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Quatrième phase des pôles de compétitivité : vers un transfert de l'animation aux régions ?

Cinquante-six pôles de compétitivité ont été labellisés dans le cadre de la quatrième phase de cette politique qui s'étendra de 2019 à 2022. Désengagement de l'Etat, financement au résultat et meilleure ouverture sur l'Europe devraient guider cette phase qui laisse planer une grande inconnue : la question du transfert de l'animation des pôles aux régions. Le sujet n'est plus tabou, depuis que Bruno Le Maire l'a abordé lors d'une réunion avec les présidents de région en janvier 2019. Mais les pôles y sont hostiles.

Cinquante-six pôles de compétitivité ont été labellisés pour la quatrième phase qui va s'étendre de 2019 à 2022. Le Premier ministre a dévoilé la liste dans un communiqué publié le 5 février. Elle est issue d'un appel à candidatures lancé avec les conseils régionaux en juillet 2018. "Un travail commun", se félicite Régions de France, les dossiers ayant été sélectionnés par un comité réunissant l'État et les régions. "Pour la première fois, l'État et les régions ont travaillé ensemble sur cette labellisation, ce qui n'était pas le cas avant", souligne pour sa part Jean-Luc Beylat, président de l'Association française des pôles de compétitivité (AFPC) et du pôle Systematic. 48 des pôles retenus sont labellisés pour une durée de quatre ans, et les huit autres pour une durée d'un an, prolongeable à quatre ans sous conditions.
Lancée en 2004 sous le gouvernement de Dominique de Villepin, la politique des pôles de compétitivité a évolué au fur et à mesure de différentes phases et évaluations. Les pôles sont ainsi passés de 71 à 66, avant cette quatrième phase qui n'en retient donc que 56. Depuis l'origine, 1.836 projets collaboratifs ont été retenus pour un montant total de financements de 7,6 milliards d'euros, dont 1,8 de l'État via le fonds unique interministériel (FUI), 1,2 milliard d'euros des régions et 4,6 milliards d'investisseurs privés. 

Des projets aux produits

Ces évolutions ont amené les pôles à se regrouper, voire à fusionner, mais aussi et surtout à passer d'une logique d'"usine à projets" à une logique d'"usine à produits", qui doit permettre de mettre sur le marché des produits issus de la recherche et du développement, de les commercialiser et de les diffuser (véhicules électriques, objets connectés, robotique, matériel médical…). "Les missions des pôles ont évolué au fil du temps, signale à Localtis Guillaume Facchi, coordinateur des programmes stratégiques au pôle BioValley France, anciennement AlsaceBiovalley (le pôle venant de s'étendre à la région Grand Est). Le principe initial était de faire émerger des projets collaboratifs innovants, on nous demandait d'être une usine à projets mais après coup on s'est dit que c'était mieux si les projets pouvaient apporter des produits sur le marché. Nous travaillons dans ce sens, avec davantage de conseil et d'accompagnement pour les porteurs de projets." Le gouvernement souhaite aussi que cette quatrième phase offre une meilleure ouverture européenne aux pôles, dans la recherche de crédits mais aussi dans la coopération avec des entreprises et des organismes européens et une meilleure visibilité du label "Pôle de compétitivité" via des regroupements.

La piste des fonds européens

Côté financement, cette quatrième phase acte le désengagement progressif de l'État et un financement en fonction des performances des pôles : la dotation de l'État consacrée au fonctionnement des pôles va ainsi passer de 18 à 9 millions d'euros d'ici à 2022. Pour la recherche, "les projets bénéficiaient de 250 millions d'euros par an et maintenant d'une petite cinquantaine de millions d'euros, mais ce n'est pas nouveau, c'était déjà le cas en 2017", détaille Régions de France. "Les règles du jeu étaient connues, avec des discussions dans ce sens dès 2016", insiste Jean-Luc Beylat, qui précise toutefois que ce montant de 50 millions d'euros, issu du FUI, devrait être complété par 125 millions d'euros des PSPC (projets de R&D structurants pour la compétitivité) du programme d'investissements d'avenir, qui seront désormais fléchés en intégralité vers les projets des pôles. Ce qui ferait donc un total de 175 millions d'euros. "Nous savions déjà que l'État allait progressivement se retirer et qu'il faut faire évoluer notre modèle économique pour créer des ressources nouvelles, explique à Localtis Sylvain Boucher, président d'Aqua-Valley. Ce seront difficilement des ressources supplémentaires de la part des collectivités, mais des services additionnels et surtout la mobilisation de fonds européens." Le pôle de compétitivité de la filière de l'eau vient d'être labellisé. Il est issu de la coordination des trois pôles existants, Aqua-Valley, Dream eau et milieux et Hydreos qui interviennent sur plusieurs régions (Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Centre-Val de Loire et Grand Est). Pour Xavier Roy, directeur général de France Clusters, qui accompagne clusters, pôles de compétitivité et outils d'accélération des PME, l'Europe ne peut toutefois pas se substituer à l'argent public national. "Cela coûte cher d'aller chercher des fonds européens, et de les gérer", insiste-t-il.

