Travail social - Rémunération des stages : l'annonce du report ne suffit pas à faire taire l'inquiétude
Geneviève Fioraso, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, adressait le 25 octobre aux préfets une instruction annonçant que la gratification des stages étudiants de plus de deux mois dans les collectivités territoriales, les établissements publics de santé et le secteur médicosocial - rendue obligatoire par la loi relative à l'enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013 - ne s'appliquerait finalement pas avant la prochaine rentrée universitaire 2014-2015 (voir notre article ci-contre du 28 octobre 2013).
Le report, une "première reconnaissance" du problème
Cette annonce de report est sans doute à mettre en lien avec le mouvement de mécontentement qui venait de s'exprimer dans plusieurs villes universitaires. Ainsi, le 24 octobre, des étudiants du secteur social avaient manifesté jeudi matin à Poitiers pour protester contre leur difficulté à obtenir des stages. Sous une banderole "Avec la loi Fioraso, nos stages tombent à l'eau", ils dénonçaient l'effet pervers d'une "gratification" obligatoire pour les stages en milieu professionnel dans le secteur public (et non plus seulement dans le privé), fixée à 436,05 euros. "Dans le public, les structures, collectivités, n'avaient pas budgété ces stages et n'ont pas les moyens de nous payer. Aussi des étudiants se retrouvent sans stage ou en attente", ce qui compromet leur diplôme, expliquait par exemple une étudiante en deuxième année à l'institut régional du travail social à Poitiers, filière Educateur spécialisé. La manifestation faisait suite à des rassemblements similaires la semaine précédente dans plusieurs villes de France, dont Bordeaux.
L'Association nationale des assistants de service social (Anas), qui a toujours plaidé pour que soit prévue une dérogation à l’obligation de gratification pour les étudiants en travail social, a ensuite réagi à l'annonce du report, parlant d'"une première reconnaissance des conséquences désastreuses de la loi Fioraso sur le système d’alternance qui est un des fondements des formations en travail social." Elle estime toutefois que ce report n'est pas suffisant. "Au-delà d’une concertation avec les collectivités et les établissements du secteur de la santé et médico-social, nous maintenons la nécessité d’une réponse concrète et durable à la précarité des étudiants en travail social", écrit l'Anas dans un communiqué du 30 octobre. Une réponse qui devrait selon elle passer, rappelle-t-elle, par "un système de bourses" en faveur des étudiants stagiaires ou, "a minima et à défaut", par l'octroi des "moyens financiers nécessaires à la gratification aux institutions concernées".
Un financement "direct et à la source"
Du côté des institutions qui accueillent des stagiaires, certains se sont également exprimés. C'est le cas des représentants des départements, sachant que les départements sont doublement concernés : parce que leurs services sociaux sont un important terrain de stages pour les étudiants de la filière, mais aussi et surtout parce que les départements financent les établissements sociaux et médicosociaux, qui accueillent eux-mêmes de nombreux stagiaires.
Claudy Lebreton a ainsi adressé le 30 octobre un courrier à Marisol Touraine, avec copies aux différents ministres concernés, dont Geneviève Fioraso. Dans ce courrier - qui ne fait curieusement pas mention de l'instruction annonçant le report des gratifications obligatoires -, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF) s'inquiète "des tensions qui montent sur nos territoires". Il observe notamment que "faute d'avoir connu un début de concrétisation, les stages en travail social ont été déplacés du secteur associatif vers le secteur public (établissements publics autonomes et services non personnalisés des collectivités territoriales)."
L'ADF reprend donc les propositions qu'elle avait déjà formulées, il y a trois ans, lors du débat kafkaïen sur cette rémunération des stages dans le secteur sanitaire et social (voir nos articles ci-contre de 2010). Celles-ci consistent à considérer la gratification des stagiaires et le financement de leur tutorat comme des missions d'intérêt général, avec mise en place d'un financement spécifique (à l'image des missions d'intérêt général des hôpitaux). Objectif : éviter, notamment dans les Ehpad, que la gratification des stages "concoure à des ressauts tarifaires erratiques indésirables avec des conséquences sur le 'reste à vivre' des résidents".
En 2010, dans un courrier à Eric Woerth - alors ministre du Travail et de la Solidarité - l'ADF proposait deux mesures qu'elle soumet à nouveau à Marisol Touraine et qui "devraient régler 95% des situations aujourd'hui rencontrées". La première consiste, pour les établissements sociaux et médicosociaux, à rattacher l'accompagnement des étudiants stagiaires en travail social aux missions de la DRH des sièges sociaux des organismes concernées (associations, fondations...). La seconde mesure consiste à créer un nouvel article dans le Code de l'action sociale et des familles "pour permettre un financement 'direct et à la source' sur les enveloppes régionales de crédits". En d'autres termes, l'assurance maladie abonderait les dotations pour couvrir les frais de gratification des stagiaires. Sur ces différents points, Claudy Lebreton émet le souhait que "toutes ces propositions fassent enfin l'objet d'un accueil attentif".