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Réforme de la fiscalité locale : les grandes agglomérations convoitent toujours la CVAE des départements

Pour compenser la suppression de la taxe d'habitation, le gouvernement veut affecter une part de TVA aux groupements à fiscalité propre. Les grandes agglomérations représentées par France urbaine préféreraient que leur soit affectée la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dont bénéficient aujourd'hui les départements.

Les responsables de France urbaine ont réitéré, ce mardi 25 juin, devant la presse, leur proposition de compenser la suppression de la taxe d'habitation des plus grandes agglomérations par le transfert vers elles de la part départementale de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Depuis plus d'un an, les grandes villes et leurs intercommunalités lorgnent sur le produit de cet impôt économique que se partagent aujourd'hui les régions (8,8 milliards d'euros), les départements (4,2 milliards d'euros) et le bloc communal (4,7 milliards d'euros essentiellement perçus par les groupements à fiscalité propre). Cette taxe est parée à leurs yeux d'au moins deux vertus. D'abord, sa perception par les EPCI à fiscalité propre présente une forte cohérence, puisque ceux-ci détiennent des compétences en matière de développement économique. En outre, l'assiette de cet impôt est en partie territorialisée. Ce qui signifie qu'une intercommunalité favorisant le développement des entreprises de son territoire sera probablement récompensée : les recettes de CVAE qu'elle obtiendra à la suite de ses actions seront maximisées.

Problème : globalement, la CVAE aujourd'hui perçue par les départements ne pourra compenser qu'en partie le manque à gagner que subiront les groupements à fiscalité propre du fait de la suppression de la taxe d'habitation. Selon la direction générale des collectivités locales, l'impôt qui disparaîtra progressivement d'ici 2023 a représenté en 2018 plus de 7,1 milliards d'euros pour les intercommunalités. Mais, pour les élus de France urbaine, la CVAE n'a pas vocation nécessairement à compenser la suppression de la taxe d'habitation pour tous les EPCI à fiscalité propre. Reçus la semaine dernière à Bercy, notamment par les ministres en charge des comptes publics et de la cohésion des territoires – à l'instar des autres associations d'élus du bloc communal – ils ont de nouveau préconisé de donner la possibilité aux intercommunalités de choisir le moyen de leur compensation : soit une part de CVAE départementale, soit une part de TVA.

La TVA, cette "quasi-dotation"

La proposition n'a cependant "pas suscité l'adhésion du gouvernement", ainsi que l'a regretté François Rebsamen, maire de Dijon et président de Dijon métropole, ce 25 juin, en marge des troisièmes Rencontres des finances publiques que France urbaine organisait à Paris. Bercy n'entend pas toucher davantage aux recettes des départements (le transfert de leur part de foncier bâti au profit des communes concernera 15 milliards d'euros de recettes). Le ministère ne veut pas non plus mécontenter le Medef, lequel est vite à cran sur la question des impôts de production. Mais France urbaine ne perd pas espoir. Les éventuels débats à venir sur la différenciation territoriale (dans le cadre de la révision constitutionnelle, ou à la faveur du prochain projet de loi de décentralisation) vont permettre de "rouvrir le débat", a estimé le maire de Dijon.

Pour l'heure, le gouvernement préconise le transfert d'une part de TVA en direction des intercommunalités. Il vante une ressource évoluant de manière continue, présentant donc une assurance pour les communautés fragiles. Mais une telle ressource s'apparente quasiment à "une dotation", estiment les élus de France urbaine, puisque son évolution annuelle doit être la même pour tous les territoires. Tout le contraire d'une recette "territorialisée", qui permet d'accorder une prime aux territoires se donnant de la peine pour développer l'activité économique.

