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Réforme de la justice : le calendrier de la mise en oeuvre

Publiée au Journal officiel dimanche après validation de ses principales dispositions par le Conseil constitutionnel, la réforme de la justice portée par Nicole Belloubet entre en vigueur. La nouvelle organisation juridictionnelle qui repose sur la création des "tribunaux judiciaires" sera effective début 2020.

Lancée dès l’automne 2017 sous forme d’une vaste consultation ("les Chantiers de la justice"), la réforme de la justice portée par Nicole Belloubet va progressivement entrer en vigueur. Les deux textes qui la constituent  - la loi relative au renforcement de l'organisation des juridictions et loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice – ont été publiées au Journal officiel le 24 mars. La ministre de la Justice "va maintenant s’engager dans une mise en œuvre rapide de cette loi en faveur des justiciables", a-t-elle fait savoir, dans la foulée de la décision du Conseil constitutionnel qui, jeudi dernier, a validé l’essentiel de la réforme. A commencer par la nouvelle organisation judiciaire qui a fait couler beaucoup d’encre et suscité un émoi chez les professionnels (avocats, juges…) estimant que la justice allait perdre en proximité. 

Tribunal judiciaire

Le texte vient fusionner les tribunaux d’instance et les tribunaux de grande instance dans un seul "tribunal judiciaire", à compter du 1er janvier 2020. Cette réforme "interviendra sans qu’aucune structure ne ferme ou soit supprimée", a une nouvelle fois pris soin de préciser le ministère. En clair, dans les villes où cohabitent un tribunal de grande instance et un tribunal d’instance, ils seront fusionnés. Ailleurs, les tribunaux d’instances seront transformés en "chambre de proximité" du TGI. Un décret déterminera leurs compétences, dans le souci de maintenir les contentieux de proximité, assure le ministère. Les chefs de cour pourront leur attribuer des compétences complémentaires en fonction des besoins locaux.
La loi instaure aussi des "pôles spécialisés" : dans les départements possédant plusieurs TGI, ceux-ci seront amenés à se spécialiser dans des contentieux techniques nécessitant du temps. Un décret en Conseil d’Etat viendra fixer les matières concernées.
La loi prévoit aussi d’expérimenter dans deux régions une nouvelle organisation des cours d’appel : il s’agira de conférer à des chefs de cour d’appel une fonction d’animation et de coordination pour plusieurs cours. A compter de 2020, des cours d’appel pourront aussi se spécialiser dans certains contentieux civils. 
Au pénal, la création d’un parquet national antiterroriste entrera en vigueur dès 2019, avec des antennes dans toutes les régions, de même que l’expérimentation dans dix départements des "cours criminelles départementales". Composées de cinq juges professionnels, ces cours criminelles jugeront les crimes passibles de 15 à 20 ans de prison (tels que les viols), en lieu et place des jurys populaires des cours d’assises qui se trouvent engorgées. Les cours d’assises continueront de juger les crimes les plus graves (meurtres, assassinats) ou commis en récidive, ainsi que l’ensemble des crimes en appel.
La loi instaure une juridiction nationale de traitement dématérialisé des injonctions à payer. Ces requêtes sont aujourd’hui traitées dans 307 juridictions différentes. Désormais, les créanciers adresseront leur dossier en ligne à une juridique nationale unique (exemple d’un étudiant qui demanderait la restitution d’un dépôt de garantie à la fin de son bail). Entrée en vigueur : après 2020. A noter que la loi prévoit de confier à la Caisse des Dépôts le versement des saisies sur rémunérations, en cas de plusieurs créanciers, mission aujourd’hui assurée par les greffiers.

Nouvelle échelle des peines

Au-delà de la réorganisation juridictionnelle, la réforme comporte un important volet sur "l’efficacité et le sens de la peine", l’idée étant d’appliquer une nouvelle échelle pour éviter les courtes peines d’emprisonnement, dans un contexte de saturation des prisons. La plupart de ces mesures validées par les Sages sont officiellement applicables depuis le 25 mars. Toutes les peines inférieures à un mois de prison sont supprimées. Celles supérieures à un an seront exécutées sans aménagement (c’était déjà le cas depuis 2009 mais pour les peines de moins de deux ans de prison). Celles de moins d’un an feront l’objet d’adaptation : travail d’intérêt général, bracelet électronique, interdiction de paraître dans le lieu où a été commise l’infraction… Dès parution de la loi, les TIG (travaux d'intérêt général) en entreprise feront l’objet d’une expérimentation de trois ans. Le Conseil constitutionnel a aussi validé le principe de l’amende forfaitaire pour usage de stupéfiants ou pour la vente d’alcool à des mineurs, tout en demandant de limiter cette mesure aux délits punis d’une peine de moins de trois ans.
La loi prévoit aussi d’alléger les procédures de consultation et d’évaluation environnementale pour la construction de 15.000 places de prison. Les cessions gratuites des collectivités sont autorisées.
Pour les élections européennes du mois de mai, les détenus inscrits sur les listes électorales pourront voter directement depuis leur prison. Jusqu’ici, ils ne pouvaient que voter par correspondance ou dans le cadre d’une permission de sortie.
Le Conseil constitutionnel a également approuvé l’habilitation à réformer l’ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs

Censures

Sur les 57 articles qui faisaient l’objet d’un recours, 13 ont été censurés (sur un total de 109 articles). Sur le plan civil, le Conseil constitutionnel a écarté l’article 7 qui prévoyait de confier aux caisses d’allocations familiales (CAF) la modification des pensions alimentaires fixées par un juge. Nicole Belloubet a dit "prendre acte" de cette décision, précisant que "cette expérimentation devait permettre de répondre à la situation difficile de nombreuses femmes divorcées". Toujours au plan civil, le Conseil constitutionnel a au contraire validé la simplification de la procédure de divorce, l’extension de l’obligation du recours à un mode amiable des différends civils (par exemple pour les conflits de voisinage), la certification des plateformes électroniques de règlement des litiges…
Si la loi dans son ensemble donne plus de pouvoir aux parquets (avec l’extension des enquêtes sous pseudonyme pour lutter contre la cybercriminalité ou l’extension de l’amende forfaitaire pour les stupéfiants, par exemple), le Conseil constitutionnel a voulu freiner cette tendance observée depuis plusieurs années, et qui se fait au détriment des juges d’instructions statutairement indépendants (contrairement aux procureurs). Il a ainsi censuré l’usage de la visioconférence pour les audiences de prolongation de détention provisoire et l'emploi de techniques d'écoutes dans le cadre d'une enquête préliminaire…
La réforme visait aussi à pérenniser les moyens alloués à la justice qui passeront de 6,7 milliards d’euros à 8,3 milliards d’euros en cinq ans, avec 6.500 emplois à la clé.

 

Références : loi organique n° 2019-221 du 23 mars 2019 relative au renforcement de l'organisation des juridictions , loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, décision n° 2019-779 DC du 21 mars 2019, décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, JO du 24 mars 2019.