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Réforme territoriale - Régions : François Hollande rebat les cartes

C'est donc fait. François Hollande a sorti sa "nouvelle carte des régions". Celle d'une France métropolitaine à 14 grandes régions. A la clef, quelques mariages arrangés qui ont d'emblée fait du bruit. Le tout est attendu en Conseil des ministres le 18 juin. Pour les départements, le chef de l'Etat a dû lâcher du lest : leur suppression est vue à l'horizon 2020... une fois qu'ils auront été "dévitalisés", autrement dit vidés de leurs compétences.

Dès lundi soir, ceux qui veillaient encore devant leurs écrans découvraient une nouvelle carte de France. Celle qui allait être publiée au petit matin dans leur quotidien régional en marge d'une tribune signée François Hollande. Une carte qui, finalisée in extremis lors d'une ultime réunion avec Manuel Valls, Marylise Lebranchu, André Vallini et Bernard Cazeneuve, fait passer le nombre des régions métropolitaines de 22 à 14. Et qui prévoit par conséquent la fusion par deux de la plupart des régions - et même, pour les régions Centre, Poitou-Charentes et Limousin, un mariage à trois. Voilà à quoi se résume pour le moment la "grande réforme" que tient à lancer le chef de l'Etat.
Redessiner la carte des régions d'un trait de crayon depuis l'Elysée. Le geste est spectaculaire. Autoritaire, ont dit certains. En tout cas, un peu partout en France, il alimente depuis ce matin bien des conversations – et pas seulement celles des élus et autres acteurs locaux directement concernés. Si l'objectif avait été de réanimer le débat public et citoyen sur les questions d'appartenances territoriales, il est atteint.
On savait, depuis la déclaration de politique générale de Manuel Valls début avril, que le nouveau projet de l'exécutif était de "réduire de moitié le nombre de régions". Sauf qu'il y a à peine deux mois, il s'agissait d'inciter les régions à fusionner sur la base du volontariat, "par délibérations concordantes", et que ce ne serait qu'"en l'absence de propositions" que la nouvelle carte des régions serait dessinée "par la loi".
Aujourd'hui, changement de programme, donc : "Une carte a été définie. Elle prend en compte les volontés de coopération qui ont été déjà engagées par les élus (…). Elle sera soumise au débat parlementaire. Mais il faut aller vite", écrit François Hollande dans sa tribune.
Autre changement, cette fois par rapport aux informations qui avaient circulé il y a quelques jours : alors qu'il avait apparemment été envisagé d'autoriser les départements qui le souhaiteraient à quitter dans un deuxième temps leur grande région d'origine pour rejoindre une grande région voisine, cette option semble finalement exclue. C'est en tout cas ce qu'a déclaré André Vallini ce mardi matin, jugeant que "sinon, on entrerait dans un débat sans fin".
Sur le calendrier, les choses sont à peu près claires et vont en effet "aller vite" : comme cela était déjà envisagé, deux projets de loi seront présentés en Conseil des ministres le 18 juin. L'un reconfigurera la carte des régions et l'autre portera sur "les compétences des régions et la montée en puissance de l'intercommunalité", a précisé Manuel Valls, avec un examen en première lecture "au Sénat au mois de juillet". Et le Premier ministre d'espérer que la réforme arrivera à l'Assemblée nationale "quelques semaines après, pour qu'elle puisse être adoptée définitivement et promulguée avant la fin de l'année", dès novembre. Reste à savoir si les deux textes seront examinés en parallèle ou bien s'ils se croiseront entre Sénat et Assemblée au fil de la navette parlementaire. Sur le fond, Manuel Valls n'a pas exclu que le débat parlementaire puisse donner lieu à "des évolutions" sur les "contours" de la nouvelle carte.
Autre élément important de calendrier : François Hollande a finalement décidé que "les élections pour le conseil départemental" et "celles pour les futures grandes régions" auront lieu à l’automne 2015. En principe un an, donc, après le vote de la loi.

