Quels montages pour les foncières de redynamisation ?

Créer une filiale ? Élargir le périmètre de sa SEM ? Créer une SEM de toutes pièces ? Alors que le programme "100 foncières de redynamisation" monte en puissance, la question se pose du choix du montage juridique, sachant que ces opérations de remise sur le marché de locaux commerciaux sont compliquées. Le quatrième atelier du réseau national des foncières de redynamisation a permis de passer en revue les différentes solutions possibles, en soulignant un impératif : la forte volonté des élus.

Après plusieurs mois de rodage des "100 foncières de redynamisation" - programme lancé dans le cadre du plan de relance pour réhabiliter 6.000 cellules commerciales et équipements de proximité -, il est désormais temps de regarder sous le capot. C’était le but du quatrième atelier du réseau national des foncières de redynamisation des centres-villes, organisé par le Hub des Territoires (Banque des Territoires) en partenariat avec la Fédération nationale des entreprises publiques locales, mardi 12 avril 2022. On savait déjà, depuis le précédent atelier (voir notre article du 14 février 2022), qu’il n’y avait pas d’échelle plus pertinente que d’autres, que tout dépendait des acteurs locaux. C’est ce que redit Guillaume Dieuset, le directeur général de la SEM Breizh qui rayonne en Bretagne. "Il n’y a pas de concurrence d’échelles", martèle-t-il. "Notre outil est tout à fait complémentaire à tout ce qui peut émerger sur le terrain", poursuit-il, expliquant par exemple que Brest réfléchit à créer sa propre foncière commerciale. "Est-ce que c’est le bon périmètre d’intervention ? Je ne sais pas. Nos successeurs le diront dans cinq, dix ou quinze ans", abonde Isabelle Carron, directrice générale déléguée de Cenovia qui, au Mans, vient de se doter d’une des toutes dernières foncières de revitalisation à l’échelle de la métropole.

Pour les élus, il s’agit plus à présent de voir quelles formules privilégier : une SEM qui développe des actions de foncière au sein de son périmètre, une filiale de SEM (comme l’ont fait la Semaest en Île-de-France ou Cenovia au Mans…) ou une SEM créée de toute pièce (comme Nancy Defi) ? Eh bien, là encore, il n’y a pas de règle. Une chose est sûre : il faut qu'il y ait à la base du projet de revitalisation du centre-ville "une volonté politique", souligne Isabelle Bonnaud-Jouin, responsable du pôle Entreprises publiques locales à la Banque des Territoires. Les foncières "ne sont pas l’objet magique qui permet de revitaliser un centre-ville. C’est la finalité qui compte", juge aussi Jérôme Chabert, directeur général de Var aménagement développement (VAD). "C’est vraiment la forte volonté politique qui est indispensable. On n’est qu’un outil à la disposition des élus. Or, changer un centre-ville, c’est vingt-cinq ans !"

Opérateur de commerce de proximité

Pionnière dans ce domaine, avec une vingtaine d’années d’expérience, la Semaest a donc fait le choix de créer une filiale présentée comme un "opérateur de commerce de proximité". Cette foncière patrimoniale créée en 2013 avec la Caisse des Dépôts (sous forme de SAS) intervient en aval des concessions d’aménagement : "Elle rachète les locaux déjà rénovés" et "permet de maintenir des commerces dans lesquels il n’y a pas besoin de travail", explique Magali Vergnet, directrice de l’action territoriale à la Semaest. Elle vient d’être recapitalisée pour racheter 79 locaux dont 32 librairies que la ville de Paris veut éviter de voir repartir dans le domaine privé pour empêcher la spéculation. "Nous ne sommes pas une foncière de redynamisation au sens classique où les travaux sont portés par la foncière, ce qui accroît les déficits", tient-elle à préciser. La foncière n’intervient pas sous concession d’aménagement mais sous "concession de revitalisation" en se limitant au rez-de-chaussée, aux secteurs en déclin ou frappés par la "mono-activité". À cet égard, l'article 110 de la loi 3DS du 21 février 2022 offre de nouvelles possibilités. S’inspirant des Crac (contrats de revitalisation artisanale et commerciale) mis en place à titre expérimental en 2014, elle permet aux collectivités de déléguer au concessionnaire leur droit de péremption dans le périmètre d’opérations de revitalisation de territoire (ORT).
"Les grandes enseignes n’ont pas besoin d’argent public", défend la directrice. "Quand on cède, on cède en priorité aux locataires occupants. (…) On n’est pas là pour faire augmenter les prix mais pour faire venir des commerçants. (...) Si on n’arrive pas à le revendre, on le garde dans la foncière. Tout l’intérêt d’une foncière est d’être à la fois ceinture et bretelle."