Contribution résidentielle

L'association représentant les grandes villes et leurs intercommunalités plaide encore pour l'instauration d'une "contribution résidentielle", un impôt progressif sur lequel la commune n'aurait pas de pouvoir de taux. Les propriétaires comme les locataires la paieraient, ce qui permettrait de dégager un produit total de 2 milliards d'euros. La suppression de la taxe d'habitation et son remplacement par la taxe sur le foncier bâti pour les communes a pour effet de couper le lien fiscal entre la commune et une majorité des contribuables (dans certaines grandes villes, 80% des habitants sont des locataires), déplore France urbaine. "La proposition est encore politiquement incorrecte, mais on verra ce qu'il en sera post-2020", soit après les élections municipales, analyse l'association.
Celle-ci affirme avoir, en revanche, réussi à capter l'attention du gouvernement sur une autre question, celle de la construction de logements sociaux. Les élus des grandes aires urbaines estiment qu'avec la disparition de la taxe d'habitation et l'insuffisante compensation des exonérations de foncier bâti accordées aux bailleurs sociaux, leurs collectivités n'auront plus d'incitations financières à réaliser des efforts en la matière.

Un "mauvais coup" porté aux départements

Parmi les autres associations d'élus reçues tour à tout par le gouvernement le mardi 18 juin figurait l'Assemblée des départements de France (ADF), en sachant que l'Association des maires de France (AMF) a pour sa part fermé le bal deux jours plus tard.

Sans surprise, les départements maintiennent la position qui a toujours été la leur : pas question d'accepter le transfert aux communes de leur part de taxe foncière sur les propriétés bâties. "Cela remettrait en cause l’autonomie financière des départements, l’autonomie de gestion ayant déjà été impactée par la contractualisation" et "les départements ne peuvent être privés d’une fiscalité directe locale au risque de détériorer encore plus leurs capacités d’intervention", résumait l'ADF le 19 juin à l'issue de son bureau et de son assemblée générale. Un problème d'autonomie fiscale ou financière, donc, mais aussi un problème de "fiabilité de la ressource", a précisé à Localtis le directeur général de l'association. Pierre Monzani souligne en effet que la TVA, dont on vante souvent le dynamisme, ne serait en réalité pas si rassurante que ça en considérant "les perspectives de long terme". "Nous avons fait des projections. En 2005 par exemple, les départements auraient perdu 4 milliards d'euros", illustre-t-il. L'ADF aurait-elle préféré une part de CSG ? Non, le risque aurait été à peu près le même.

"Il y a unanimité à l'ADF", souligne Pierre Monzani. Les départements ne seraient-ils pas isolés, toutefois, pour défendre leur fiscalité locale ? Le directeur rappelle la deuxième délibération du Comité des finances locales (CFL) ainsi que la position de l'AMF consistant à demander un mécanisme de dégrèvement pérenne. De quoi, estime-t-il, considérer que l'union scellée entre l'AMF, l'ADF et Régions de France avec la création de Territoires unis n'est pas entamée.

L'AMF n'a pas officiellement communiqué sur le sujet depuis qu'elle a été reçue par le gouvernement. "Nous avons une démarche commune avec les départements qui consiste à dire qu’il ne faut pas que les départements se voient privés d’un impôt où ils ont un pouvoir sur le taux", déclarait en tout cas à publicsenat.fr Philippe Laurent, le secrétaire général de l'AMF, le 19 juin. D'aucuns prédisent toutefois que Territoires unis aura sans doute du mal à parler d'une seule voix sur le sujet, les régions ayant pour leur part leur propre sujet à défendre (voir ci-dessous notre article du 19 juin).

De son côté, l'Association des petites villes de France (APVF) a fait savoir ce 25 juin qu'elle "suivra avec une attention toute particulière les modalités de compensation financière des départements, qui demeurent des alliés incontournables pour les petites villes", formant "le vœu d’un transfert d’une ressource dynamique et pérenne pour ces derniers". Et les maires de petites villes de rappeler "qu’aucune association d’élus n’était demandeuse" de la suppression de la taxe d'habitation. Elle considère toutefois que le scénario retenu par le gouvernement "est le moins défavorable aux communes en ce qu’il préserve leur autonomie financière et qu’il suffit quasiment à compenser leur perte de ressources." Reste à connaître "les modalités de fonctionnement, y compris dans la durée, du mécanisme correcteur". L'APVF attend donc des "simulations".

Quant à l'ADF... elle "attend la lettre de Gérald Darmanin" précisant le dispositif retenu à l'issue des consultations, elle prévoit de "consulter les élus" et parle de "mauvais coup" porté aux départements.

C. Mallet

 

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