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Immigration - "Rétablir la synergie entre politique de la ville et politique d'intégration"

Le Haut Conseil à l'intégration publie un avis sur les associations chargées de l'intégration des immigrés. Il pointe des difficultés, dont le choix de l'Etat de séparer de façon étanche politiques d'intégration et de la ville ou la systématisation des appels d'offres et appels à projets, source de complexité et d'instabilité financière pour ces associations.

Les associations sont des acteurs incontournables de l'intégration des immigrés, parce que seule une action de proximité permet de mobiliser des populations en partie marginalisées et maîtrisant parfois mal la langue française et les arcanes administratives. La réussite de cette intégration implique donc de la part de l'Etat - et dans une moindre mesure de la part des collectivités - de mieux épauler ce monde associatif. Le Haut Conseil à l'intégration (HCI) le démontre avec efficacité et en détail (82 pages) dans l'avis qu'il a remis le 2 mars au ministre de l'Intérieur. Le titre même de cet avis est clair : "Investir dans les associations pour réussir l'intégration".
Au terme d'un travail d'enquête auprès des associations chargées de l'intégration des immigrés et de leurs descendants, ce rapport trace les importantes mutations qui ont marqué - et parfois fragilisé - ces acteurs de terrain au cours des dernières années, que ceux-ci oeuvrent dans le domaine de la formation linguistique, de la citoyenneté, du soutien à la parentalité, du soutien scolaire, du logement (y compris en tant que gestionnaires de foyers), de l'accès aux droits, de la culture ou du travail de mémoire.
En termes de chiffres, s'il a été très difficile au HCI d'identifier l'ensemble des associations engagées dans la politique d'intégration (il n'existe pas de rubrique "intégration" dans le répertoire national des associations), celui-ci constate qu'on comptait en 2010 environ 1.300 associations soutenues par l'Etat et "oeuvrant expressément dans le domaine de l'intégration des immigrés et de leurs descendants directs". Un total de 1.300… contre 6.000 en l'an 2000, soit une diminution de 80%. Dans le même laps de temps, le budget, lui, n'a certes diminué "que" de 50%, passant de 200 à 100 millions d'euros.
Parmi les principaux changements intervenus au fil des dernières années : la prise en charge par l'Etat du financement du fonds d'action sociale (FAS) à partir de 2001, la réforme du Code des marchés publics la même année, la mise en place en 2003 et 2005 d'une politique d'accueil et d'intégration de tous les primoarrivants, le caractère obligatoire du contrat d'accueil et d'intégration (CAI) en 2007.

Deux programmes budgétaires totalement distincts...

Mais le HCI met aussi en avant un autre virage : "Le choix opéré en juillet 2008, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, d'une séparation 'étanche' des politiques de la ville et d'intégration, tout en réduisant les publics de cette dernière, pour l'essentiel, aux étrangers arrivés en France depuis moins de cinq ans." Un choix qu'il juge très "contestable", d'autant plus que deux ans plus tôt, la loi pour l'égalité des chances, avec la création de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), semblait justement avoir parié sur un rapprochement entre politique de la ville et intégration. Or, souligne le HCI, comme a récemment eu l'occasion de le faire l'Observatoire nationale des ZUS (Onzus), "les populations comme les thématiques de ces deux politiques sont très proches voire souvent identiques" : plus de la moitié de la population qui réside dans les territoires prioritaires de la politique de la ville est immigrée ou descendante d'immigrés.
On se retrouve ainsi aujourd'hui avec deux programmes budgétaires totalement distincts : d'une part, le programme 147 géré par l'Acsé et mis en oeuvre au niveau départemental et local à travers les contrats urbains de cohésion sociale (Cucs) ; d'autre part, le programme budgétaire 104, géré au niveau central par la direction de l'Accueil, de l'Intégration et de la Citoyenneté (Daic), dans le cadre d'appels à projets nationaux, et en partie décliné au niveau régional à travers les programmes régionaux pour l'intégration des populations immigrées (Pripi). D'où, pour les associations elles-mêmes, une multiplication des interlocuteurs. "Les différentes actions nationales viennent parfois se superposer aux actions territoriales sans cohérence d'ensemble", relève ainsi le rapport. D'où, aussi, "de fortes disparités" territoriales, le HCI relevant par exemple que "la région Ile-de-France, qui est la plus concernée par la politique d'intégration, n'a signé son Pripi 2010-2012 qu'en toute fin d'année 2011". Certes, dans six départements, la création de préfets délégués pour l'égalité des chances a quelque peu amélioré les choses, en tout cas lorsqu'ils bénéficient des délégations de signature nécessaires.
Et il faut ajouter à tout cela la généralisation progressive des appels d'offres et des appels à projets (nationaux, régionaux ou locaux…) auxquels les petites associations sont forcément mal outillées pour répondre. "Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, les fonds portés par l'Acsé sont également accessibles par appels à projets dans le cadre des Cucs voire en dehors (projets nationaux). Ces appels à projets viennent alors s'ajouter à la longue liste des projets à honorer"... Le HCI parle donc logiquement de "maquis administratif" dans lequel les associations "peuvent se sentir perdues" et les obligeant à "une course permanente aux subventions".
De surcroît, la baisse des subventions de l'Etat s'est accompagnée "d'un transfert non évaluable de cette politique vers les collectivités". Et là encore, "le haut conseil constate qu'à de rares exceptions près, ces actions ne sont pas ou peu coordonnées dans le cadre des Pripi". "Alors même que leurs actions diffèrent assez peu de la politique régionale et nationale d'intégration, les communes mènent souvent leur propre politique", conclut-il.