À Toulon, les élus ont eu recours au privé

À Toulon, les élus ont eu recours au privé. Plus précisément à la société familiale Sebban, créée il y a six ans. Cette foncière d’immobilier commercial possède aujourd’hui 130 actifs uniquement en centre-ville en France. "Il y a quelques années, le maire Hubert Falco et Jacques Mikaelian (un promoteur connu de la région aujourd'hui décédé, ndlr) ont eu l’idée de créer la 'rue des arts'", raconte Michaël Sebban qui loue la vision de l’équipe municipale. La SEM départementale Var aménagement développement rachète alors les deux tiers des locaux de cette rue dévitalisée du centre de Toulon pour en faire une vitrine artisanale, "pour faire battre le cœur de ville". La Banque des Territoires est "venue chercher le groupe Sebban pour trouver une personne à l’échelle locale avec une capacité d’acheter les locaux et d’animer la rue". Ensemble, ils créent une filiale de SEM détenue par le groupe Sebban (51%), la Banque des Territoires (34%) et VAD (15%). "Ensemble, public et privé, on peut faire des choses, quand le public l’accepte et que le privé a cette intention de travailler pour le bien commun", souligne Michaël Sebban.
"Nous ne pouvons intervenir qu’après une vision forte, après un travail fort, musclé, d’envergure sur des années. (...) Il est nécessaire qu’il y ait d’abord une volonté politique", poursuit-il. Depuis, le projet s’est étendu à la rue d’Astour, une petite artère qui relie les halles alimentaires (halles Biltoki) à la rue commerçante d’Alger. "Notre idée est de racheter toute la rue et de travailler les locomotives commerciales" en misant sur un mix moyen et haut-de-gamme", explique Michaël Sebban. Les deux tiers des locaux ainsi requalifiés ont déjà été loués. Ouverture prévue en octobre 2022.

En Bretagne, la SEM Breizh a lancé fin 2020 la SAS Breizh Cité, grâce notamment à une forte augmentation du capital de la région qui a fait de la revitalisation des petites centralités une de ses priorités. La région, l’EPF (établissement public foncier) et la Banque des Territoires avaient ainsi travaillé ensemble, en 2017, à un appel à projet sur la revitalisation des centres-bourgs. L’occasion pour eux de constater qu’après la phase d’études, les investisseurs n’étaient pas forcément au rendez-vous. Aujourd’hui, "Breizh Cité se présente comme un opérateur de centre-ville plus qu’une foncière commerciale", souligne là aussi Guillaume Dieuset. Son intervention se limite à la Bretagne. Première condition : "Il faut que les collectivités démontrent qu’elles sont en action pour renforcer les centralités", insiste-t-il. La foncière poursuit un objectif de "mixité" : habitat, activité économique, tiers lieux… L’idée est "d’aboutir à des partenariats public-privé". Sur une vingtaine de demandes déposées, 5 à 6 seront soutenus.

Une fourchette basse pour les loyers

Alors que ces opérations sont par nature compliquées, Breizh Cité a été éligible à une subvention de 600.000 euros au titre du fonds de restructuration des locaux d’activité de 60 millions d’euros, géré par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Une fois les locaux remis sur le marché, toutes ces foncières doivent veiller à trouver le juste équilibre pour les loyers : ni trop élevés pour attirer des commerçants, ni trop bas pour ne pas fausser la concurrence. Pour Magali Vergnet, il faut viser "la fourchette basse" mais surtout travailler à des conditions favorables aux locataires : pas de droit au bail, franchise d’installation, locaux pré-aménagés, accompagnement, animation… D’autres solutions existent comme les loyers progressifs, ou les loyers mixtes reposant sur un fixe et un pourcentage de chiffre d’affaires. Mais avec certaines limites. "On ne va pas faire des prix qui vont casser le marché sous prétexte que c’est un service public", insiste Magali Vergnet. À Toulon aussi, l’animation est mise en avant. Un budget de 60.000 euros est prévu pour mener des actions, en lien avec la municipalité et sans empiéter sur les associations de commerçants.

"Dérisquer" les porteurs de projets dans le rural

Autre question qui se pose : ces foncières sont-elles outillées pour les petites communes ? L’exemple breton semble le démontrer. D’ailleurs Breizh Cité réfléchit à la création de micro-concessions. Dans le Var, Michaël Sebban y croit aussi. Il travaille actuellement avec le maire d’une petite commune qui veut redonner vie à son centre. L’objectif : créer deux brasseries avec terrasses, amener un boulanger, un primeur bio… "On aura déjà là le début de quelque chose. On ne va pas arriver avec des gros sabots. Tout le reste va suivre", assure-t-il. Son credo : "Dérisquer les porteurs de projets."

Dans les communes rurales, où souvent la question du dernier commerce se pose, "la revente n’est pas possible". Seule une opération publique peut permettre de revitaliser, estime Magali Vergnet : "C’est une opération d’intérêt général, pas d’intérêt commercial." La foncière est là pour "fluidifier" les choses, en partenariat avec "les villes qui font ce travail d’animation d’attractivité, de sourcing des projets"… Dans ces cas-là, une SPL - qui ne peut contracter qu'avec des collectivités - va très vite être bloquée. Une filiale permet alors d’avoir un "effet démultiplicateur". À cet égard - et la fédération des EPL y est pour quelque chose – une disposition de la loi 3DS améliorera la gouvernance des SEM en permettant aux élus de participer aux assemblées générales des filiales. Ce qui devrait contribuer à leur développement.