loi de finances sans certitude pour les années postérieures à N+1. "Une absence de prévisibilité des financements" qui apparaît comme un obstacle au lancement de certains investissements, soulignent les sénateurs.

Selon eux, il est donc nécessaire d'une part de "prévoir une programmation pluriannuelle des investissements locaux et de leur financement, notamment via les contrats de relance et de transition écologique (CRTE)", d’autre part de "pouvoir envisager l’endettement des collectivités sous un nouveau prisme" – en isolant dans les ratios d’endettement la part de la dette permettant de financer des investissements en faveur de la transition écologique, suggèrent-ils - et enfin, de "mener une réflexion d’ensemble sur les outils favorisant le financement de la transition écologique". "À cet égard, une réforme du FCTVA ou de la DGF peut être envisagée de même que des modifications concernant les modalités d’amortissement ou la fiscalité locale", poursuivent-ils.

Alors que certaines collectivités ont déjà développé des budgets verts, les sénateurs recommandent de "mettre en place une consultation des élus locaux afin de développer un document unique et formalisé permettant de classer les dépenses d’investissement des collectivités comme neutres, favorables, mixtes ou défavorables à l’environnement". "Ce document pourrait ensuite être utilisé de manière facultative par les collectivités puis de façon échelonnée de manière obligatoire et, dans un second temps être étendu aux dépenses de fonctionnement", avancent-ils. "Une consultation générale des élus locaux et des administrations" devrait aussi être menée "sur le financement de la transition écologique des collectivités englobant l’ensemble des aspects budgétaires, comptables et fiscaux", proposent-ils.

"Diversifier le verdissement"

Pour les rapporteurs, "l'accompagnement de l'État ne peut se limiter au seul aspect budgétaire" et "des freins doivent être levés pour réussir pleinement la transition écologique des collectivités". Ils appellent ainsi à "diversifier le verdissement" pour répondre à l'ensemble des enjeux. "Sur les 402,5 millions d’euros alloués à des projets environnementaux en 2021, l’analyse des libellés des projets tend à démontrer que la rénovation énergétique des bâtiments est majoritaire dans les projets financés, relèvent-ils. La structure actuelle du suivi de l’exécution des dotations montre donc actuellement un biais en faveur de la rénovation thermique qu’il conviendrait de corriger dans les années à venir". D'autant que "les besoins d’investissements sont également nombreux dans d’autres domaines comme le traitement des déchets et eaux usées, la revégétalisation et reforestation, la protection de la faune et de la flore ou encore le développement des énergies renouvelables", soulignent-ils.

La dotation de biodiversité et le fonds vert permettent selon eux "de sortir quelque peu du prisme de l’investissement environnemental sous le seul angle de la rénovation thermique" mais "présentent des écueils". Ils jugent ainsi "nécessaire de continuer la montée en puissance" de la dotation de biodiversité "pour la porter à un montant à la hauteur des enjeux notamment en élargissant le périmètre des villes éligibles dans la mesure où, en 2023, seules 6.300 communes peuvent en bénéficier".

Les rapporteurs spéciaux appellent aussi à la "vigilance" concernant l’exécution des crédits du fonds vert car "selon le principe de fongibilité" de ces derniers, des "redéploiements entre mesures et entre axes pourront être effectués". "Il en résulte que si cette fongibilité est une garantie pour une consommation intégrale et rapide des crédits, elle fait courir le risque, déjà identifié pour les dotations classiques, d’un financement essentiellement orienté vers la rénovation thermique bâtimentaire ce que semble d’ailleurs déjà démontrer l’analyse des premiers dossiers déposés", remarquent les sénateurs. Ils recommandent donc de modifier la circulaire du 14 décembre 2022 afin que chacun des trois axes d’intervention - rénovation énergétique, adaptation au changement climatique, amélioration du cadre de vie par le développement de mobilités moins polluantes ou l’accompagnement de la stratégie nationale biodiversité 2030 - représente, en exécution, au moins 20% des crédits du fonds vert et que chaque mesure fasse l’objet d’au moins cinq projets.

Mesurer l'impact des investissements réalisés

Ils alertent aussi sur la "connaissance encore parcellaire" qu'ont les collectivités de leur patrimoine immobilier. Ils estiment en outre que des mesures a posteriori de l’impact des investissements réalisés doivent être mises en place car il n’est selon eux "pas souhaitable d’engager plusieurs milliards d’euros de fonds publics sans pouvoir en mesurer l’efficacité". Pour les dotations classiques d’investissement, les sénateurs veulent donc rendre obligatoire, à l’appui de la demande de subvention, les pièces justificatives relatives à l’impact environnemental du projet quand ce dernier est fléché sur une priorité "environnement / transition écologique" et "mettre en place des contrôles a posteriori, sous forme d’échantillons, afin de mesurer l’impact réel des investissements réalisés à partir des dotations d’investissement finançant des projets de transition écologique".