Distinguer associations "communautaires" et "communautaristes"

Résultat, voulu ou pas : des associations effectivement "moins nombreuses, plus professionnelles". Certes, cette professionnalisation est parfois un atout. Mais, souligne l'avis, "les petites associations locales sont très utiles". Lorsque celles-ci obtiennent encore des financements, ce n'est plus par le versant politique d'intégration, mais plutôt du côté de la politique de la ville et par "les collectivités territoriales qui représentent alors, dans ce domaine, le relais essentiel d'une politique d'intégration locale".
D'autres associations, elles, disparaissent. Or "le retrait des associations, au même titre que celui des services publics, constaté dans les territoires où résident en nombre les populations immigrées, et en particulier certains quartiers de la politique de la ville, se traduit par une progression des associations communautaristes", note le HCI.
Celui-ci tient cependant à ce que l'on distingue bien associations "communautaires" et associations "communautaristes", regrettant que l'Etat écarte trop systématiquement les premières des financements publics. Il écrit : "A notre sens, les associations communautaires s'inscrivent dans un cadre républicain, tout en développant une expertise particulière en direction d'une communauté d'origine, en raison de ses caractéristiques propres qui peuvent être un frein à l'intégration."
Autre conséquence du développement des appels à projets et des marchés publics : un renforcement de la concurrence entre associations, réseaux d'associations… et sociétés privées, notamment dans le champ linguistique. "Dans ce paysage concurrentiel, les fédérations sont devenues des acteurs incontournables" qui peuvent "s'appuyer à la fois sur une assise nationale crédible et structurée, une forte implantation locale", constate le HCI, citant en exemple la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France.

Faire des Cucs des "contrats urbains de cohésion sociale et d'intégration"

Les principales recommandations du rapport découlent logiquement de l'ensemble de ses constats. La première d'entre elle est donc résumable en ces termes : "Rétablir la synergie entre la politique de la ville et la politique d'intégration." Ce qui se matérialiserait notamment par la création d'un établissement public national - une "agence de l'intégration et de la cohésion sociale" - sous double tutelle du ministère de l'intérieur (Daic) et du ministère de la ville (SG-CIV). Ainsi que par la mise en place d'un calendrier unique pour les appels à projets des programmes 104 et 147.
De même, au niveau régional et départemental, le HCI souhaite que le directeur régional de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et le directeur départemental de la cohésion sociale deviennent les "pilotes uniques" de cette politique. A l'échelle départementale toujours, il est recommandé de "limiter la réalisation des plans départementaux d'intégration (PDI) aux seuls départements de forte immigration." Au niveau local, il est suggéré d'élargir le champ des Cucs pour en faire de nouveaux "contrats urbains de cohésion sociale et d'intégration".
S'agissant des problématiques soulevées par la généralisation des appels d'offres et appels à projets, le HCI propose entre autres que l'on "abaisse notablement le montant financier nécessaire à la signature de conventions entre les administrations et les associations" et estime qu'il faut "stabiliser les partenariats de l'Etat en rétablissant des engagements pluriannuels avec les associations" par la systématisation de conventions pluriannuelles d'objectifs d'une durée de trois ans.
Le mot de la fin du HCI : "C'est au travers de la capacité de l'Etat de rééquilibrer son partenariat avec les associations que sera pérennisée une politique d'intégration à la française qui n'existerait plus sans ces dernières."

Claire Mallet

L'Office de l'immigration et de l'intégration change de tutelle

Alors que le Haut Conseil à l'intégration rend son rapport, le Journal officiel publie un décret du 7 mars 2012 relatif à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Ce texte procède à plusieurs aménagements importants dans le fonctionnement de cet organisme, créé pourtant en 2009 seulement par le regroupement des compétences de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (Anaem) - sauf pour ce qui concerne l'emploi des Français à l'étranger - et d'une partie des missions de l'Agence pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé).
La mesure la plus symbolique réside dans le changement de tutelle. Rattaché jusqu'alors au ministère chargé de l'Emploi, l'Ofii passe en effet sous la tutelle du ministère chargé de l'Intégration, autrement dit - dans les configurations récentes - le ministère de l'Intérieur. Au-delà de son aspect symbolique, ce changement de tutelle a aussi des effets très pratiques. Ainsi, les conditions d'octroi et le montant de l'aide au retour seront désormais "déterminés par le ministre chargé de l'Immigration, après avis du conseil d'administration de l'Office français de l'immigration et de l'intégration".
Au-delà de cette mesure, le décret du 7 mars 2012 introduit également un ensemble de modifications. Parmi celles qui sont le plus directement susceptibles d'avoir un impact sur les collectivités, figure notamment une définition revue des missions de l'office dans le premier accueil des demandeurs d'asile. L'article 1er prévoit ainsi que l'Ofii "assure le pilotage d'un réseau de structures de premier accueil, d'information, d'orientation et d'accompagnement dont les missions sont définies par le ministère chargé de l'Asile et dont il peut déléguer la gestion, par convention, à des personnes morales de droit privé".
Les autres mesures prévues par le décret du 7 mars 2012 concernent essentiellement le fonctionnement de la structure, avec en particulier un renforcement des pouvoirs du directeur général - qui peut se voir déléguer certaines fonctions par le conseil d'administration - et une redéfinition des ressources de l'établissement.

Jean-Noël Escudié

 

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