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Publicité sur les trottoirs : un décret jette un pavé dans la mare

Le décret portant expérimentation de marquages publicitaires sur les trottoirs de Bordeaux, Nantes et Lyon pour une durée de 18 mois a fait partie des surprises déposées sous le sapin par le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb. L'association Paysages de France, spécialiste des abus de la publicité extérieure, n'a pas manqué de livrer sa réaction dans un communiqué du 2 janvier, évoquant un décret "tellement étonnant par son contenu, son mode d'élaboration (…) et mal préparé qu'on a pu le croire tombé par hasard de la hotte d'un Père Noël" .
Depuis sa parution, le décret, qui ouvre la voie à une pratique expressément interdite par les codes de la route et de l'environnement, suscite la controverse dans les agglomérations concernées. Nantes et Bordeaux ont d'ores et déjà décliné cette invitation qui aurait fait les choux gras de la société lyonnaise Biodegr'AD à qui l'on doit ce concept de marquage au sol éphémère réalisé uniquement par projection d'eau à travers un pochoir. Et pour cause la surprise est totale : "Ni la société Biodégr'AD, à l'origine de l'idée, ni les maires des communes concernées n'étaient dans la confidence", s'étonne Paysages de France, qui savait "que ce texte était dans les tuyaux". "Nous savions également que le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, rechignait à le signer. Son nom apparait pourtant bien aux côtés de ceux des ministres de l'Intérieur (…), de la Justice, de l'Economie et des Finances, ainsi que du Premier d'entre eux, Edouard Philippe", relève l'association. 

Contradiction avec le règlement local de publicité

Ces marquages au pochoir - réalisés par projection ou application d'eau ou de peinture biodégradable - ne pourront pas rester plus de dix jours ni excéder 2,50 m2 et devront être espacés d'au moins 80 mètres, précise le décret. D'ici six mois l'expérimentation devra faire l'objet d'une évaluation réalisée par le président du conseil de la métropole de Lyon et par les maires de Bordeaux et de Nantes. Ce sont ces mêmes autorités qui doivent théoriquement donner leur feu vert à cette expérience sur leur territoire. Or, la ville de Nantes, qui "souhaite s'en tenir aux codes de la route et de l'environnement", a indiqué dans un communiqué qu'elle "refusera toute demande de marquage au sol". "Il s'agit d'une pollution visuelle inutile, qui nuirait à la sécurité et la cohérence des messages transmis par la signalétique routière, la signalétique touristique et des liaisons douces, ou les indications pour repérer les transports en commun", estime la municipalité. Cette pratique viendrait par ailleurs en contradiction avec la volonté de Nantes de valoriser les atouts patrimoniaux et environnementaux de son centre-ville. En atteste son marché du mobilier urbain qui prévoit justement "une réduction de la densité des panneaux sur l'espace public : -12 % pour les 2 m2, -14 % pour les 8 m2".  
Confirmant n'avoir "à aucun moment" été consultée ou informée en amont de cette décision, la ville de Bordeaux demeure pour sa part "dans l'attente de précisions quant à l'utilité d'une telle décision et des conditions de son application". La municipalité a régulièrement opposé un refus à des demandes de ce type émanant d'annonceurs ou de commerçants en s'appuyant sur son règlement local de publicité (RLP). La parution de ce décret intervient d'ailleurs deux jours après l'adoption par Bordeaux métropole de son RLP intercommunal (RLPi), "qui tient précisément compte des dérives des nouveaux procédés et nouvelles technologies en matière de publicité et vise à mettre fin à ce type de publicités", relève la sénatrice de Gironde, Nathalie Delattre. Indignée par l'absence de concertation, la conseillère municipale de Bordeaux, a annoncé avoir saisi le ministre de l'Intérieur d'une question écrite, l'invitant à "motiver les intentions du gouvernement et la finalité du décret". 

Lyon y réfléchit

Beaucoup moins réticente, la métropole de Lyon, ancien fief de l'actuel ministre de l'Intérieur, a indiqué que ses services "sont en train d'étudier les meilleurs lieux d'expérimentation" pour les publicités éphémères. "Ils seront rendus publics en début d'année, tout comme les prestataires choisis", a t-elle précisé. Or, la Métropole de Lyon "vient de s'engager, le 15 décembre dernier, dans l'élaboration d'un règlement de publicité censé limiter l'impact de la publicité extérieure", remarque Paysages de France. "Quels qu'ils soient, les résultats pour la ville de Lyon, pas vraiment impartiale sur la question, ne pourront être représentatifs d'une tendance nationale", épingle-t-elle.
Dans tous les cas, deux des trois villes tests ne participeront pas à cette expérience, se félicite l'association vent debout contre cette expérimentation "vouée à l'échec". D'autant que le décret donne, selon elle, des modalités d'évaluation "bien peu précises". "Qui la mènera et avec quelle transparence ? Quelle forme prendra par exemple la consultation des riverains, et quel poids aura-t-elle dans la décision finale ? Qui décidera en dernier lieu de l'opportunité de poursuivre ou non dans cette voie ? Nous pouvons dès maintenant l'affirmer : cette évaluation n'aura aucune valeur." 

Référence : décret n° 2017-1743 du 22 décembre 2017 portant expérimentation de marquages sur les trottoirs à des fins publicitaires, JO du 24 décembre 2017, texte n° 5 .

 

 

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