Un financement différencié 

Du côté de BioValley France, la réduction des fonds de l'État devrait être compensée par les ressources apportées par la région et par les recettes privées. "Notre financeur principal était l'État ; c'est maintenant la région, explique Guillaume Facchi. Et le modèle de financement des pôles est lié à leurs résultats, ce qui est plutôt vertueux. Mais dans notre cas, les projets mettent du temps à se développer, et nous n'avons pas le potentiel pour en développer un grand nombre chaque année contrairement à d'autres pôles." Guillaume Facchi imagine toutefois la possibilité d'un financement différencié, avec des ressources publiques quand les projets ont un intérêt général, et des ressources privées quand il s'agit de développer une technologie d'entreprise, à portée davantage commerciale.

Le transfert de l'animation des pôles aux régions à nouveau sur la table

Mais cette quatrième phase sera-t-elle celle du transfert de l'animation des pôles aux régions ? Elles pourraient en effet récupérer les dotations de fonctionnement des pôles. Le sujet avait été évoqué en 2016 à l'issue d'une évaluation, l'ancien gouvernement entendait conserver dans son giron les pôles à vocation mondiale et déléguer les autres aux régions. L'idée, finalement abandonnée semble resurgir. Lors d'une discussion avec les présidents de région en janvier 2019, Bruno Le Maire a indiqué que le transfert de la gouvernance des pôles n'était pas un sujet tabou. "Les régions se réjouissent de pouvoir entamer un dialogue plus ouvert avec le gouvernement sur bon nombre de champs y compris sur les pôles de compétitivité, indique-t-on à Régions de France. Elles n'ont pas une volonté d'hégémonie mais souhaitent pouvoir exercer leur compétence économique de la meilleure façon." Une compétence de développement économique confortée dans le cadre de la loi du 7 août 2015 pour une nouvelle organisation territoriale de la République (Notr). Les pôles de compétitivité sont quant à eux plus que réservés sur cette idée de transfert, voire carrément opposés. "Ce n'est pas une bonne idée, assure ainsi Jean-Luc Beylat. La gouvernance des pôles, et leur réussite, reposent sur un partage du pouvoir entre l'État, les régions et les entreprises, qui participent à hauteur de 50% aux frais de fonctionnement ; nous ne sommes pas des agences de développement économique, au service des régions, mais des animateurs d'écosystèmes, ce n'est pas le même métier. Avoir un seul financeur public, la région, changerait l'objet des pôles." Même son de cloche du côté des pôles BioValley France et Aqua-Valley. "Ce serait dommage que ce soit entièrement donné aux régions, car si la proximité des pôles avec les acteurs locaux en région est cruciale, il faut une coordination au niveau national pour avoir une cohérence d'ensemble et éviter les concurrences entre les pôles et entre les territoires", souligne ainsi Guillaume Facchi, tandis que Sylvain Boucher met en avant le travail collaboratif, entre l'État, les régions et les pôles, déjà plus qu'entamé. 

"Si l'État se retire, nous perdons un partenaire, une vision, une expertise"

"Si l'État se retire, nous perdons un partenaire mais aussi une vision et une expertise, signale-t-il, notamment sur l'aspect réglementaire, les attentes des différents pays… L'État a des atouts qu'il serait dommage de perdre. C'est à la fois l'ancrage territorial qui permet à une entreprise de se développer et en même temps c'est sa capacité à aller voir plus loin, dans d'autres régions, voire d'autres pays que la France, démarche pour laquelle l'État peut être un bon vecteur." Et, Xavier Roy, plus inquiet des mouvements de fond qu'amorce la quatrième phase d'ajouter que "cette coopération tripartite fait école dans d'autres pays" : "Nous sommes sollicités par d'autres pays qui sont fascinés par la capacité des pôles de mettre autour de la table État, territoires, et entreprises. Mais dans ce contexte de raréfaction de l'argent public, comment maintenir cet esprit spécifique et ne pas dénaturer les pôles ?"
Pour Régions de France, dans le cas d'un transfert de l'animation, il n'y aurait pas de perte en ligne, puisque les régions sont déjà associées aux réflexions autour des filières à forte potentialité au plan national. "Lorsqu'il s'agit d'animation, les acteurs sont peu enclins à voir arriver les régions, fait valoir un expert de Régions de France, alors que quand il y a des restructurations, comme dans le secteur automobile, l'accompagnement régional est tout à coup vu d'un bon œil !"