"Dévitaliser" les départements avant de les supprimer

S'agissant du sort des conseils généraux, dont une suppression rapide avait été annoncée, le chef de l'Etat a finalement opté pour une mort plus lente. "Le conseil général devra à terme disparaître. (…) Mais cette décision doit être mise en œuvre de façon progressive car le conseil général joue un rôle essentiel dans la solidarité de proximité et la gestion des prestations aux personnes les plus fragiles. Et il ne peut être question de remettre en cause ces politiques. Pas davantage les personnels dévoués qui continueront à les mettre en œuvre", écrit-il. L'objectif est désormais "la suppression du conseil général en 2020", via une révision de la Constitution. Le chef de l'Etat semble avoir été en partie sensible aux mises en garde des représentants des départements récemment reçus à l'Elysée. Mais aussi aux analyses des juristes qui voyaient mal comment échapper à l'obstacle d'une réforme constitutionnelle (voir notre article du 22 mai). A contrario, d'aucuns lui reprochent déjà de reporter cette partie du projet aux calendes grecques.
Mais d'ici 2020, les choses vont bouger. Car François Hollande prévoit bien de transférer d'importantes compétences du département aux régions : les régions "seront la seule collectivité compétente pour soutenir les entreprises et porter les politiques de formation et d’emploi, pour intervenir en matière de transports, des trains régionaux aux bus en passant par les routes, les aéroports et les ports. Elles géreront les lycées et les collèges. Elles auront en charge l’aménagement et les grandes infrastructures." André Vallini a ajouté que si telle ou telle région "veut absorber" encore d'autres compétences des départements, ce sera possible. Parallèlement à cela, "certaines métropoles pourront reprendre les attributions des conseils généraux et toutes les expérimentations seront encouragées et facilitées", dit le texte de François Hollande.
Le dessein a été clairement reconnu par André Vallini, qui était l'invité de France-Inter : l'idée générale est de sonner la fin des départements une fois que toutes leurs compétences auront été transférées au niveau inférieur (intercommunal) ou supérieur (grande région). "Peu à peu, ils vont être dévitalisés. Il ne leur restera plus que les compétences sociales et dans les trois ou quatre ans qui viennent, nous verrons à qui transférer ces compétences sociales, parce que c'est un peu plus compliqué", a déclaré l'ancien président du conseil général de l'Isère. Des propos confirmés à peu près à la même heure par Manuel Valls, mais dans une version un peu plus souple : "Les conseils généraux vont garder pendant trois ans un certain nombre de compétences, ce qu'on appelle le 'bloc social' et la cohésion territoriale, notamment dans les territoires ruraux", sachant que leur suppression, "c'est la perspective".

Il faudra territorialiser la grande région...

Et le bloc local dans tout ça ? Là-dessus, rien de très neuf. François Hollande a tenu à conforter l'existence de la commune qui, écrit-il, "doit demeurer une petite République dans la grande". Et a confirmé qu'il attend un "changement d'échelle" pour l'intercommunalité, avec un seuil de "20.000 habitants à partir du 1er janvier 2017, contre 5.000 aujourd’hui", tout en envisageant des "adaptations pour les zones de montagne et les territoires faiblement peuplés". L'Assemblée des communautés de France (ADCF) rappelle toutefois que près des trois quarts des communautés n'atteignent pas ce seuil de 20.000 habitants et qu'il est donc peut-être un peu prématuré d'envisager de nouveaux périmètres alors même que "300 fusions de communautés sont déjà intervenues en 2013 et 2014".
L'élément inédit concerne la "légitimité démocratique" de l'intercommunalité : le président de la République se prononce implicitement pour une élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, comme cela a déjà été prévu pour les conseillers métropolitains.
Dès lundi soir, les réactions se sont multipliées. Avec des prises de parole des plus contrastées, y compris du côté des présidents de région (voir aussi notre encadré ci-dessous), entre un Jean-Paul Huchon ou un Martin Malvy affichant une vraie satisfaction… et un Christian Bourquin (président du Languedoc-Roussillon) parlant d'un projet "insensé" ou un René Souchon (Auvergne) semblant douter sérieusement de l'intérêt de la nouvelle carte. "Vous ne pouvez pas avoir une région qui aille de Maurs-La Jolie près de Figeac au tunnel du Mont-Blanc, où il faut 7h30, 8 heures pour y aller. Vous ne pouvez pas gérer un lycée à 500 kilomètres, c'est impossible. Il faut bien des antennes déconcentrées de la grande région. On ne va pas dire aux 400 agents que j'ai dans la région : 'c'est terminé, on fusionne avec Rhône-Alpes, vous, vous partez à Lyon'." Ces remarques du président de la région Auvergne ne donnent qu'un tout petit aperçu des innombrables questions très concrètes qui vont très vite commencer à se poser. Et des éléments de réponse que les uns et les autres vont s'empresser de préparer, comme l'ADF qui pourrait faire valoir que le département représente justement le "niveau d’action publique intermédiaire" dont aura rapidement besoin la grande région.

Claire Mallet

Des présidents de régions plutôt en phase avec la réforme
L'Association des régions de France (ARF) "s’inscrit dans le nouvel acte de décentralisation et la nouvelle carte des régions proposés par le président de la République", a-t-elle affirmé dans un communiqué, ce 3 juin. La réforme "trace une très belle trajectoire pour la France", s'est réjoui son président, Alain Rousset, un peu plus tôt, lors d'une conférence de presse. "La décentralisation est la mère des réformes", a-t-il indiqué. En soulignant que la proximité est gage "de créativité, de contrôle, d'efficacité et de pragmatisme". Et en considérant encore que "la seule façon d'équilibrer le territoire, c'est de renforcer la puissance des régions".
Plus grandes, les régions ne doivent pas s'éloigner du citoyen, a cependant reconnu Alain Rousset. "Répondre à l'attente de nos concitoyens en matière de proximité des services publics, ce sera l'un de nos défis", a souligné lui aussi Jean-Jack Queyranne, président du conseil régional de Rhône-Alpes, région amenée à fusionner avec l'Auvergne.
Les régions devront par ailleurs relever le défi de la gestion des ressources humaines dans un contexte de mutations institutionnelles. Ces fonctionnaires "extrêmement compétents", il faut "les respecter", a souligné Alain Rousset. Aujourd'hui, les régions emploient 80.000 agents (seulement 25.000 sans les personnels techniques des lycées), détaille l'ARF. Qui estime qu'avec les transferts de compétences, leurs effectifs pourraient doubler.
Sur la question essentielle de leurs ressources qui "ne correspondent plus à leurs compétences" - selon les termes que François Hollande a employés dans sa tribune - les régions ont le sentiment que leur appel au changement a été entendu. Après une période "d'autisme", en 2013, l'exécutif fait preuve "d'écoute active à notre égard", se réjouit-on à l'ARF. Pour mémoire, l'association demande une part supplémentaire de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et le bénéfice du versement transports.
La réduction du nombre des régions entraînera-t-elle finalement des économies ? Alain Rousset est sceptique quant aux 12 milliards d'euros d'économies mis en avant par le secrétaire d'Etat à la Réforme territoriale, un chiffre qui "n'est pas étayé". "Le résultat des économies sera à évaluer dans le temps", estime le patron de la région Aquitaine. Pour dépenser moins, il faut surtout s'attaquer aux doublons, explique-t-il : doublons entre les services de l'Etat et ceux des collectivités, d'une part, et entre les services des collectivités, d'autre part. Par exemple, "en matière d'action sociale, les communes ont leurs CCAS et les départements leurs centres médicosociaux", dit-il. "Les intercommunalités sont trop petites et trop redondantes", critique-t-il par ailleurs. "A-t-on besoin d'autant de syndicats d'ordures ménagères ?", s'interroge Alain Rousset. Lequel, donc, approuve la réduction du nombre de structures intercommunales voulue par le chef de l'Etat et le gouvernement. Une fois cet objectif atteint, les régions pourraient déléguer des compétences aux intercommunalités, fait remarquer, au passage, Alain Rousset. Qui cite l'exemple de la construction et de l'entretien des collèges.

Thomas Beurey / Projets publics